Les lapins d’Orly

 

Dédicace : A Toutes celles et à tous ceux du F.A.M. Après qui ont contribué à ma reconstruction et particulièrement à mon référent Serge dit aussi le grand jardinier ou le semeur fou. Qu’ils en soient remerciés.
Préface : Le dernier disque de Jacques Brel, alors aux Marquises, contient une chanson intitulée Les chariots d d’Orly. Ma nouvelle puise son titre dans cet album brélien.
Avertissement : Dans cette histoire, toute ressemblance avec des personnes ou des faits existant ou ayant réellement existé ne serait pas que pure fiction.

Michel se passa la main sur le front. Il cogitait depuis quelques temps à son projet pas si hurluberlu que ça…
Michel est un grand gaillard aux moustaches taillées à la mode d’Astérix, plutôt maigre, à l’allure dégingandée. Sa tignasse brune, bouclée, un peu longue s’harmonise bien avec son visage légèrement émacié, le tout lui donnant un air pas tubulaire, mais presque. Toujours actif, farceur, blagueur, il prête facilement au sourire et à la bonne humeur. C’est que Michel est un séducteur et il en joue. C’est aussi un passionné de chasse, un fervent de la nature dans laquelle il puise son entrain et sa jovialité. Bricoleur de génie à l’instar de Géo Trouvetout, il ne peut que mêler son talent manuel à ses passions qui l’apparentent à Chasse, pêche et traditions et aux soutiens de Vincent saint Josse. Je l’ai surpris un jour, affairé devant l’écran de l’ordinateur : il avait tapé un texte ainsi libellé qu’il s’apprêtait à enregistrer sur sa clé U.S.B. : « Réintroduction du lapin de garenne en Haute-Loire. Recherche spécimens ad hoc et personnes intéressées ».
Suite à un article paru dans la presse locale, il avait résolu de passer une petite annonce sur le bon coin.com, site que lui avait fait connaître Sérafine. Pour mémoire, je vous transcris ici cette chronique journalistique.

Le lapin de garenne déserte la campagne


LPauvre lapin qui se raréfie . Les maladies virales représentent son principal ennemi. Le lapin de garenne constituait la base du carnier du chasseur jusqu’à l’introduction du virus de la myxomatose en 1952 par le docteur Armand Delille. Bien qu’il résiste, voire occasionne des dégâts sur certains secteurs, le lapin de garenne subit une tendance lourde de régression. Selon Gilles Chavas, technicien à la fédération départementale des chasseurs, «la situation du lapin est plutôt inquiétante. Il suffit de se rapporter aux tableaux de chasse, en 2005 : 19 000 lapins étaient prélevés dans la Loire, ils n’étaient plus que 12 000 en 2007. Les maladies virales sont l’ennemi numéro 1 du lapin. Quand l’espèce est bien répartie sur un territoire, elle peut lutter contre les maladies notamment grâce à un brassage génétique. Or, dans le département, on ne trouve pratiquement que des populations isolées, et donc fragilisées. C’est l’exemple même où la notion de corridor écologique devient pertinente. Pour tenter la reconquête de certains territoires, des actions de réintroduction sont aidées techniquement et financièrement par la fédération.
«Comme pour tout petit gibier, la réimplantation du lapin est difficile. En 2008, 15 garennes artificielles (ce sont des tas de souches recouverts de terre) ont été aménagées sur 5 sociétés de chasse. Nous privilégions l’introduction d’animaux de souche pure, issus de reprises dans la nature et si possible dans la Loire. D’ici 2 à 3 ans, nous pourrons évaluer les résultats de ces opérations. Malgré son abondance sur quelques points chauds du département, le lapin se raréfie. Même s’il est vu dans des endroits insolites comme le remblai des voies d’autoroute ou les ronds-points des agglomérations, son avenir ne s’améliorera pas par la colonisation de ces milieux souvent hostiles, où sa sécurité ne dépasse pas la limite des bordures de chaussée. Son habitat idéal est fait de cultures de céréales à paille qui constituent une source de nourriture, d’habitations dans un périmètre proche comme zone de refuge et d’un sol meuble pour creuser ses terriers.
Le progrès, 11.04.2009, Pierre-Jean Teyssier.

Le dessein de Michel était de se rendre à l’aéroport d’Orly sur le terrain duquel foisonnent ces animaux. Pour ce faire, il lui fallait les autorisations adéquates et les chasseurs patentés.
Malheureusement, les premières s’avéraient difficiles à obtenir dans le dédale administratif français si célèbre à décrypter. Michel était tenté de baisser les bras. Les seconds nécessitaient de l’audace et une certaine dose de culot.
Deux ou trois inconditionnels du lapin répondirent à l’annonce parue dans Le chasseur français.
Je ne connais ce mensuel que pour les petites annonces de rencontres amoureuses qui y paraissent.
N’en déduisez rien ! Michel, qui n’a rien d’un chaud lapin, n’y vit aucune allusion in tant soit peu érotique. Pourtant, me direz-vous, les lapins sont des mammifères particulièrement prolifiques.  Qui ne connaît l’expression « baiser comme un lapin »? De là a amalgamer Michel à ce petit animal à poils, un brin d’imagination suffit et j’en ai beaucoup.  Trêve de plaisanterie, brisons là.
Sur le peu de réponses qu’il reçut, Michel contacta par téléphone ses interlocuteurs épistolaires, leur donnant rendez-vous à mi chemin.
Le seul qui s’y rendit lui posa plus tard un lapin qui, lui, n’était pas de garenne, mais bien réel. Michel fut très déçu mais se fit une raison, se disant qu’on ne peut pas courir deux lièvres à la fois, qu’obtenir des autorisations pour Orly était prioritaire, que, seul, il n’aurait que lui sur qui compter et qu’il disposerait des coudées franches dans son expédition aéroportuaire.
Il n’obtint aucune réponse à ses nombreux courriers d’abord expédiés simplement puis en recommandé. Les administratifs restaient miets, d’une inertie totale et absolue.
Lorsqu’on veut ignorer une question, ne pas répondre à une interrogation, le mutisme n’est-il pas l’arme la plus imparable ? Nombre d’administrations pratiquent le silence, espérant escamoter la requête d’un citoyen qui abandonnera par lassitude et usure…
Michel n’est pas homme à laisser tomber. Il pensa : « Qu’à cela ne tienne, j’irai coûte que coûte à Orly voir si je peux attraper incognito un couple de garennes. »
Cette décision mrise, notre téméraire annonça à son épouse et à ses enfants son idée d’escapade parisienne mais omit de les aviser de son véritable but, préférant leur parler d’une visite à une soeur perdue en banlieue.
Il fit ses valises, se munit d’une grande cage pour piéger les lapins, n’oublia ni les carottes, ni les pissenlits pour appâter les animaux, ni une paire de jumelles pour bien les distinguer sur le terrain.
Au volant de sa voiture jaune, il accomplit d’une traite les cinq cents kilomètres qui le séparaient de la capitale.
Il rejoignit le sud de la ville, se laissant diriger par le vol des gros avions qui sillonnaient l’azur sans nuages.
Arrivé sur le parking de l’aéroport, il suivit le flot des voyageurs qui s’engouffraient vers l’entrée de la porte principale.
Le plan Vigipirate et la peur des attentats avaient multiplié le nombre d’agent de l’ordre, de contrôleurs et de surveillants.
Michel avait prévu cet aléa. Comment passer inaperçu quand tant de personnes sont susceptibles de vous remarquer ?
Notre intrépide avait amené une panoplie de mécanicien; en l’occurrence une salopette verte ainsi qu’une burette d’huile.
Il enfila le vêtement dans les toilettes et sortit vers les portes d’accès aux avions. Personne ne prêta attention à cer grand gaillard… La chance le suivait…
Une fois le portique franchi, il se dirigea d’un pas pressé vers un A.T.R. de la Lufthansa. C’est là qu’il accomplirait son forfait.
Le cœur battant la chamade, il s’aventura sur la pelouse; déjà à l’affût d’une trace des rongeurs.
Il s’abrita derrière la passerelle pour accéder au gros porteur, prit son élan et se mit à courir comme un lapin vers l’étendue herbeuse qui constituait un immense terrain de chasse.
Mal lui en prit. Un vigile l’aperçut et déclencha l’alarme. Un mégaphone aboya alors quelques ordres brefs : « Arrêtez vous immédiatement et couchez vous ! Vous êtes en état d’arrestation !
Tétanisé dans sa course à pied, Michel laissa échapper sa burette d’huile et leva les mains en bégayant : « Je me rends… Ne tirez pas ! » Un agent de sécurité s’approcha de lui; Michel fit un geste brusque qui surprit son poursuivant.
Celui-ci lui asséna aussitôt un violent coup sur le crâne très mal placé. C’était le fameux coup du lapin !!! C’était sûr ! il aurait une grosse bosse en plus d’en voir trente six chandelles !
A la poursuite de ce quadrupède, Michel le recevait… sur la buque.
Il fut emmené menotté dans le panier à salade, les carottes dans un sac, à côté de la cage.
Au poste de police, il fut mitraillé de questions puisque suspecté de terrorisme : un interrogatoire ininterrompu s’ensuivit donc.
Ii eut beau clamer son innocence et dévoiler les vrais motifs de son intrusion sur l’aéroport d’Orly, les agents mirent sa parole en doute. Ils prirent des renseignements auprès de la préfecture du Puy en Velay dont il dépendait et auprès de la fédération de chasse départementale. Leurs réponses confirmèrent les déclarations du prévenu. Les forces de l’ordre furent donc contraintes de relâcher notre présupposé délinquant.
Cependant, cette aventure rocambolesque eut une fin heureuse. Le préfet altiligérien contacta le responsable d’Orly qui chargea un subordonné habilité de récupérer un couple de garennes dont l’aéroport est envahi.
Michel vit donc sa hardiesse et son imagination récompensées; les grands pontes du gouvernement ne désirant pas se mettre le lobby des chasseurs à dos en prévision des prochaines &lections car ceux-c n’auraient pas hésité à soulever tout lz Landerneau.
Michel regagna ses pénates et se rendit au foyer d’accueil médicalisé où il travaille. Là, ses collègues lui avaient concocté une belle surprise : un bon civet de lapin l’attendait pour fêter son retour ! On lui apprit en sus que, dans le jardin du F.A.M., un garenne avait élu domicile; celui-ci avait grignoté les panais, les salades et autres légumes en son absence !
Suite à cette nouvelle, il effaça à la perceuse Black & Decker le blason familial qui ornait la façade de son bureau.
Les armoiries représentaient deux chasseurs visant en turlupinade un gibier à moitié estourbi. En lieu et place, il a calligraphié cette devise : « Rien ne sert de courir de courir au loin comme un lapin, il suffit de regarder autour de soi. »
Depuis lors, nous parlons souvent à Michel du fameux coup du lapin. Objet de nos plaisanteries faciles, il a ainsi acquis une certaine notoriété. Il a été promu au rang de star du F.A.M. Preuve de sa célébrité en est l’histoire que je vous ai relatée.

2002

Comic Sans MS

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