Que ma campagne demeure !


Jean Giono, grand chantre de la terre provençale, commence son roman
Colline aux allures de poème en prose en campant un décor champêtre.

Quatre maisons fleuries d’orchis jusque sous les tuiles émergent des blés drus et hauts.
C’est entre les collines, là où la chair de la terre se plie en bourrelets gras.
Le sainfoin fleuri saigne dessous les oliviers.  Les avettes dansent autour des bouleaux gluants de sève douce.
Le surplus d’une fontaine chante en deux sources. Elles tombent du roc et le vent les éparpille. Elles pantellent sous l’herbe, puis s’unissent et coulent ensemble sur un lit de jonc.
Le vent bourdonne dans les platanes.
Ce sont les Bastides Blanches.
Un débris de hameau, à mi-chemin entre la plaine où ronfle la vue tumultueuse des batteuses à vapeur et le grand désert lavandier, le pays du vent, à l’ombre froide des monts de Lure. La terre du vent.
La terre aussi de la sauvagine : la couleuvre émerge de la touffe d’aspic, l’esquirol, à l’abri de sa queue en panache, court, un gland dans la main; la belette darde son museau dans le vent; une goutte de sang brille au bout de sa moustache; le renard lit dans l’herbe l’itinéraire des perdrix.
La laie gronde sous les genévriers; les sangliots, la bouche pleine de lait, pointent l’oreille vers les grands arbres qui gesticulent.
Puis le vent dépasse les arbres, le silence apaise les feuillages, du museau grognon ils cherchent les tétines.
La sauvagine et les gens des Bastides se rencontrent sur la source, cette eau qui coule du rocher, si douce aux langues et aux poils.

Dès la nuit, c’est dans la lande, la reptation, patte pelue, vers la chanteuse et la fraîche.

Et, de jour aussi, quand la soif est trop dure.

Le sanglier solitaire hume vers les fermes.

Il connait l’heure de la sieste.

Il trotte un grand détour sous les frondaisons, puis de la corne la plus rapprochée, il s’élance.

Le voilà. Il se vautre sur l’eau. La boue est contre son ventre.
La fraîcheur le traverse d’outre en outre, de son ventre à son échine.
Il mord la source.

Contre sa peau ballotte la douce fraîcheur de l’eau.
[...]
Lure, calme, domine le pays, bouchant l’ouest de son grand corps de montagne insensible.

Des vautours gris la hantent.

Ils tournent tout le jour dans l’eau du ciel, pareils à des feuilles de sauge.

Des fois, ils partent pour des voyages.
D’autres fois, ils dorment, étalés sur la force plate du vent.
Puis, Lure monte entre la terre et le soleil, et c’est, bien en avant de la nuit, son ombre qui fait la nuit aux Bastides.

Jean Giono

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