Gilbert Boudoussier : Les grillons du mercredi


En feuilletant mon album de souvenirs, je m’arrête sur un mercredi, le lendemain  étant jour de repos scolaire. Je devais donc impérativement aller chercher le pain à la seule boulangerie du village après la sortie de l’école, soit à quatorze heures trente.  J’ emmènerai  dans mes bras en plus de mon cartable deux grosses couronnes. Chemin faisant, je les grignotais au fil de mon retour à la maison; mes parents me grondaient parfois de l’avoir fait.
Mais ce beau pain à la mie claire et gonflée, à la croûte caramel et miel par endroits m’attirait irrésistiblement.
J’arrivais dans ce petit commerce : la Juva 4 garée devant était prête à faire la tournée.
La boulangère, madame Moury, se montrait toujours simple et accueillante. Cette famille d’artisans me semblait avoir le cœur aussi tendre que la mie de ses pains.
Bien souvent, c’était le père Broc, le père de la boulangère, qui me recevait derrière son comptoir et me proposait de descendre au fournil pour aller moi-même chercher la tourte de pain de seigle ou les couronnes. Je m’enfonçais dans l’escalier qui conduisait au sous-sol de la boulangerie, dans ce lieu secret de la fabrique, au cœur même de cette maison.
Arrivé en bas, j’étais ravi d’entendre les grillons après mon mercredi  de classe. Il y avait de la farine partout, quelques outils rangés sur la longue table de travail. Au fond, à droite, se dressait le pétrin. Devant l’escalier plastronnait le nouveau four de monsieur Moury de marque Prestige. Toute la commune était d’ailleurs venue voir cette acquisition renversante. Tout au fond, posées sur des rayons, les merveilleuses tourtes de seigle ainsi que les flutes et les couronnes. Quelque peu ému et avec beaucoup de déférence, j’allais prendre ce qu’il me fallait sous la stridulation ininterrompue des grillons : https://www.youtube.com/watch?v=GqUQychsZ8o
Je gravissais ensuite allègrement les marches pour revenir au rez-de-chaussée où m’attendait patiemment le père Broc du haut de son grand âge. Après avoir fermé la porte du fournil, il parlait un peu avec moi. Pendant cette conversation, mes yeux se promenaient sur les étals de la vitrine. Je cédais souvent pour des bonbons Sugus recouverts de papier aux couleurs vives. Je me souviens encore de ces petits sachets de bonbons au papier transparent dont le dessus imitait les anses d’un panier d’osier. J’aimais cette boulangerie pour la convivialité qui y régnait. Le fils unique, Michel Moury est devenu par la suite mon copain à l’occasion de mes premières sorties de jeune  homme. Et, chaque fois que je me rends dans une boulangerie, je pense à celle de mon enfance en sandales ou en galoches. J’ignorais alors que j’emmenais un peu de cette boulangerie de mon village dans mon cartable de carton vert ou en faux cuir de couleur orange pour  le dernier. En tout cas, j’emportais toujours ‘un peu de chaleur dans la fraîcheur de certains soirs après l’école. Je retrouvais ma maison où m’attendaient mes parents, simplement contents de mes emplettes.
Maintenant se trouve toujours chez moi ce pain de l’amitié. Présent à ma table, il conserve ce goût du bonheur simple. C’est ainsi que sont réunis mon ancien et mon nouveau village.

http://www.dailymotion.com/video/x4jetp_la-boulangerie-autrefois_school

Avril 2015

Cette entrée a été publiée dans Textes de Gilbert Boudoussier. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>