Une terrible beauté est née

Le concours biennale du design de Lyon titrait ainsi la future nouvelle qui devait obligatoirement comporter 2011 signes espaces compris.
Ce texte écrit par Alice est une référence au poème Vénus Anadyomène : Arthur Rimbaud parodie les blasons mythologiques classiques et propose une poèsie nouvelle. La voici…

Vénus anadyomène

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ; 

Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
- Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Arthur Rimbaud - Cahiers de Douai - 1870

« Une terrible beauté est née’

Année 1870. Paris. Un homme, poète, est en proie à l’emplein de révolte. Il était une fois sa fille nommée Anadyomène, la plus belle qu’on eût jamais vue; toutes les femmes enviaient sa beauté, et tous les hommes en étaient plus fous encore. Elle possédait des proportions parfaites, des cheveux dorés, un teint de nacre… Un jour, elle se réveilla d’un sommeil particulièrement long et profond et, alors qu’elle s’apprêtait à faire sa toilette matinale, elle fut étourdie par la laideur de son image que lui renvoyait son reflet dans le miroir. Les temps suivants, il n’était ni ces mêmes femmes qui l’admiraient, ni ces mêmes hommes qui l’aimaient, qui ne s’enfuit en la voyant. Mais son père, lui, n’était en rien repoussé par son nouvel aspect. Au comble de la tristesse et de l’ironie, la jeune fille s’aperçut qu’elle portait deux mots gravés sur les reins : « Clara Vénus » qui lui rappelaient sans cesse sa radicale métamorohose.
Ce jour là, il compose d’ailleurs le portrait d’une femme laide, le reflet inversé de ceux qu’il avait pu téaliser de la beauté.
Ce jour là, elle comprit tout : cette femme, c’était elle; elle n’était donc que pure création. Mais une création observée, lue.
Sa laideur ne laisse donc pas indifférent. La voila en fin de compte rassurée : cette laideur, portée à un tel degré d’absolu, confine à la beauté. Le poète l’a faite hideusement belle.

Alice, octobre 2014

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3 réponses à Une terrible beauté est née

  1. viviane dit :

    Merci pour votre commentaire qui m’a fait un grand plaisir !

  2. Alice dit :

    Non, mon texte n’est pas hermétique ! Si on connaît la référence littéraire, si on reconstruit la mise en abyme…
    Je l’avais livré au Jury du concours sans explication et sans le texte de Rimbaud alors peut-être que ça a fait flop.
    Quand la littérature parle de littérature ; je méritais de gagner, hein ?

    L’auteur

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