Gilbert Boudoussier : La fête au village

Résultat de recherche d'images pour "aussac alleyras"Lors d’une fête de Vabres de l’été 2002, j’ai acheté un exemplaire des crayons de l’arc-en-ciel,  livre écrit par Gilbert Boudoussier d’Aussac, un copain d’école. Son roman se situe dans la commune d’Alleyras qui a bercé son enfance et plus particulièrement dans le hameau d’Aussac où il s’est gorgé de souvenirs  colorés. Chapeau bas Gilbert !

Dans quelques jours, ce sera la vogue du Pont d’Alleyras et, si on avait fini de faner, ce serait bien mieux !
Dans ces départements ruraux où une fête ou deux par an est toujours la bienvenue, on s’y prend à l’avance. Les femmes ont plus de travail qu’à l’accoutumée, ne serait-ce que pour préparer le repas de midi. Ce jour-là, on mange abondamment et on boit beaucoup. On tuera la poule grasse ou le vieux coq. On choisira des pommes de terre au four avec du thym et du laurier, précédés d’une salade du jardin. On aura en dessert une bonne salade de fruits agrémentée de kirsch ou de rhum. On boira du mousseux ou de la clairette de Die et du vin de Belledent, le négociant de Cayres (Réjout), personnage boiteux, petit et costaud.
La fierté se lira sur la visage de maman lorsqu’elle présentera ses plats à table car elle aime bien faire manger son monde. Le soir, le repas sera vite fait : on finira les restes de midi. Puis, les vaches nous donneront un peu de travail avec la traite et la litière. Nous serons alors libre de repartir.
Quand le clocher de l’église aura sonné les douze coups de midi et après avoir assisté à la messe, La fête commencera alors.
Le soir, il y aura musette et saxo, caisse claire et accordéon qui résonneront dans ces gorges de l’Allier, ma vallée, mon pays d’enfance entre Margeride, Gévaudan et Devès.
Au cours de cette mémorable journée, on rencontrera Tonin Garrel, l’homme pilier du comité des fêtes avec sa vieille Citroën Trèfle couleur jaune qu’il restaure amoureusement dans son petit atelier. Il s’occupera detous les jeux d’enfants, de la course en sac, de la poêle dans la farine, de la pièce, de la boule entre les deux paquets de gauloises, du jeu de biches.
Le manège ancien lancé à bras tourne vers la bascule devant chez Rayot et Cacaud avec ses balançoires en forme de barques, une multitude de tirs partent devant chez Chabrier-Durand, aubergiste. Jusqu’à la barrière, ce ne sont que de petits baraquements de tirs où l’on entend le claquement sec des carabines à plomb 6 mm dans un alignement presque parfait. Ce soir, je rentrerai à la maison, chargé de fleurs en plastique aux couleurs vives. Car Papa m’aura tout « tombé » avec sa carabine. D’ailleurs, il s’en verra interdit car trop adroit.
Il fait très chaud sur l’avenue de la gare et la poussière augmente notre soif. Devant chez Cacaud et Rayot qui s’appelait auparavant Sardier, manèges et balançoires ont envahi la place. Nous sommes dans l’euphorie de la fête avec la cohue, la rencontre de gens heureux de ce jour mémorable de vogue, au milieu d’un mélange de gaufres, de fumée de cigarettes, d’odeur de pétards. Au loin, on entend l’orchestre qui distille la couleur musicale du bien-être. Ce bal magique fait de rencontres.
Papa m’a acheté une voiture de course couleur alu, brillante avec des roues rouges et m’a promis qu’après le feu d’artifices de ce soir, si je suis sage, il m’offrirait ce petit rouleau orange aux trois roues noires.  Je suis content d’être avec lui car il me gâte, bien trop selon Maman ! On l’accoste et on l’interpelle à chaque pas : « Milou, Milou ! » et on lui serra la main, on l’invite à boire un coup à la buvette. Milou, on l’aime beaucoup. Il est descendu de son village d’Aussac comme tant d’autres pour participer à la fête.
A la buvette, il faut jouer des coudes pour se faire servir : on apprécie tellement mes parents ! Je ne m’en plains pas car je peux enfin entrevoir un peu l’orchestre qui met tant d’ambiance. Dans mon habit trop juste neuf que j’ai mis spécialement pour ce grand jour, je me sens mal à l’aise.
Le parquet salon avec ses ampoules aux belles couleurs, ses guirlandes aériennes qui traversent le bal d’un côté à l’autre, toutes ces décorations lui donnent un air de fête. Devant l’orchestre, un papier crépon rouge, accroché avec éclat et du plus bel effet, avec des branches de sapin vertes, souligne ce lieu mythique. La batterie verte ou bleu pailleté et la clochette sur la grosse caisse, la caisse claire que je perçois à peine au milieu des supports chromés et étincelants, donnent gaieté et enthousiasme. L’accordéon m’entraine avec les maracas pour un cha-cha-cha. Papa et Maman dansent ensemble et le font bien. On les distingue difficilement dans toute cette foule compacte des grands jours qui les entraine et ils oublient leurs tracas quotidiens. L’ambiance les exalte. Je suis debout sur un banc bancal à côté de la batterie, l’instrument majeur qui accompagne les rythmes et qui maitrise le tempo. Je ne le quitte pas des yeux.  Il y a aussi une énorme contrebasse, un tambourin, une orgue électronique. La musique m’envahit tant que j’oublie le temps qui passe : ce bel après-midi d’été sous un soleil de plomb entre l’Allier et la voie ferrée est déjà terminé ! Nous allons remonter à Aussac. Après un repas sommaire et avoir rentré les vaches à l’étable, bnous nous préparons à nouveau à redescendre au Pont pour voir le feu d’artifices. Certains le regardent depuis le pont du côté barrière, d’autres sur la route de la Beaume ou du « Pasturaou », de » l’Estrade », du « Couderc ». Nous, nous serons à la barrière, sous les platanes surplombant les toits.
Autre grand moment de la fête : le train « Paris-Nîmes » s’arrêtera un court instant et repartira sous son klaxon triomphal. Les voyageurs seront aux fenêtres tandis que l’Allier, immuable, coulera sous nos yeux.
Le grand boum du départ du feu d’artifices est donné. Les clameurs et cris résonnent dans cette vallée à laquelle les collines répondent en écho.
La cascade de Gourlong, les lueurs du soir et les feux de Bengale illuminent la nuit et se reflètent sur le cours d’eau devenu arc-en-ciel, les fusées dont au devine la couleur au départ éclatent dans le ciel en gerbes d’étoiles bleues, vertes, rouges ou les trois ensemble. Les détonations emplissent la vallée et nos yeux émerveillés admirent ce magnifique  feu d’artifices. Quelle soirée de bonheur §
« C’est fini » s’écrie l’artificier ! Dans l’odeur âcre de la fumée, nous partons. La foule est massée sur la route. On remercie la municipalité pour ce moment.
Notre porte-monnaie est encore plein à cette heure mais les tentations à la dépenses viendront cette nuit. L’instant est merveilleux et le temps s’écoule lentement en cette saison comme le fait l’Allier.
Sublime fête de village en Haute-Loire où l’on oublie tout aux rythmes des couleurs de ce feu d’artifices. Nous sommes déjà loin de la barrière et l’ultime coup de semonce retentit, les applaudissements crépitent et nous arrivons doucement vers le bal. Déjà, les notes entrainantes de l’accordéon nous captivent accompagnées le son de la caisse claire. On se bouscule à l’entrée dans la fumée, le bruit des pétards et la poussière de l’avenue de la gare. En passant devant les tirs, Papa tire encore quelques fleurs. Les forains doivent se souvenir de lui, présent dans l’après-midi.
La fête se termine tard dans la nuit, et je rentre fatigué et les yeux ensommeillés  avec mes parents.
Le lendemain, je retrouverai ce lieu animé désespérément désert.  Seuls, les mélanges d’odeurs d’alcool et de confettis mouillés me rappelleront cette grande fête du Pont d’Alleyras.

Couleurs de gaieté.

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2 réponses à Gilbert Boudoussier : La fête au village

  1. Jean-marc dit :

    Merci Gilbert (et Viviane) de m’avoir fait durant un instant resurgir un passé quelque peu oublié. Les fêtes, les moissons décrites avec une telle précision qu’il me semblait sentir la chaleur d’une journée d’été, le bien être à la tombée du jour et les odeurs de paille. Je suis né en 57 et je passais tous mes étés à Alleyras dans la maison de mes grands parents, famille Chevalier surnommée « Champagne », mon grand père Ferdinand était poseur et ma mère Simone a tenue aussi quelques temps la « barrière » avant de monter à la capitale.
    J’ai connu plus tard ces « fêtes votives », ces manèges et tirs, même à la 22LR sur des ballons jetés dans l’Allier du pont que l’on devaient tirer de la rive (difficile à imaginer maintenant). Les bals populaires ou l’on devait avoir le cachet imprimé sur l’avant bras pour pouvoir entrer et sortir. Les filles étaient assises sur des bancs entourant la piste et les garçons tentaient leur chance auprès d’elles quelques fois sans un mot, se contentant d’avancer en pointant l’index et d’attendre qu’une bonne âme se lève ! .Quelle élégance quand même. Il y avait aussi toujours une bousculade proche de la buvette très vite maîtrisée par un service d’ordre aussi discret qu’efficace . Mais bon, pas de couteaux ou autres armes, des coups de poings avec du sang mais le lendemain seul le coquard était témoin du passé. Merci à bientôt pour partager quelques souvenirs.
    Jean-Marc

    • viviane dit :

      Je suis contente que ce texte te fasse plaisir. Gilbert sera encore plus heureux qu’il t’ait plu. Il est tiré d’un chapitre de son livre que je luis ai acheté il y a un peu plus de dix ans. Gilbert habite à Vic-le-Conte (63) où il est en retraite. Je l’ai eu il y a quelques jours au téléphone. Il vient de temps en temps faire un tour au pays. C’est, comme moi, un garçon très sensible. Il m’a dit qu’il faisait informatiser un autre livre qu’il avait écrit. Moi aussi me rappelle très bien des fêtes, de Tonin Garrel et d’Yvette Portalier qui dansaient divinement , des fleurs de papier crépon qu’on confectionnait avant de la attacher avec un fil de fer sur les branches des sapins.

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