Nanou


Ce samedi 8 août 2014, à l’occasion de la fête d’Alleyras,  j’ai eu le bonheur de revoir Serge Fournier que nous appelions Nanou. Il venait en vacances chaque année à Pont d’Alleyras chez ses grands-parents paternels qui y possédaient une maison. Sa grand-mère Marie-Louise Ruat et son grand-père Gustave l’accueillaient pendant les trêves scolaires. Ce dernier était conducteur de train et je le revois dans son bleu de travail, le visage noirci par le charbon qu’il devait mettre dans la chaudière pour  alimenter la locomotive à vapeur de mon enfance. Gustave disposait au rez-de-chaussée de sa demeure d’un atelier dans lequel il travaillait le fer. Il a dû transmettre son habileté manuelle à son petit-fils puisque celui-ci m’a dit qu’il avait fait pas mal de travaux lui-même dans sa propriété de Bonnefond et qu’il continuait toujours à y bricoler, qu’il y faisait même un jardin. Son épouse Brigitte, chaleureuse et naturelle, l’accompagnait. Je ne la connaissais pas et elle m’a conquise d’emblée par sa spontanéité. C’est assez rare pour que j’en fasse  état.
Malgré les plus de quarante années qui séparent le moment où je l’ai vu  pour la dernière fois dans ma jeunesse, j’ai tout de suite reconnu Nanou : il avait gardé ses mêmes yeux pétillants et rieurs, ses sourcils noirs et broussailleux, son sourire malicieux, son regard direct , sa simplicité, son aisance communicative. Il n’est plus revenu au village de nos vacances d’enfant, puisque ses  grands-parents sont depuis longtemps décédés et que la communication entre ses parents et lui a été rompue. Le temps a passé et ce statu quo a perduré. Voilà pourquoi nous ne nous étions jamais rencontrés.
Nanou a un an de moins que moi mais il a pu prendre sa retraite depuis quelques années, S.N.C.F. oblige ! Comme je lui en faisais la remarque, il m’a retorqué qu’à l’Education Nationale, nos avantages patents sur notre quantité de vacances sont inégalables et il a eu raison ! Je retrouve bien là le gamin vif de mon enfance à la répartie bien à propos !
Nous avons bien sûr évoqué nos souvenirs d’enfants, les copains communs, nos activités de mômes, nos ressentis d’autrefois, l’ambiance de notre village… Par rapport à la maison de ma mémé, il suffisait que je suive la route et Nanou habitait juste de l’autre côté du pont qui enjambe le Malaval. Je me souviens qu’il bénéficiait d’une liberté que je n’avais pas : « gardez vos poules, je lâche mes coqs » disaient les gens plus âgés que moi dans les années cinquante et même soixante, avant que mai 68 ne vienne balayer ces recommandations désuètes.
C’était une expression que j’entendais dans ces années-là  alors que j’étais une petite fille et cette phrase me plongeait dans des abîmes de questions avec cette histoire de basse-cour qui arrivait là, comme un cheveu sur la soupe… C’était au départ  quelqu’un du coin qui n’avait que des garçons et c’était bien dans l’air du temps machiste que de penser que si les filles ne voulaient pas être enceintes, il valait mieux qu’elles restent chez elles ! Cette remarque me révoltait déjà et affurmait mon futur penchant contestataire et rebelle face à cette équation que je refusais d’admettre.
Bon, en même temps, on se demande bien ce que les coqs allaient pouvoir faire entre coqs, alors que leurs sorties étaient justement essentiellement de trouver des poules et de jouer de la crête ! Mais on sait, depuis, que le machisme n’est pas non plus la chose la plus rationnelle qui soit !
Dans ces années-là, donc, les filles ne couchaient pas ! Si d’aventure elles le faisaient, tant pis pour elles si elles avaient « un polichinelle dans le tiroir » ! Après tout, elles l’avaient bien cherché, non ? L’anathème était jeté sur les « filles-mères » et la honte sur leur famille. Ou alors, il fallait « régulariser ». Et les familles faisaient en sorte que celles qui avaient « fauté » (on disait bien comme cela à l’époque) soient épousées par ces gars qui, eux, avaient « la gâchette rapide » ! Question expression, là encore, on voit bien la différence de traitement… Quand ces jeunes gens-là se mariaient, on disait qu’ils avaient tant et si bien « fricoté » qu’ils avaient « fait Pâques avant Carême » ou « mis la charrue avant les boeufs ». Et ça chuchotait à qui mieux, avec des airs entendus…
Pourtant, le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils n’étaient pas tous désirés, ces enfants, loin de là, je suis bien placée pour en parler… Aujourd’hui, j’en rigole en vous faisant ce petit florilège d’expressions imagées, mais c’est après des années de psychothérapie ! Mais ceci n’était qu’un aparté, on reparlera sûrement de ces naissances non désirées qui étaient le quotidien de nos mères qui l’ont si souvent mal vécu, avant de  le faire mal vivre à leur progéniture !
Quand nous étions petits, Nanou construisait des bateaux en écorce que nous faisions flotter sur les rigoles du pré en face du  moulin qui servaient à l’irrigation de son sol sableux.. Je me souviens qu’il en avait baptisé un le Kon-Tiki. Au bord de ce pré coule la rivière dans laquelle nous prenions des écrevisses qui m’a-t-il confirmé, ont disparu vers 1970. Comme moi, il ramassait sous les cailloux des vers d’eau pour la pêche. Nous avons rappelé nos escapades buissonnières sous le moulin lorsqu’on nous avait accusé de vouloir mettre le feu alors que nous avions seulement besoin de torches pour nous éclairer dans l’obscur dédale de la voute du moulin et que nous nous essayions à fumer d’infectes cigarettes faites de sciure et d’herbes sèches dont le parfun d’interdit nous attirait irrésistiblement. J’avais alors commencé à écrire nos avenures que je partageais avec Martine de la Vigne, Nanou, mon cousin Pascal F. et peut-être Nisou mais je n’en suis pas sure. J’écrivais des chapitres inspirés des livres le club des Cinq de la bibliothèque verte et les illustrais de petits dessins imageant la réalité de nos aventures cachées aux regards des adultes. Je me souvions de deux lieux interdits : celui-ci et un second dans la vieille maison de la Julie Tintin.
Ma mère courait derrière Nanou en l’invectivant et en  le menaçant d’un bâton mais elle ne pouvait pas l’atrapper tant il courait plus vite qu’elle. Quant à moi, je recevais ma râclée à mon retour à la maison. Mais, j’avais eu le bonheur de brâver les interdits le temps des aventures de notre clan. Ma mère était tombée sur le cahier dans lequel je racontais nos aventures et l’avait lu puisque j’ai retrouvé un jour qu’elle y avait ajouté cette dédicace  : « au lieu d’écrire de pareilles conneries, tu ferais mieux de faire tes devoirs et d’apprendre tes leçons ». Cette remarque tout à fait injuste puisque j’étais une bonne élève m’a traumatisée : j’ai jeté le cahier et décidé de ne plus écrire.   Un véritable outrage à notre espace de liberté ! Ma mère n’a plus jamais rien su de mes écrits depuis cette profanation que j’ai extrêmement mal vécue.
Nanou est véritablement lié à mon enfance. Je me souviens encore qu’il s’était cassé le bras en chutant alors que nous faisions du vélo. J’allais ensuite souvent le voir pour le réconforter. Ma mère qui n’aimait pas que je sorte de la maison pour aller retrouver les copains tempêtait contre lui, imaginant sans doute quelque turpitude dont notre âme d’enfant aurait été bien incapable.
J’ai ce jour là fait la connaissance d’un couple de ses amis qui habitent Alleyras et de sa fille, une jolie jeune femme institutrice qui aura bientôt un enfant, ce qui explique pourquoi Nanou agrandit sa maison de Bonnefond.
Nous étions des copains d’abord.
https://www.youtube.com/watch?v=rslShTbqNbo

Aout 2014

 

 

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