George Sand : voyage en Auvergne et en Velay


Une seule demi-journée passée à Saint-Paulien a suffi à donner naissance à une légende : George Sand aurait vécu au château de La Rochelambert. Il n’en fut rien, et c’est dans le bassin du Puy-en-Velay que l’écrivain a passé le plus de temps lors de son deuxième voyage en Auvergne, en 1859, dont la chronique est aussi vexante pour les habitants qu’elle ne prête à sourire, un siècle et demi plus tard.
Le 28 mai 1859, George Sand, 54 ans, quitte son domicile de Nohant-Vic (Indre) pour un voyage de 32 jours à travers l’Auvergne (1 ). Elle passera treize jours en Haute-Loire en compagnie d’Adèle Bérengère, une actrice qui était aussi sa « dame de compagnie », et du sculpteur Alexandre Manceau, son dernier compagnon, de treize ans son cadet, et qui fut l’amour le plus long de sa vie, bien que le moins « célèbre » (2 ).
Dans Journal de voyage en Auvergne et en Velay , elle raconte, au jour le jour, son expédition à travers le département, alors que le tourisme est encore marginal dans la France de Napoléon III (3 ). Sans langue de bois, elle évoque tant la beauté des paysages que le manque de propreté des lieux ou le caractère des habitants, qu’elle semble trouver plutôt rustre.
10 juin 1859 :
Partie depuis treize jours de l’Indre, Georges Sand arrive en Haute-Loire en soirée. Après avoir dormi, la veille, à Issoire (« La ville la plus triste et la plus bête que l’on puisse voir »), elle passe la nuit à Brioude (où « l’église est fort belle »).
11 juin 1859
: « Départ à 8 heures du matin. 15 lieues de montagne […] On s’arrête pour faire reposer les chevaux à Fix-Saint-Geneys , pauvre village tout en haut de la gorge. Nous y sommes gelés. »
Avant d’entamer sa descente vers la cité mariale, George Sand est stupéfaite par la production de lentilles : « Nous avons vu aujourd’hui de quoi régaler toute la France ».
Elle passe à proximité du château de Polignac et arrive au Puy-en-Velay : « La ville est grande, montueuse, bizarre et invraisemblable. C’est un décor de théâtre. Nous sommes logés splendidement et bien nourris, hôtel des Ambassadeurs. » Ce dernier, qui n’existe plus, était en fait situé place du Breuil, juste à côté de l’actuelle brasserie du Palais. Elle y passera onze nuits.
12 juin 1859 :
Avant de visiter le site du château de Polignac , de voir les orgues d’ Espaly-Saint-Marcel (« village habité par des pêcheurs (!)») et de se rendre dans « un couvent de Jésuites » à Vals-près-Le Puy , l’écrivain est surtout marquée par le guide qui les accompagne ce jour-là : « Non seulement il ne connaît pas le nom du Mézenc qui lui crève les yeux à l’horizon depuis qu’il est au monde, mais encore il ne connaît pas les chemins à un kilomètre de la ville ».
13 juin 1859 :
Par une chaleur écrasante, le petit groupe part à la découverte des gorges de la Loire et s’arrête à Lavoûte-sur-Loire (« un hameau sans intérêt ») pour visiter le château des Polignac. Au retour, l’écrivain fait escale à Aiguilhe : « Nous nous arrêtons au rocher Saint-Michel pour aller voir la petite église byzantine charmante, très bien conservée. » Le soir, elle note : « Les voitures sont rares, Manceau court toute la soirée pour trouver des choses hors de prix. Le pays est admirable, mais les gens qui l’habitent ne le connaissent pas ou vous exploitent », faisant référence aux nombreux cochers et guides qui ont tenté de les escroquer, selon son récit.
14 juin 1859 :
L’écrivain prévient : « énorme journée ». Prémonitoire sans doute, puisque c’est cette journée qui va donner naissance à la légende qui lie l’écrivain et la Haute-Loire après sa visite, le temps d’un après-midi, du château de La Rochelambert, à Saint-Paulien (lire par ailleurs). Mais avant d’explorer ce lieu si romantique qu’elle détaille avec une rare précision, George Sand s’était rendue au Mont Bar, à Allègre , localité pour laquelle, là aussi, elle a des mots durs : « Une ville ancienne, sale, impossible à escalader, mal nommée car elle est dans un site des plus tristes, quoi que beau. » Elle fut en revanche émerveillée par le château : « Les ruines sont d’un aspect fantastique ». Elle note aussi, en parlant du Velay : « ce pays est beaucoup plus sale que la Creuse et l’Auvergne. »
15 juin 1859 :
George Sand visite « le vieux donjon de Ceyssac ». Elle écrit, en fin de journée : « Les habitants doivent être comme le sol, féconds en qualités avec de gros défauts ou vices capitaux, quand même ».
16 juin 1859 :
Le conservateur du musée Crozatier (inauguré en 1851 au Puy-en-Velay ), qui est aussi l’ancien maire de Vals-près-Le Puy, Auguste Aymard, reçoit George Sand pour une journée de visite : « Il s’est fait un plaisir de nous recevoir, mais, hélas, il l’a dit à tout le monde. Et voilà que toute la ville, préfecture en tête, arrive pour voir la bête curieuse ». À minuit, l’équipée part pour Les Estables et traverse la Loire, à Brives-Charensac.
17 juin 1859 :
Cette excursion est la plus longue de son séjour altiligérien. Impressionnée par la route « difficile » entre Lantriac et Laussonne , elle note sur son cahier cette anecdote, souvenir d’une rencontre avec un maréchal-ferrant à Laussonne : « Bon garçon, gai, marié à une femme très pincée, ce qui ne l’empêche pas d’être très sale, de moucher la chandelle avec ses doigts et de les essuyer à son jupon ». Arrivée aux Estables (« un bourg misérable au pied des Cévennes »), George Sand apprécie la gentillesse de ceux qui l’accueillent : « Nous causons avec ces aimables hôtes et le fait est qu’ils sont charmants, très intelligents, parlant le patois entre eux et avec nous le français le plus recherché. »
18 et 19 juin 1859 :
George Sand passe deux jours presque entiers au Puy-en-Velay , avec Auguste Aymard. Ils parlent « archéologie, histoire, géologie, et même administration. » Le soir du 19 juin, elle observe La Roche Rouge, sur la commune de Saint-Germain-Laprade , « un vomissement volcanique très important ».
20 juin 1859 :
L’écrivain se rend à nouveau à Ceyssac pour voir la cascade : « Après avoir quitté le lit de la Dolaison on remonte et on arrive aux grottes par un ravin […]. » En revenant de cette escapade, le trio arpente la vieille ville du Puy-en-Velay , ainsi que l’extérieur de la cathédrale, avec ses « rues silencieuses et désertes qui l’entourent ». Il grimpe ensuite au rocher Corneille (« la vue est magnifique ») encore nu, mais pas pour très longtemps. En effet, les premiers éléments de la statue de Notre-Dame de France arriveront le mois suivant, le 28 juillet 1859, en provenance de Givors.
21 juin 1859 :
George Sand rend une ultime visite à Auguste Aymard qui lui fait découvrir le Mont Denise, à Polignac. Le lendemain, elle entamera son retour vers l’Indre.
22 juin 1859 :
C’est le dernier jour entier de George Sand en Haute-Loire. Après avoir passé Saint-Paulien , l’écrivain arrive à La Chaise-Dieu : « Le pays est plus propre que les environs du Puy », écrit-elle. Néanmoins, elle trouve qu’il y fait « un froid de loup ». Elle visite la basilique « dans le goût de Saint-Germain-l’Auxerrois, plus grand, plus majestueux. » Le lendemain, elle prendra la route d’Ambert. Elle arrivera à Nohant-Vic le 29 juin.

(1 ) George Sand effectuera trois périples en Auvergne (1827, 1859 et 1873). Elle ne visitera la Haute-Loire que lors de son deuxième séjour, le plus long.
(2 ) Alexandre Manceau mourra de la tuberculose en 1865.
(3 ) Au moment de ce voyage, Napoléon III est en pleine campagne d’Italie contre l’Autriche. George Sand l’évoque souvent dans son récit. Le 8 juin 1859, elle écrit dans son journal : « Grandes victoires toujours, en Italie, confirmation des nouvelles d’hier », faisant, sans doute, référence à la victoire de Magenta, gagnée par les franco-sardes quatre jours plus tôt.

Juillet 2016

 

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4 réponses à George Sand : voyage en Auvergne et en Velay

  1. Quesnel dit :

    Bonjour,
    Vous avez fait une lecture intéressante de Voyage en Auvergne et Velay de George Sand. Néanmoins, une fois le titre donné, pourquoi ne parler que d’Auvergne alors que G. Sand fait bien le distinguo entre ces deux anciennes provinces?
    La régionalisation des années ’70 a tout fait pour effacer le Velay. Pourquoi aller dans le même sens?
    Merci de votre attention.

  2. Hello! Un énorme merci pour ce super article, cela va juste tellement m’aider! Alors merciiiiiiiiiiiiiiiiiii!

  3. Danielle Rodde dit :

    Beau rappel d’un souvenir de lecture ( il y a au moins 35 ans de cela) des romans de G. Sand inspirés de son voyage en Auvergne:  » Le Marquis de Villemer « ,  » La ville noire  » et  » Jean de la Roche « . J’avais bien aimé ces livres qui me ramenaient dans mes terres natales. J’ ai d’ailleurs visité le château de La Roche-Lambert à cause d’eux et aussi, en souvenir du film  » La belle et la bête » avec Jean Marais. Je me rappelle qu’elle décrivait les paysanes (et leur intérieurs) des Estables et de toute la Haute-Loire, comme des femmes couvertes de crasse et de bijoux. Ce qui devait surement être vrai à l’époque.

    • Quesnel dit :

      Bonjour,
      Les campagnes que ce soit en Auvergne, Velay, Bourbonnais, Gévaudan et autres étaient particulièrement sales à l’époque. Je me souviens encore que partant du Bourbonnais, un parent nous disait: « À partir de là, c’est l’Auvergne. Ça se voit par le tas de fumier devant la porte. » Et c’était vrai en 1965. Ce ne l’est plus de nos jours.
      Quant à la description du Velay, deux Anglais arrivant à la même époque aux Estables sont effrayés de la crasse de leur hotesse. Cf. « Voyage en Auvergne, Velay et Vivarais », traduction Mme de la Comterie.

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