Gilbert B. : Les sabots de réglisse

Elle s’appelait Claudette. Nous fréquentions l’école primaire d’un petit village rural du Massif Central. C’était aux alentours des années 1957-1965. Nous étions souvent mal assis sur les tables de bois inclinées et aux dossiers durs, à côté l’un de l’autre.
Au milieu des livres d’Alexandre Dumas, du Petit Poucet, de manuels de géographie et d’histoire ou de grammaires, nous apprenions.
Nous étions des écoliers tristement habillés d’une blouse bleue pour les filles et désespérément grise pour les garçons. Le temps s’écoulait calmement derrière les fenêtres se la classe.
Claudette, une petite brunette légèrement frisée au sourire innocent me charmait déjà. A la récréation, nous restions bien souvent tous les deux à l’écart des autres enfants. Nous nous racontions des histoires ou chantions des comptines tout simplement. Pour les promenades en rang deux par deux, c’était elle qui me donnait la main. Sur ces petits parcours scolaires, nous vivions sans le savoir nos plus beaux moments d’écoliers.
Les parents de Claudette étaient gardes-barrière. Son père, un peu grand mais pas très gros, très sévère, était chef de brigade des poseurs, un grade supérieur. Sa mère un peu forte était plus gentille. Mère et fille se ressemblaient.
Un soir, en sortant de l’école à 16 h 30, comme je passais devant chez elle, elle me dit : « J’ai une petite surprise pour toi ». Puis, elle rentra et me ramena dans sa main, bien cachée, une gourmandise très appréciée à l’époque, deux petits sabots de réglisse. Très ému, j’acceptai le présent modeste qu’elle me faisait, mais offert avec tant de gentillesse et d’amitié, un cadeau de cette fille qui faisait déjà naître un sentiment nouveau dans mon cœur d’enfant.
Je pris religieusement ce présent et le dégustai avec gourmandise et avec un étonnement mêlé de fierté. Pour la remercier, je lui fis timidement une petite bise délicate. Elle apprécia mon geste par un grand sourire qui semblait en dire plus puis elle s’en alla.
J’y pensai toute la nuit et la retrouvai le lendemain matin à l’école. Nous nous regardions en silence, discrètement.
De récréations en promenades, de notre classe à la barrière, nous sommes restés ensemble pendant ces tendres années, insouciants du temps qui passait. Puis un jour, Claudette a quitté la commune, la S.N.C.F. mutant la famille ailleurs. Je ne me souviens pas de ses adieux et je ne sais pas pourquoi. Mon cœur d’aujourd’hui n’a retenu que nos rares instants d’enfants,  passés ensemble.
Où est Claudette aujourd’hui ? J’aime toujours la réglisse en rouleaux mais je la préfère en sabots. La petite fille et moi, ton gavroche, nous ne nous sommes plus jamais rencontrés mais j’aime à imaginer que, comme moi, elle savoure des sabots de réglisse qui fondent dans le palais.
Et pour vous faire sourire :
https://www.youtube.com/watch?v=Y57J4WftsHI

Couleurs gourmandes

Mai 2015

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