André Archer


Quand j’y repense, c’est tout de même étrange que ce petit homme au grand cœur qu’était mon grand-oncle, ait reçu une immense part de ma ferveur et de mon attention d’enfant, toutes tournées vers celui que je nommais mon tonton André.
Je pense que ma mère et ma tante, les filles de ma grand-mère, ne l’ont pas évalué à sa véritable valeur et l’ont finalement mal connu et donc mal jugé car nos appréciations à son égard ont toujours divergé, et de beaucoup. Mais je savais qu’il ne s’intéressait pas beaucoup, du moins en apparence, aux filles de ma grand-mère, sa compagne et belle-sœur, veuve de feu son frère. J’écris « en apparence » car je sais la pudeur des rapports du conjoint avec les enfants d’une compagne quand on n’est pas leur père.
Et ce fut d’abord et de loin à ma grand-mère Victorine et à moi qu’il accorda le plus d’importance. Deux femmes dont le prénom ont la même initiale, m’a fait récemment remarquer Marie-José Didion. Je me considérais comme l’enfant de ce couple âgé tant nous étions liés par une connivence et une affection fortes.
Il avait cinquante-six ans quand je naquis un jour de juillet 1952.
J’étais petite quand il commença à m’apprendre le sens critique et la jugeote. Je me souviens parfaitement de nos conversations sur le banc fait d’une traverse de chemin de fer près de la pompe à essence sur lequel nous conversions le soir aux beaux jours.
Que de confidences m’a-t-il faites sur ce banc ! Que de pensées précieuses je conserve malgré les années !
Mon affection pour mon oncle, d’une évidence criante et aveuglante a toujours dominé tout autre attachement; ma grand-mère était bien la seule qui avait bien cerné cette relation que j’ai toujours pensée réciproque.
Enfant, qu’ai-je su de lui ?
Qu’il construisait pour moi un avenir, qu’il me protégeait, me défendait contre l’adversité…
Qu’il était là pour me comprendre, m’aider, m’écouter, prendre le temps de me parler, me donner des conseils et des ficelles, me raconter des histoires de vie, m’apprendre des tas de choses sur la campagne et ses  savoir-faire, philosopher sur l’existence et la société villageoise et plus lointaine…
Qu’il m’a toujours infiniment respectée et ce, dès mon enfance.
Qu’il n’emmenait souvent avec lui dans ses escapades buissonnières : à la pêche, toujours à la main, vous ne voudriez pas, dans ses bois sur la route de Vabres, à la pétanque à Pont d’Alleyras et chez Cacaud pour l’apéritif les dimanches, aux champignons du côté de Babonnès, dans le champ de la Varenne, en face de la maison pour scier du bois, dans sa cambuse pour actionner la meule à affûter les couteaux, dans les prés pour tourner le foin et le ramasser, à l’écurie pour nous occuper des vaches, dans nos jardins, à Alleyras pour le 11 novembre…
Qu’il peignait mes cheveux longs et frisés sans jamais me faire mal comme les autres.
Qu’il pouvait me raconter des histoires, lire pour moi…
Qu’il me donnait des sous pour m’acheter des cacahuètes et des bandes dessinées chez Cacaud  et quand je me trouvais en pension au Puy.
Qu’il m’écoutait réciter mes poésies et mes leçons.
Qu’il ne me tapait jamais…
Qu’il lui arrivait même  de chanter et de plaisanter quand nous étions ensemble…
Qu’il n’appréciait pas le Général de Gaulle parce qu’il avait voulu supprimer sa petite pension de soldat appelé à la guerre de 1914-1918, pension que j’allais lui chercher régulièrement à la poste de Pont d’Alleyras. « Avec la monnaie, me disait-il, tu t’achèteras un billet de tombola ! » Eh bien, un jour où j’ai joué, j’ai gagné; André me portait chance.
Qu’il détestait les gens qui agissaient sans réfléchir et « sans cervelle », ajoutait–il. Je ne dis pas les noms de ceux qui entraient dans cette catégorie mais je les conserve dans ma mémoire. Beaucoup sont morts.
Qu’il n’avait qu’un œil fonctionnel mais qu’il tirait les boules bien mieux de son seul œil que ses rivaux avec leurs deux yeux.
Qu’il savait nager, rouler les garde-pêche et la maréchaussée en les prenant par la ruse et la vitesse. Il m’en a raconté des histoires de pêche interdites à l’épervier et des poursuites par les garde-pêche, de pêches de truites à la main dans le Malaval ou le bief de son moulin !
Je savais surtout qu’il était avant tout autre, mon référent choisi, mon conseiller attentif, mon confident, mon protecteur, mon oncle André tant aimé. Heureusement qu’il était là ! Je n’ose imaginer mon destin sans sa présence tutélaire de guide et d’exemple. Je serais sans doute devenue une parfaite idiote ou une pauvre conne. Je crois que son intelligence et sa finesse d’esprit m’impressionnaient. Sa sagesse aussi. Il réfléchissait toujours  avant d’agir et de donner une réponse. Il est mort cinq ans après Victorine mais mon souvenir le garde toujours vivant.

Septembre 2016

 

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