Valentine Laprat, une enfant « exposée »

Cet article est le fruit de rencontres généreuses et désintéressées d’une poignée de personnes animées par l’esprit de connaissance et d’entraide.
C’est grâce aux recherches effectuées par Gérard Varlot d’Alleyras auprès des archives départementales de la Haute-Loire que j’ai reçu ce dossier et grâce à l’aide collaborative  de mon cousin Michel Couprie qui m’a fourni beaucoup de documents.

Ce dossier narre les péripéties de mon aïeule qui est  aussi celle de mon cousin Michel;  ce dernier m’a envoyé des documents généalogiques et la seule photo que je possède de cette arrière-grand-mère. Tout ce travail apporte une réponse majeure à des interrogations qui m’ont pendant longtemps turlupinée. Car une chape de plomb pesait sur ce secret longtemps resté pour moi mystérieux. Que Gérard et Michel en soit ici chaleureusement remerciés ici car, sans eux, ce texte n’existerait pas !

VALENTINE  LAPRAT
ou
Un destin semé d’embûches

Il est des vies toutes tracées. On parle  de cuillère dorée ou simplement d’une vie sans histoire.

Celle de Valentine n’est pas tragique, mais elle aurait pu l’être. Vous le verrez tout au long  de ces lignes.
Le 13 février 1865, il faisait froid sur Craponne (aujourd’hui Craponne-sur-Arzon). Vers 21 heures, la nuit était tombée, personne ne se promenait alentours de l’hospice de la ville. Personne sauf une  ombre discrète. Cette ombre tenait, serré contre elle, comme un gros baluchon.
Ce baluchon… c’était une petite fille, née le jour  même dans la demeure de sa maman. Seulement justement,  sa maman ne pouvait subvenir aux besoins de cet enfant. Ne le voulait-elle pas, plutôt ?
Le père n’était-il pas consentant pour reconnaître et élever  ce petit être qui venait de voir  le jour ?
Étaient-ils seulement mariés ses père et mère ? Et où habitaient-ils ?
Tant de questions, si peu de réponses…

Quand le concierge de l’hospice fit la découverte, vite il réchauffa cet enfant âgé de quelques heures.
On enregistra son procès-verbal d’exposition.Le lendemain matin, on enregistra sa naissance à la ville de Craponne.
On commença par noter soigneusement ce que cet enfant portait sur elle. Avec quelques bouts de rubans destinés  à pouvoir, un jour qui sait, prouver que cet enfant avait une origine et le réclamer.
Et puis, un bout de billet qui proclame que l’enfant est ondoyé. On savait bien que le déposer là, si tard, c’était prendre le risque qu’il ne passât pas la nuit.

On lui donne un prénom. Facile et si beau, un 14 février, Valentine serait son doux prénom.
Et puis un nom. Ici se pose le fragile lien avec son origine.  Laprat ! Pourquoi pas ? Pourquoi Laprat ?

Il faut savoir qu’un lieu-dit à quelques lieues de là se nomme Le Prat. Alors imaginer que l’employé, forcément informé des rumeurs sur une naissance de la veille, ait pu donner à ce bébé le nom du lieu-dit ou une jeune femme avait montré des signes de grossesse et …de misère… peut-être de célibat…. Oui, on peut l’imaginer. Valentine, tu es peut-être née dans ce coin de France.
… 14 km entre Le Prat et Craponne.

Procès-verbal d’exposition de Valentine Laprat : traduit en italiques

L’an mille huit cent soixante cinq et le quatorzième du mois de Février à onze heures du matin, par devant nous, Claude Eugène Mosnier, maire de Craponne, arrondissement du Puy (Haute-Loire) a comparu Antoine Fournerie, âgé de cinquante sept ans, concierge de la mairie et tailleur d’habits, habitant la ville de Craponne.
Lequel nous a présenté un enfant du sexe féminin naturel, exposé le treize du mois de février à 9 heures du soir devant le domicile de l’hospice de Craponne, situé à Craponne.

Il avait au corps deux chemises en toile fil blanc à demi usées et quatre draps blancs aussi fils à demi usés. Deux couvertures en coton  gris et serrés avec une lisière en fil bleu et blanc. Il avait la tête couverte de deux coiffes l’une en « indienne » blanche à petits picots rouges garnis de pastilles blanches et le second en indienne couleur marron  avec de petites fleurs détachées blanches et noires, garnies avec une broderie à ponts  et par-dessus deux mouchoirs de col, l’un de couleur marron en coton et l’autre en laine de différentes couleurs. Il avait sur la poitrine un petit papier sur lequel était écrit que l’enfant est ondoyé, lequel reste annexé au procès verbal (ren
voi approuvé).

Mais il n’est pas exclu que cet enfant vienne de Saint-Étienne, chose plus fréquente qu’on ne l’imaginerait, ou même d’encore plus loin.Baptisée le même jour, elle doit, selon la loi en vigueur, être amenée au plus tôt à l’hôpital du Puy en Velay, seul habilité à accueillir et centraliser les enfants exposés, abandonnés ou orphelins du département.
Son baptême a lieu dans la foulée dont voici le  certificat :
Valentine, enfant exposé,
Le 14 février 1865,  je soussigné, ai personnellement baptisé Valentine dite Laprath exposée hier à l’hospice de Craponne née …(dont la naissance inconnue) fille naturelle (mère et lieu de naissance inconnus pareillement.)
Les parrain et marraine ont été Auguste Livère  et Rosalie Fournerie qui signent avec nous.

C’est donc le 15 février qu’un messager l’emmènera loin de ses origines, elle n’y retournera jamais.
Un premier miracle que ce voyage dans le froid, en passant le col du Pertuis enneigé, la trouve accrochée à sa petite vie en entrant à l’hôpital du Puy.
La  machine administrative est en route. Valentine LAPRAT, n° de registre 4906, enfant exposé.

Soigneuse recopie des informations données par la ville de Craponne dans le grand et gros registre de plus de 20 kilos.
On trouve aussi son nom dans les mains courantes.
Ou dans les Récapitulatifs :

Il reste à la placer, très vite, si possible très loin.
Souvent, ces petits êtres se trouvaient placés dans des familles à peine moins miséreuses que celles où ils auraient dû vivre. Souvent loin, toujours anonymement. La lecture du numéro spécial  de 2013 de l’Histoire Sociale  de Haute-Loire est édifiante.

Alors notre numéro 4906 est placé, ne suivra que son prénom. Et ce   sera Alleyras. Et ce seront les Gauthier. Habitants de Gourlon puis du Mas de Gourlon.

Cette famille se révèlera comme devenant de vrais parents pour la petite. Elle restera avec eux jusqu’à son mariage.
L’allocation de pension sera payée trimestre après trimestre par le département, le trousseau sera aussi complété.  Pas d’inspection négative, pas de changement de nourrice, pas d’évasion.

Valentine (son prénom aura quand même été donné à la famille Gauthier) sera Valentine enfant de l’Hospice sans précision de nom en 1866. Et puis  un patronyme (Itier)  comme nom de famille en 1871. En 1876, Valentine arbore un deuxième prénom…. Euphrasie, née dans le département, preuve qu’elle est de plus en plus intégrée à la famille ? En 1881, Valentine récupère son nom. Laprat. Elle est annoncée pupille de la famille Gauthier que rien n’obligeait à garder plus longtemps la petite.

Il faut dire que depuis l’âge de 12 ans, il n’y a plus de pension, plus de pièces de trousseau… Et pourtant, elle est chez elle dans ce hameau de Gourlon.

Voici ce que retracent les divers recensements :
- Recensement 1866 -

(pourquoi  ce « Itier » à la place du nom de famille ? …La famille ITIER existe bel et bien sur la commune…)

- Recensement 1872 -Toujours pas de nom divulgué à la nourrice.
La famille Gauthier émigre jusqu’au Mas de Gourlon !

- Recensement 1876

 

 

Cette fois, un deuxième prénom (d’usage ?) est ajouté.
Le père nourricier, Jean Gauthier, décède le 18 juin 1880.

Et Anne-Marie Bonhomme devient chef de famille. Les temps sont bien durs.

- Recensement 1881 – Valentine a 12 ans révolus (16 ans) et son nom a été fourni à sa famille d’accueil.
En 1881,  un nouveau pas est franchi : on la donne comme Valentine Gauthier au recensement. Elle est devenue « Pupille », dans la famille.

 

- Recensement 1886 – Valentine est « sa fille » .

Il faudra son mariage, pour ses 26 ans pour qu’on doive redonner à nouveau le « vrai » (si peu vrai…) nom de LAPRAT.

 

Anne-Marie Bonhomme ou un des « frères » de Valentine n’aurait-il pu être témoin ?

Prosper, le fils aîné de Valentine et d’Hilarion naîtra en 1891.

Leur fille Victorine qui fut notre grand-mère naîtra en 1900, neuf ans après Prosper.
Ici, LA PHOTO que m’a donné Michel, la seule et unique de Valentine : de gauche à droite Hilarion, Prosper, Valentine, devant Victorine.

La suite de l’histoire restera encore peu ordinaire. Mais… avec  ce qu’aura vécu cet enfant,  est-il seulement imaginable qu’aucun poids n’est lourdement influencé sa vie ???__________________________________________

Et après ?
Quand j’étais petite, j’avais bien intégré en mon for intérieur que la mère de ma grand-mère maternelle, c’est-à-dire mon arrière grand-mère, Valentine Laprat, était une personne exclue de nos propos familiaux, objet de secrets, d’interdits énigmatiques, marquée d’un tabou. Mais pourquoi ?

Le mystère s’est peu à peu révélé mais ce n’est que récemment que ce voile s’est totalement levé si l’on peut dire malgré la foule de choses qui me restent et resteront inconnues mais qui ont pourtant jalonné et marqué la vie de Valentine. La voici sur cette photographie, avec sa coiffe.
Valentine : un prénom désuet dans mon enfance qui est aussi le second prénom de ma grand-mère Victorine. Un prénom que j’aime bien… fêté le 14 février, jour de la Saint-Valentin où elle a été « exposée » devant l’hospice.
En ce temps là, cette histoire d’enfants trouvés,  abandonnés dans les hospices et dits « exposés » se produisait mais reste très peu connue de nos jours où l’enfant est roi.
Quelles raisons ont justifié leur abandon ? Ce sont la détresse des mères et la dureté des temps pour nombre de foyers (indigence, maladie, emprisonnement, drames nés de l’illégitimité, fréquence des naissances, statut de mineure de la femme, poids de la tradition religieuse qui pesait sur le libre-arbitre de chacun.)
Devant leur impuissance à garder leur enfant, face à des situations qui leur paraissaient insurmontables, certaines mères ont préféré les confier à l’hospice – une institution qui seule pouvait les aider – du moins le ressentaient-elles ainsi.
Cet abandon, un soir d’hiver en catimini, a dû peser lourd sur la destinée ultérieure de ce bébé mais a sans doute favorisé sa survie. En effet, les enfants abandonnés étaient placés en nourrice et pouvaient connaître des difficultés d’adaptation. Le foyer nourricier était rarement stable, n’apportait pas toujours les soins et l‘attention nécessaires à un nouveau né. Les conditions de vie étaient souvent précaires dans les foyers. Un enfant placé constituait alors un appoint financier recherché plus par nécessité que par simple compassion. Échapper à la mortalité infantile qui sévissait constituait déjà un exploit !
Jusqu’en 1860 existaient ce qu’on appelait des tours d’abandon. Un tour d’abandon est une armoire ronde tournant sur pivot placée dans l’épaisseur d’un mur, ayant une sonnette à côté. Quelquefois le tour est fermé au moyen d’une petite fenêtre percée dans le mur de l’hospice, garnie de deux portes, l’une extérieure, l’autre intérieure. Entre ces deux portes dans l’épaisseur du mur se trouve un petit berceau et dès qu’une personne dépose un enfant, en tournant la porte extérieure, une sonnette se déclenche, permettant à une surveillante de la chambre intérieure d’être avertie.
Ce système vient d’Italie et il permet à une mère de déposer son enfant qu’elle ne peut pas élever et qu’elle désire abandonner de manière anonyme. Ce système répandu en Europe depuis le Moyen Âge fut aboli en France. Il réapparaît néanmoins sous une forme plus moderne en Europe et dans le monde depuis 1996. En Allemagne, le premier tour d’abandon Babyklappe est installé en 2000 ; en 2005 on en trouve 80 dans le pays. En Belgique une association installe ce tour dans le district d’Anvers, sous le nom de Panier de Moïse des mères. Aux États-Unis quelques états ont installé un système similaire Safe heaven Laws dans les hôpitaux et les casernes de pompiers. En Italie, ces tours sont appelées Culle per la vita (berceau pour la vie), on en trouve plusieurs à Rome près des pharmacies. Au japon, on les nomme berceau de la cigogne ou boîte à bébé.
Le dernier tour d’abandon fut fermé dans notre département en 1846.

Enfin, comme l’écrit Michel, le fait surprenant, c’est le cousinage entre lui-même, Gérard et moi du fait de la mère adoptive de Valentine Laprat. Il s’agit d’Anne-Marie Bonhomme mariée à Jean Gauthier et née vers 1830 et cousine avec nous par sa mère Victoire Avit qui descend du couple Jacques Avit et Jeanne Boyer de Saint-Haon.
Le couple Bonhomme-Gauthier qui a adopté Valentine a eu une fille qu’il a appelée Victorine  et qui est décédée en 1896 à l’âge de 23 ans. C’est sans doute en sa mémoire que Valentine à donné ce prénom à notre grand-mère.
Aujourd’hui 12 mai 2016, je suis allée à Craponne sur les traces de Valentine. J’ai trouvé l’ancien hospice et pris des photos. Vous en verrez quelques unes dont celle d’une des portes où je  figure. Ce retour dans le passé de Valentine m’a beaucoup émue. Cet hospice devenu ancien hôpital a été vendu à un particulier. Mais il gardera l’empreinte d’une enfant tout juste née un jour de février dont je conserverai le souvenir par atavisme.

Mai 2016

 

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2 réponses à Valentine Laprat, une enfant « exposée »

  1. Rodde Danielle dit :

    Quelle histoire touchante que celle de Valentine! On voit que sa maman naturelle l’avait très bien enveloppée de plusieurs bonnets et mouchoirs de cou, plusieurs vêtements et couvertures. Elle a du être déchirée par son geste mais sans doute n’avait-t’elle pas le choix? Elle a même fait ondoyer son bébé, donc, si il mourrait en cette nuit de février, il irait droit au ciel. C’est surement ce qu’elle croyait.
    Cette petite Valentine a du avoir d’assez bons parents nourriciers ou une très bonne résitance naturelle car en fouillant les registres d’état civil de St-Privas à cette période, soit de 1830 à 1900, on voit que presque tous les enfants abandonnés placés en nourrice par l’hôpital du Puy, mourraient dans leur première année, sinon dans les 2 ans pour quels rares exceptions.

  2. Alice dit :

    Ce qui m’interpelle, c’est le secret autour de Valentine que tu as ressenti à Pont d’Alleyras : pourquoi était-ce « mal vu » d’avoir été une enfant abandonnée, sachant que le milieu dans lequel elle a atterri était loin d’être aisé et qu’elle a quand même été aimée ? Une exclusion de la part de la famille qu’elle a engendré, je pense peut⁻être aux filles de Victorine, je ne sais pas, à cause de ce passé, ne me paraît pas viable… Il faudrait en savoir plus sur ce qu’elle a fait après son mariage, le métier qu’elle a exercé, son intégration dans le village… ce passé a t-il eu tellement d’impact (négatif ?) sur sa vie de femme ? Ou bien l’a t-il rendu plus forte (positif ?) ?

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