Le Bon-Pasteur

Les filles du Bon-Pasteur dans le jardin dans les années 1950
http://image1.lamontagne.fr/photoSRC/bqViVelNbWelbAxB8Jxva9EQXRYXZ9sUO12hxzey2v1IHn9_pFKP45lVKLcmcwIl0X_pNiFNNzDy6gLUfIerbuEVnPHl4-_/1585873.jpeg

Tantôt décrite comme une maison de  correction pour filles difficiles, parfois tombées dans le libertinage, tantôt comme un refuge pour adolescentes dont les familles ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins, le Bon-Pasteur reçut des centaines de résidentes placées , que l’institution religieuse s’efforçait de redresser.
L’étude la plus complète et la plus récente sur le Bon-Pasteur a été publiée voilà deux ans par l’Histoire sociale Haute-Loire. Elle est signée René Dupuy, ancien universitaire et président de l’association « Histoire sociale ».
Il existait en fait deux Bon-Pasteur au Puy. Le premier installé à l’Hôpital général, le second créé en 1836, entre la rue de Vienne et celle du Petit-Vienne, là où est installée aujourd’hui l’Agence régionale de la santé. C’est ce second Bon-Pasteur qui a fait l’objet de l’étude.
L’institution dépendait d’une maison mère à Angers. Pour René Dupuy, cette maison « répondait aux besoins d’une époque d’industrialisation et de croissance urbaine, synonyme de précarité du prolétariat ».
Voici deux exemples de demandes d’enfermement de jeunes filles : un père manœuvre, veuf depuis huit mois, demande l’internement de sa fille Madeleine de 11 ans » jusqu’à sa majorité » (condition imposée par le Bon-Pasteur pour éviter que les parents ne reprennent leur fille, à l’âge où, par son travail, elle peut être d’un apport financier). L’exemple de cet autre père d’une fille de 16 ans, veuf lui aussi, « qui n’a pas les moyens de la tenir dans une pension, et n’ayant pas l’œil d’une mère pour veiller sur elle ».
Le bâtiment (auquel fut rajoutée une chapelle en 1880) compta jusqu’à 200 filles et une soixantaine de religieuses. Un effectif qui devait tomber à 69 pensionnaires en 1919.

MONASTÈRE de N. D. de la CHARITÉ du BON-PASTEUR – LE PUY – Grande classe – Cour de récréation (1930)
Les filles sont vêtues de l’austère blouse boutonnée dans le dos pour ne laisser apparaître aucun bout de peau.

Afficher l'image d'origine
A cette époque, les tribunaux ou les œuvres de charité demandaient le placement et non plus les parents.
Deux communautés cohabitaient : les dames du Bon-Pasteur et la communauté dite des Madeleines, d’anciennes pensionnaires qui, après leurs années d’enfermement, refusaient de retourner dans le monde.

Éducation et rééducation
Prier et s’instruire à l’école pour les moins de 13 ans, prier et travailler pour les plus âgées : tel était le quotidien des filles. Le travail accompagné d’exercices religieux, constituait une des bases de l’éducation ou de la rééducation : travaux domestiques, broderie, dentelle… Le couvent comportait aussi une ferme avec basse-cour et porcherie. Durant la Seconde guerre, les pensionnaires confectionnaient des mouchoirs pour les soldats.
« Lorsqu’on prend un peu de recul pour essayer d’embrasser l’histoire du Bon-Pasteur du Puy-en-Velay, sur ses 134 années d’existence, l’impression dominante est celle de permanence, commente René Dupuy. Fermé aux sollicitations de l’extérieur, replié sur lui-même, dans la logique monacale de la communauté de sœurs cloitrées qui le dirigent, le Bon-Pasteur a rempli ses missions sans trop se soucier des évolutions d’une société qui change profondément. La privation de liberté, le changement de nom, le port de l’uniforme, la discipline sévère, évoquent à l’évidence les vœux que prononcent  les religieuses cloîtrées qui renoncent au monde et décident de consacrer leur vie à la prière dans l’abnégation des plaisirs de la vie. Sauf que les pensionnaires du Bon-Pasteur n’ont pas le choix. »

Travail pour les unes, instruction pour les autres
Afficher l'image d'origine

Josiane Chapuis : « Une institution vivante malgré l’enfermement »
« Le traumatisme que peut représenter le bruit des clés, le soir, quand les sœurs fermaient les dortoirs, était très prégnant chez les filles », se souvient Josiane Chapuis. Avant d’embrasser une carrière d’éducatrice, cette dernière était « stagiaire de contact » au sein du Bon-Pasteur du Puy. Les encadrantes ou les « Miss » comme on les appelait, devaient passer un examen à la Sauvegarde de l’enfance* avant de remplir au fond le même rôle qu’une éducatrice de plein exercice au sein de l’institution.
Josiane Chapuis, bordelaise d’origine, avait connu le Bon-Pasteur de Poitiers. Pour des raisons familiales « mais aussi par choix », elle avait fait partie de ces « filles » placées (le plus souvent par un juge des enfants). Malgré le « bruit des clés », malgré « l’enfermement », une situation rappelant un peu l’univers carcéral, elle porte encore aujourd’hui un regard attendri sur la grande maison de la haute ville. Elle n’était pas, il est vrai, en terre inconnue lorsqu’elle vint par une épouvantable journée d’hiver, prendre ses fonctions d’encadrante auprès des sœurs. Des fonctions qu’elle ne devait guère occuper plus d’un an, le Bon-Pasteur fermant définitivement ses portes peu après.
Toutes les maisons de ce type en France devaient d’ailleurs fermer les unes après les autres. Sans doute faut-il chercher la raison  dans la crise des vocations : « Les sœurs ne voulaient pas perdre la main sur la partie éducative, or, les lois sur la prise en charge de l’enfance évoluant, elles ne pouvaient plus assumer », commente l’ancienne éducatrice.
Pour Josiane Chapuis, « on se fait une idée fausse de cette institution. Non, ce n’était pas la maison de correction trop souvent décrite qui aurait reçu des cas difficiles, même si la plupart des filles connaissaient une situation familiale compliquée ».

La ferme du Bon-Pasteur
Afficher l'image d'origine

Des horaires stricts
Les résidentes, dont les plus jeunes avaient tout juste 14 ans (à l’époque de Josiane Chapuis), leurs aînées de 20 ans, voire 21 ans, vivaient en vase clos. L’ancienne éducatrice décrit une existence rythmée par des horaires extrêmement stricts, la scolarité à l’intérieur des murs et, à l’époque où elle était éducatrice, un atelier de cartonnage. Un médecin était attaché à la maison, tout comme un dentiste, salarié par les sœurs. Des activités étaient régulièrement proposées, de la danse en particulier, mais aussi des camps à l’extérieur, des sorties à la neige en hiver.
Josiane Chapuis a une pensée pour quelques sœurs. La sœur Augustine « différente des autres », celle qui recevait les confidences des filles, les petites comme les grandes peines.
Surtout sœur Marie-Paule, la dernière directrice. Une relation quasiment filiale liait les deux femmes, puis, un esprit très ouvert, précurseur au début des années soixante-dix, en cherchant à donner une certaine orientation éducative, à comprendre les problèmes psychologiques des jeunes. »
Josiane Chapuis quitta avec regret le Bon-Pasteur pour le Foyer de la Rochenegly, distant de quelques mètres, où elle poursuivit encore dix ans son travail d’éducatrice. Mais « l’esprit » du foyer n’était plus le même.

 

* Association participant à la protection de l’enfance et de l’adolescence.

La chanteuse Nicoletta : « Une odeur de cire qui ne me quittera plus »
Parmi les témoignages recueillis sur l’institution, il y a celui de Nicoletta. Bien avant de devenir une star de la chanson, elle fut à l’âge de 17 ou 18 ans pensionnaire du Bon-Pasteur, d’abord rue des Macchabées, sur la colline lyonnaise de Fourvière, avant de venir au Puy-en-Velay rejoindre les 150 jeunes filles qui seront ses camarades de pension. On est au tout début des années soixante. Nicoletta évoque sans aménité dans son livre La maison d’en face, publié en 2008, sa vie au Bon-Pasteur. Elle se confie, une bonne fois pour toutes. Et jamais plus ne consacrera d’interview sur le sujet.
« Lorsque je franchis le porche du Bon-Pasteur, ce n’est pas dans la maison de Dieu que pénètre. Je viens de gagner « un aller simple pour l’enfer », prétend-elle. Le ton est donné. Nicoletta parle encore de « cette odeur de cire qui ne la quittera plus ».
La jeune fille estime avoir été exploitée comme « une vulgaire prisonnière », passant son temps à confectionner des petites robes de bébé. Son quotidien est fait de labeur et « de dizaines de chapelets en faveur des soldats d’Algérie », sous la férule de la mère supérieure, surnommée « la purée ».
Le Bon-Pasteur connaît même un jour « une mutinerie », les jeunes filles refusant de monter aux dortoirs et s’attaquant aux vitres du réfectoire à coups de cailloux.
Et puis, « après cinq mois de sévices, de vexations, de privations », la liberté, enfin : Nicoletta, alias Nicole Grisoni, apprend son transfert dans une maison pilote d’éducation surveillée en Seine-et-Oise.

Septembre 2016

 

Cette entrée a été publiée dans La Haute-Loire, le Puy-en-Velay. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

8 réponses à Le Bon-Pasteur

  1. Raison dit :

    Bonsoir

    À vous toutes , je suis à le recherche des traces de ma grand-mère maternelle ( Jacqueline C ), qui aurait séjourné au Bon Pasteur du Mans dans les années 1956/1957 et aurait donné naissance à ma maman , elle devait avoir au alentour de 17 ans .

    Merci beaucoup

  2. mauchamp g dit :

    bonjour,

    je suis à la recherche d’informations et d’histoires concernant « le bon pasteur de Moulins 03, dans l’allier », ou « maman » a séjourné approximativement entre 1962 et 1968 .
    quelqu’un peut-il m’apporter des souvenirs ou informations pour la mémoire ? merci.

  3. ouvrard chantal née metivier dit :

    j’aimerais retrouver des anciennes du bon pasteur d’angers dans les années 70

  4. gautier nicole dit :

    bonjour, je suis allée au bon pasteur du Mans de 9 à 16 ans, où ma mère est allée et où j’ai eu aussi la même religieuse qu’elle (Soeur Geneviève qui a permis de supporter de lourds souvenirs et pleurs) même si il y a eu de bons moments c’était quand même dur.
    La messe tous les dimanches, le courrier lu aussi bien celui qui partait ou qui arrivait, j’en ai des choses à raconter….mon mail nicolegautieratneuf.fr

    • ouvrard chantal née metivier dit :

      bonjour. Je suis allée au bon pasteur de saumur d’abord puis celui d’angers. de 8 ans à 18 ans pour des raisons familiale. J’avoue que je ne me pleins pas de l’éducation reçu pendant toutes ces années. J’ai eu la chance de connaitre l’évolution dans cet établissement. Je suis allée à l’école à l’extérieur une bonne partie. Les vacances à JARD SUR MER, St jean de mont. dans le massif central. ETC.. J’aimerais retrouver des anciennes du bon pasteur d’angers. Moi meme j’habite ANGERS. Peut-etre que nous nous sommes connu. J’avoue que j’ai perdu beaucoup de noms de famille des filles. J’ai fini au foyer d’Andigné .
      bonne journée .

  5. neptune dit :

    Et bien moi je garde un excellent souvenir du centre Montjoie ? MISS JOSY était très jolie avec ses longs cheveux blonds et très souriante , de même que toutes les autres miss , Annick , Françoise , Odette , Christine etc … L adorable soeur Augustine et son inséparable mémé Olga , la directrice Soeur Marie Paule très humaine , Soeur Marie Bernard qui nous donnait des cours de guitare .Une organisation au top , les vacances à Bonneval sur Arc , à Saint Jean de Mont ou au chateau de Malrevers ou on avait de beaux costumes pour nous déguiser , le réveil l été en musique au château sur l air de  » pop corn  » , les sorties à vélo , les cours de modern jazz et de danse classique avec maitre Aguado , le shopping sur la place du Breuil , les spectacles dans le petit théâtre etc etc …Les soirées dansantes avec un bon repas ou chacune avait un petit cadeau remis en mains propres par Soeur Marie-Paule , les veillées dortoirs 2 fois par semaine ou on écoutait de la musique qu on nous demandait de choisir , les autres soirs on regardait un programme télé choisit par nos soins également , en sirotant une infusion . Le menu du dimanche que l on élaborait ensemble , le ménage à fond le samedi matin avec soeur Marie Pierre , chaussées de patin , elle nous mettait une musique entrainante et on astiquait le sol en pas de danse et en rang , la soeur faisait comme nous . Le nom des équipes , les Gentianes , le clair de lune , les glycines , les anémones , franchement cela ressemblait plus à une famille qu à une prison , sans compter les cours de cuisine , de couture , la chorale etc , on nous laissait rien passer , on devait respecter les règles , on nous expliquait les choses , cela s appelle l éducation , mais on s habillait comme on voulait , vraiment que de bons souvenirs dans cette grande maison .

    • Hanan dit :

      Bonjour,
      je suis étudiante en Anthropologie et mon sujet de mémoire porte sur le Bon pasteur. Pour faire mon mémoire, j’ai besoin de rencontrer d’anciennes pensionnaires qui seraient prêtent à discuter avec moi de leur expérience au Bon Pasteur. J’aimerai rencontré des personnes qui ont mal vécu cette expérience et d’autres qui l’ont bien vécu. Neptune, je ne sais pas si vous aurez vent de mon commentaire, ou si la personne qui écrit ce blog peux transférer mon commentaire à Neptune. Mais si cela vous intéresse, j’aimerai vous rencontrer pour échanger sur le sujet.
      A bientôt.

      • Béreaud Martine dit :

        Je m’appelle Martine. J’ai vécu au bon Pasteur à Poitiers de 1966 à 1970. J’ai vécu l’enfer. Isolement du reste de ma famille. Je suis partie à Poitiers pour raison familiale. Ma mère n’étant pas déçue monde, ma grand-mère décédée j’ai été enfermée avec des filles plus âgées que moi et dont je servais de souffre douleurs. Heureusement que ces établissements sont fermés. Je déteste Poitiers.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>