Gilbert Boudoussier : Le couvent


Le couvent à droite de l’église Saint Martin, la cure à gauche

Nous sommes dans les années 1956-1966 et je me sens bien quand j’écris des souvenirs de cette époque. Je revois des scènes de mon enfance…
En ce temps là, le jeudi était le jour de vacance, par conséquent nous n’allions pas à l’école. Nous nous rendions l’après-midi au catéchisme : monsieur le curé était un homme petit et un peu rond, qui portait de grosses lunettes et sentait fort le tabac. Les murs de sa cure en étaient imprégnés et l’odeur s’étendait même jusque dans ses livres. Nous préférions aller chez la béate qui habitait dans le grand couvent d’Alleyras. Dans une petite pièce meublée d’une table qui lui servait de bureau et de sa chaise ainsi que de nombreux bancs, nous apprenions avec solennité la religion catholique selon l’art et la manière qu’avait cette femme  de nous l’enseigner. Je me souviens de ce joli couvent et de sa grande porte double au fond de la cour qui donnait dans la rue. Sur la place se trouvait une deuxième entrée plus petite par laquelle nous passions. Que de fois sommes-nous entrés et sortis dans l’encadrement de cette porte juste à côté de l’église Saint Martin ! Elle était bleue et blanche; sur sa droite, au début de la cour était suspendue une petite cloche à un beau clocheton avec une chaîne qui glissait le long du mur trop haut pour nos petites jambes.
A l’entrée du bâtiment trônait la statue de Saint Joseph,  très bien protégé dans sa niche toujours fleurie. Cette coquette cour arborée était entretenue par les religieuses.  Au printemps, es abeilles butinaient sur les fleurs des arbres fruitiers et donnaient à ce jardinet une note de gaieté qui se mêlait aux couleurs vives des tulipes et des jonquilles. Que d’heureux moments de nos tendres années avons-nous passés dans la cour de cette fabuleuse bâtisse  en jouant à la marelle ou aux billes sous le soleil qui réchauffait le sol sablonneux ! La brise nous apportait les senteurs de la campagne alentour. Le temps s’écoulait paisiblement au gré des leçons et des punitions des deux sœurs et de  la béate. Les cloches de l’église rythmaient cette vie catholique entre les meuglements des troupeaux de vaches, les bêlements des  moutons, les aboiements des chiens. Pendant ce temps, nous apprenions, bien à l’aise, installés dans la petite pièce de ce couvent.
L’un de mes meilleurs souvenirs remonte à un dimanche de Pâques. à la sortie de la messe. Les bonnes sœurs jetaient aux enfants de petits œufs colorés. Quelle joie de courir les ramasser dans la bousculade enfantine et sous la surveillance fébrile des parents et des religieuses ! Nous croquions ces bonbons à belles dents. Nous repartions les poches pleines, la joie au cœur, en riant. Encore un caché sous un caillou ! Nous nous dispersions ensuite sur la place où le poilu du monument aux morts tenait la garde. Au bas de cette place se tenait une épicerie ancienne aux plaques de réclame émaillées vantant le chocolat Union, Pupier, Menier, les piles Wonder, la lessive Tide ou Omo. A l’intérieur, fichées dans de grands bocaux transparents, les confiseries attiraient notre gourmandise.
Nous y enfoncions la main pour prendre des bonbons à dix ou cinquante centimes, de gros caramels Fausta noirs ou au lait, des petits paquets de bâtonnets d’anis, des rouleaux de réglisse…
A gauche, un grand comptoir portait une superbe balance de précision à cadrans de verre entourés de laiton, munis de deux aiguilles; deux plateaux de marbre la complétaient. C’est là que, telle une volée de moineaux, nous accourions toujours au sortir de la messe ou du catéchisme.  J’aimerais que le temps se fût arrêté à cet instant. De belles couronnes de pain étaient accrochées dehors sur les volets pour qu’elles fussent visibles des paroissiens.
La grande horloge de l’église qui avait été offerte par mes ancêtres berçait ce temps de simplicité et de bien-être. En somme un bonheur fait de ces petits riens, une osmose totale…
Ce couvent abritait les dernières sœurs qui soignaient nos maux et nos maladies, se déplaçant à pied vers les villages de la commune pour rendre visite à leurs ouailles. Je les aperçois descendant la route, franchissant la passerelle du ruisseau puis gravissant la côte par l’étroit chemin tortueux jusqu’à la fontaine. Silhouettes fluettes aux voiles blancs souvent présentes dans dans nos campagnes, je pense à vous et j’écris.

Couleurs bénies

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