Gilbert Boudoussier : La fontaine d’Aussac

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Lorsque l’eau coule au robinet d’une maison ou d’une place, quand je la goûte, je pense à la fontaine de mon pays natal. L’eau a été captée ici, on ne sait depuis quand, certainement depuis fort longtemps et sans doute dans le pré qui porte son nom. Elle comporte quatre bacs, deux de granit , un plus grand en béton et un dernier en pouzzolane, tous destinés aux vaches. Un autre bac de granit de plus petites dimensions,  encadré de trois grosses pierres identiques,  est destiné aux villageois. Sur la plus haute repose une autre pierre aux inscriptions presque illisibles gravées par mes ancêtres lors de la donation. Je l’entends chanter lorsque l’eau sort de la pierre sculptée pour tomber dans le bac, d’un débit toujours régulier, gros comme le petit doigt et pas plus, toujours égal. Oh ! Fontaine de mon enfance, je te revois servant à boire à ton bétail et à tes gens, toi l’espoir et la vie jaillissant de ta source.  Je me souviens de tes journées de bugeade* où les femmes lavaient le linge. Les hommes et les enfants partaient du village jusqu’à la source distante de un kilomètre avec des seaux pour remplir bacs et lessiveuses. C’était la corvée de l’eau. A chacun sa tâche. Un aller-retour incessant pour le précieux liquide. Les seaux en aluminium très lourds furent remplacés par de plus légers en plastique de couleur souvent verte. Quel soulagement pour nos bras ! Les enfants participaient également avec leurs petits seaux en métal de couleur jaune, anciens pots de marmelade, qui souvent n’arrivaient qu’à moitié pleins. Le rite immuable de l’eau. Tout le village était centré autour de l’eau de cette fontaine. Fontaine, que tu es belle au soleil couchant qui fait briller tes pierres au reflet de mica, que tu es fière de tant d’honneur !On t’entretient, on te rend visite, on t’aime, tu nous fais vivre.

Afficher l'image d'origineLes jours de printemps, même les hirondelles profitaient de toi : elles ramassaient la boue créée par le piétinement des vaches et en construisaient leurs nids. Une nuée blanche et noire s’abattait alors sur le village.
Toi, fontaine de mon enfance toujours présente dans mes pensées, mes larmes de regret te font déborder ! Qu’il faisait bon lorsque, montant du ruisseau par un été chaud, nous prenions un peu de fraicheur près de toi ! Quel havre de paix  tu faisais au pied des peupliers qui te surplombaient.
Quel réconfort pour les vaches qui buvaient jusqu’à plus soif les jours de grande chaleur, repartant en laissant tes bacs presque vides ! Oh, fontaine de mes souvenirs intarissables, j’aime ton murmure dans mon oreille. Je m’imagine jouant encore dans le pré de ta source et y fanant aussi. Le beau char bleu de grand-père a laissé ici les traces indélébiles inscrites à jamais sur les reliefs de ton pavage, ainsi que celles de toutes les vaches qui y ont dansé la marche de l’eau. Fontaine, oh fontaine, tu es restée le symbole de la vie, de la pureté dans ce pré de mes ancêtres; tu n’as pu comme moi laver le chagrin de l’abandon. Parfois encore, tu chantes lorsqu’un cheval vient s’abreuver et que son cavalier daigne se pencher vers toi pour goûter ta fraicheur et boire un peu de ton eau. Tu continues à égayer et à animer cet endroit. Fontaine resplendissante sous les rayons au couchant !

Couleurs claires

Octobre 2015

*bugeade : lessive

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