Quels cochons !

Ce nom revêt plusieurs significations.
Au sens premier, il désigne un porc, soit ce gros mammifère domestique rose et omnivore dont le museau se termine par un groin, élevé pour sa chair essentiellement et pour son cuir secondairement. Il désigne aussi la viande de cet animal. « Dans le cochon, tout est bon », disait ma grand-mère Victorine Archer. Il a ici pour synonyme cochon.
Au sens figuré, et pris comme adjectif, ce terme peut qualifier quelqu’un ou quelque chose de mauvais, malfaisant ou déloyal. Ne dit-on pas « quel cochon de temps » lorsque le climat est exécrable ou alors,  « cet homme, quel cochon ! » quand on a à faire à un homme  malpropre, sale, dégoûtant, licencieux ou pornographique. Pour ma part, j’ai connu des cochons dans les deux acceptions du terme au cours de ma vie, alors il y a matière à écrire !
On trouve ce mot dans plusieurs expressions qui ne sont pas exhaustives :
- Cochon de lait : porcelet qui tête encore ou n’a été nourri que de lait.
- C’est du lard ou du cochon ? : se demander de quoi il s’agit exactement.
- Cochons de payants : contribuables.
- Bon à garder les cochons : incapable, n’être bon qu’aux plus basses besognes.
- N’avoir pas gardé les cochons ensemble : ne pas être du même milieu.
- Être sale comme un cochon : par allusion à la saleté qu’on prête au porc.
- Manger comme un cochon : se goinfrer.
- Travailler comme un cochon : sans soin.
- Donner de la confiture à des cochons : offrir quelque chose de beau ou de bon à qui est incapable d’en apprécier la valeur.
- Quelle tête de cochon : quel mauvais caractère.
- Cochon qui s’en dédit : formule de mise au défi utilisée plaisamment à la fin d’un engagement.
- Copains comme cochons : très bon copains.
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Dans mon enfance, ma grand-mère élevait un porc pour le consommer ensuite ou vendre sa viande. Car elle faisait ponctuellement profession de bouchère-charcutière à Pont d’Alleyras. Les jours de « tuailles» étaient mémorables car il y avait tout un remue-ménage à la maison. Mon oncle allait chercher le condamné dans sa cabane et le conduisait à l’échafaud pour son exécution programmée et soigneusement organisée. J’assistais dans la fleur de l’âge au massacre de cet innocent dont le seul défaut résidait dans ses qualités gustatives, la conservation de sa viande et le peu de pertes dans l’animal. Victorine prétendait que 80% du porc pouvait être consommé, bien davantage que pour d’autres viandes.
Un fil à la patte, mon oncle André le conduisait dans la cour jusqu’à une échelle posée à plat sur le béton, y couchait l’animal avant de sangler ses membres sur ce bâti de fortune. Et quels cris ! Si stridents qu’ils sont encore ancrés dans ma mémoire ! Je me disais : « C’est quand même dégueulasse de tuer une bête comme ça » et je vilipendais intérieurement mon oncle et ma grand-mère mais je savais aussi que cette tuerie faisait partie intégrante de notre vie campagnarde et était nécessaire à la poursuite harmonieuse de la maisonnée. Mais ces cris ! Ceux d’un cochon qu’on égorge, dirai-je plus tard. J‘en ai conservé le souvenir inoubliable et perçant : « Oooooinnnkk…uuiiiii…rrrooo » : si je ferme les yeux, je sais qu’on égorge un cochon.  Victorine qui avait préparé et aiguisé ses grands couteaux, cherchait la jugulaire tapie dans le cou et y plongeait d’un seul coup plein d’assurance la lame pointue et aiguisée dans la chair palpitante. Le cochon criait toujours et des flots de sang se projetaient par saccades de ce trou, suivant les battements du cœur. Ce sang était recueilli dans un seau placé sous l’entaille et Victorine tournait ce liquide rouge et mousseux avec son poing et son avant-bras. Une boucherie épouvantable pourtant ! Les cris de la bête allaient s’amenuisant au fur et à mesure de son agonie inéluctable. Et dire que c’était jour de fête ! Sacrilège et bénédiction ! Que Dieu ait l’âme de la pauvre bête et nous les cochonnailles ! C’est affreux et lamentablement vrai. En ce temps-là, Brigitte Bardot ne s’insurgeait pas encore de l’abattage sans étourdissement préalable de l’animal de boucherie et les gens de la campagne avaient toujours connu ce genre de scènes qui ne leur faisaient ni chaud ni froid, habitués qu’ils étaient aux nécessités contingentes de leur vie paysanne.
Le porc passé de vie à trépas, mon oncle s’évertuait à faire griller les poils de sa peau à l’aide d’un petit chalumeau à gaz. Puis, une à deux personnes raclaient son cuir avec une spatule, un rasage complet en quelque sorte. Et on rinçait cette couenne mise  à nue à grands coups de seaux d’eau.  Ensuite venait  l’éventration du cochon pour enlever toutes les viscères sans, évidemment, les endommager. Mon oncle levait alors l’échelle et l’appuyait contre le mur. Le cadavre se trouvait alors suspendu par les pattes arrière, tête en bas. Pied Blanc qui avait guetté la scène s’approchait pour lécher les dernières gouttes de sang qui tombaient sur le béton de la cour. Victorine pouvait officier et mettre en pratique l’art de la boucherie que lui avait enseigné Camille du Brayat, boucher au Pont et à la tête d’un troupeau de brebis conduit par son mémorable chien Parpaillou. Les boyaux sortis par cette éventration prenaient une large place ; on voyait l’interminable longueur de l’intestin grêle tout en circonvolutions suivis de la blancheur du gros intestin bien plus court.
On récupérait presque tout ! Une fois les boyaux réservés, la mémé les lavait et les grattait sur une planche de bois. Parfois, elle me sollicitait pour vider de l’eau dans les boyaux afin de les rincer soigneusement. Certains d’eux étaient alors  utilisés pour faire du boudin avec le sang.  Victorine le cuisinait, accompagné d’herbes, dans la chaudière de fonte allumée pour l’occasion.
Une grande partie de la  viande était hachée avec de la graisse  pour faire de la saucisse et du saucisson. La différence entre la saucisse  et le saucisson résidait dans la taille des boyaux, plus fins pour les saucisses. Si celles-ci étaient consommés fraîches, les saucissons étaient toujours conservés au grenier pour le séchage et on en consommait toute l’année. Une autre partie de la viande hachée à  laquelle on ajoutait le foie servait à faire le pâté.
http://www.wat.tv/video/juliette-tout-est-bon-dans-tc4f_2fgqp_.html
Victorine salait le plat de côtes et le lard pour assurer leur bonne conservation avant de les mettre au charnier. Elle faisait aussi du saindoux avec la graisse mise à fondre puis la vidait dans des sacs de papier où elle se solidifiait.
Les pattes  du cochon, vidées des os et de la viande étaient farcies aussi avec de la viande hachée  et on fermait chaque patte aux extrémités en les cousant avec de la ficelle. On obtenait un jambon qu’on   laissait sécher et qu’on mangerait   dans l’année, cuit dans de l’eau, pour quelques grandes occasions.
Le lendemain de la « tuaille», à l’époque où le congélateur n’existait  pas, on faisait du pâté, des moches enveloppées de crépine, du « fromage de tête » fabriqué avec la tête, les pieds du cochon, la queue …
J’aimais le boudin noir que faisait Victorine. On l’accompagnait souvent de pommes canada grises tranchées et poêlées. Le tout fondait dans la bouche. Depuis ce temps béni, je n’achète plus de boudin noir ni n’en mange, dégoûtée de ne plus retrouver ce si bon goût d’antan et écœurée par le sang impur lié aux scandales provoqués par l’alimentation animale avec ses farines frelatées.
En Polynésie, les cochons n’étaient pas roses mais gris. Les autochtones raffolent de leur viande et en élèvent. Attachés par une corde à une patte qui les relie au tronc d’un manguier ou d’un cocotier, ils mangent la pulpe des noix de coco et des mangues mures qui abondent. Les insulaires les consomment en groupes et les préparent au four traditionnel de là-bas.
https://www.youtube.com/watch?v=gG-lUpYydKg

La seconde variété de cochons remonte à mon enfance villageoise. Il y avait quelques hommes dont il fallait se défier. Les fillettes, filles, jeunes filles ou femmes étions particulièrement la proie de leurs désirs lubriques. J’en ai connu quelques uns.
L’un deux tenait un café. Deux autres habitaient, comme nous disions « de l’autre côté de l’eau ». Un jour, ma grand-mère m’avait chargée d’amener du beurre et du lait à un couple. Je devais avoir six-sept ans et roulais avec mon petit vélo. Je frappai, seul le mari m’ouvrit. Je ne savais pas que cet homme déjà âgé était un être lubrique, dominé par ses désirs charnels au point de s’en prendre à la fillette que j’étais. Je pleurais et, affolé,  il me rendit ma liberté, non sans m’avoir proposé des bonbons pour acheter mon silence. Peine perdue ! Au retour, je racontai l’histoire à Victorine. Elle garda le silence et prit son couteau de boucherie avant de se rendre, menaçante, de l’autre côté de l’eau. J’ignore ce qu’il s’y passa mais ce cochon pervers ne m’importuna plus.
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Février 2016

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