Sibérienne semaine et tragique dimanche

Afficher l'image d'origine
Dimanche 7 janvier 1827…  L’année commençait bien mal en Velay…
L’offensive que l’hiver venait de lancer, remontait, suivant le dire des anciens, à plus d’un demi-siècle…
La neige, tombant sans relâche, guillotinait bon nombre de sapins, et la « burle » glaciale, comparable au blizzard canadien, échafaudait d’incommensurables congères allant de deux à peut-être cinq mètres de hauteur ! Les maisons semblaient s’enliser un peu plus d’heure en heure, et leurs habitants devaient creuser des galeries pour en sortir !
Le froid avait gelé l’eau des puits, des mares, des ruisseaux, et même des rivières ! Il fallait que les hommes brisent la glace à grands coups de masse pour remplir le chaudron familial et pour abreuver les bestiaux !
Dans ces pires conditions climatiques, rares étaient les voyageurs qui osaient – à moins d’y être obligés -  braver la tourmente, au risque de « passer de vie à trépas ». Un rapport de la Gendarmerie Royale, Compagnie de la Haute-Loire, dressé pour la période du 5 au 10 janvier, nous en apporte un bien triste témoignage.
Le dimanche 7 janvier, le nommé Antoine Meynier, natif de la commune de Borne, canton de Saint-Paulien, âgé de 42 ans, était trouvé mort sur la route de Borne. S’étant rendus sur les lieux, le juge de paix, un officier de santé et les représentants de la gendarmerie reconnaissaient « après la visite du cadavre », que l’homme était « mort de froid » !
Comme une infortune n’arrive, dit-on, jamais seule, le sieur Étienne Rorechrix, grenadier du 46ème, qui devait gagner Toulon avec un détachement commandé par un sergent, était lui aussi découvert « mort de froid », le même dimanche, dans la région de Pradelles !
Le traditionnel « jamais deux sans trois » allait-il se confirmer une nouvelle fois ?
Malheureusement oui ! Et nous allons voir dans quelles circonstances…
La « Correspondance » de Pradelles, composée des gendarmes Michel, le plus ancien de la brigade, et Bendler, nouveau venu dans celle-ci, était arrivée le jeudi 4 à la Sauvetat, vers deux heures un quart de l’après-midi.
Descendant à l’auberge pour se « réconforter quelque peu », les gendarmes de Pradelles y retrouvaient leurs deux collègues de Costaros, lesquels assuraient la « Correspondance » de cette dernière ville.
Auparavant, deux voyageurs : M. Giraud-Cuoq, aubergiste à Allègre et beau-frère d’un des vicaires de Pradelles qu’il allait voir, et le jeune Louis Aymard, natif du Puy, s’étaient mis en selle avec la ferme intention de gagner Pradelles, malgré les difficultés certaines qu’éprouveraient leurs chevaux à franchir les congères…
Arrivés au pied du « Traymont pastour » (1.232 mètres), situé peu après la Sauvetat, ils décidaient « vu le temps affreux qu’il faisait », de rebrousser chemin afin de passer une confortable nuit à l’auberge.
Lorsqu’ils y arrivèrent, les deux « Correspondances » se disposaient à partir, l’une pour revenir à Pradelles, l’autre pour retourner à Costaros.
Encouragés, se voyant quatre pour faire le trajet de la Sauvetat à Pradelles, nos voyageurs enfourchaient à nouveau leurs montures, se souciant fort peu de la fatigue qu’elles avaient accumulée sous les sabots ! Il était quatre heures un quart.
Comme en janvier les jours ne sont pas très longs, c’est la nuit que les quatre hommes parvinrent à la « Baraque Brûlée, point d’intersection de la grande route avec le chemin qui mène à Pradelles ». Le gendarme Michel, cherchant à reconnaître la route, était en tête, immédiatement suivi par son adjoint Bendler et M. Giraud-Cuoq.
Et le jeune Louis Aymard, que devenait-il ? Le rapport de la Gendarmerie Royale nous précise « qu’il était assez loin de ses compagnons, car son cheval avait de la peine à suivre… »
Depuis le passage de la « Baraque Brûlée », toujours d’après le rapport, « le temps était des plus affreux et les chevaux avaient de la peine à se tirer des congères ». Les trois cavaliers – Louis Aymard s’était irrémédiablement laissé distancer – furent « obligés de se mettre à pied et arrivèrent plus morts que vifs, comme ils purent à Pradelles, vers les six heures et demie ».
Aussitôt, ils prévinrent Madame Dérommieu, aubergiste, « qu’il y avait un voyageur qui s’était perdu et qui devait loger chez elle ». La brave femme envoya quelques hommes à sa recherche, sans bien savoir à quelle distance de Pradelles il pouvait bien être. Les autorités de la ville n’ayant pas été prévenues, « on ne put sonner, ni envoyer du secours… »
Le vendredi et le samedi, « le temps devint encore  plis abominable ». Ce n’est que le… dimanche 7 janvier, que l’on devait retrouver, aux portes de Pradelles, le cadavre de Louis Aymard ! Là encore, l’officier de santé concluait que le voyageur était « mort de froid ».
Sombre dimanche, que le dimanche 7 janvier 1827 !
Ajoutons qu’à propos de ce dernier événement, le maire de Pradelles devait écrire, le 10 janvier, une lettre au préfet de la Haute-Loire, pour lui exprimer son mécontentement. Voici d’ailleurs un extrait de celle-ci :
« Pradelles a regretté plus que jamais, que le gouvernement ne s’occupe pas au plus vite de la confection des routes qui l’environnent; tous les ans surviennent des nouveaux désastres et Pradelles devient un séjour de malheur.
J’ose vous supplier, Monsieur le Préfet, de vouloir bien nous aider de tous vos moyens, quant à moi, j’y ai déjà bien  travaillé, mais sans fruit… »
Et le maire d’ajouter un post-scriptum : « M. Giraud-Cuoq est reparti d’ici, je n’ai pu le voir. Il doit savoir mieux que personne la conduite qu’ont tenue les gendarmes et la possibilité ou l’impossibilité où ils étaient, de donner du secours à M. Aymard ».
A la lecture de ces lignes, il nous vient à l’esprit deux proverbes.
Le premier devait être vraisemblablement préconisé au maire de Pradelles par le gouvernement, et le second ne devait pas être ignoré par ces messieurs de la gendarmerie royale :
« Tout vient à point à qui sait attendre… » et « Chacun pour soi, et Dieu pour tous… »
Oui mais voilà le hic : Dieu n’était pas, en ce début janvier 1827, avec Louis Aymard, Dieu était en tête, avec les gendarmes et l’aubergiste d’Allègre !

Octobre 2016

 

Cette entrée a été publiée dans La Haute-Loire, le Puy-en-Velay. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>