Devenir prof de maths en quelques minutes ?

J’ai fait ce texte pour mon fils Clovis qui a quand même galéré pas mal  en fac de maths pour parvenir en master. Son amie Alexandra qui poursuit les mêmes études devrait aussi apprendre des informations à cette lecture et tous deux relativiseront ainsi  leur investissement.
Après quelques recherches et une émission télévisée récente, voilà ce qu’il en résulte :
« Il a suffi à notre journaliste d’une candidature en ligne, d’un contrôle de maths raté et de quinze minutes d’entretien pour obtenir un poste dans un collège public. Sans recevoir aucune formation. Le reportage télévisé en fin d’article est édifiant !

Pour exercer « le plus beau métier du monde », j’aurais pu, comme la majorité des enseignants, passer un concours exigeant à bac +5, le Capes ou l’agrégation, puis faire mes gammes au fil d’une année de stage. J’ai préféré une autre voie, moins connue mais plus expéditive : celle des « contractuels », ces enseignants en CDD, recrutés à bac +3 et envoyés, du jour au lendemain, en salle de classe, avec les mêmes responsabilités que les titulaires. J’ai déposé mon CV en ligne, répondu médiocrement aux questions d’un rapide contrôle et passé un entretien… en 90 minutes chrono. Me voilà professeur de mathématiques à temps plein dans un collège de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), sans aucune formation, et voici comment j’y suis parvenu.
3 juin 2014 : Une candidature bien ciblée
Me voilà dans la peau d’un aspirant prof, candidat aux postes dont personne ne veut. Dans certaines matières, les étudiants, peu motivés par un premier salaire de 1 388 euros net pour des conditions de travail difficiles, désertent les concours : en maths, leur nombre a été divisé par sept depuis 1999. Dans cette discipline, au dernier Capes, la moitié des 1 592 postes n’ont pas été pourvus, faute de copies au niveau. En postulant comme contractuel, j’ai donc toutes les chances d’être pris, tant les académies sont aux abois pour placer des profs face aux élèves. Je choisis celle de Créteil, réputée difficile. Les contractuels y représentent 12 % des enseignants selon le SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale), contre 7,25 % en moyenne en France à la rentrée 2013. L’équation est simple : plus l’établissement a mauvaise réputation, plus ces enseignants sans formation y sont nombreux. Selon un rapport publié en avril par l’inspection générale de l’Éducation nationale, « sur les 350 collèges de l’académie de Créteil, 90 ont en mathématiques une équipe comprenant plus de 25 % de contractuels. (…) Dans certains collèges très ‘‘sensibles »» de la Seine-Saint-Denis, il n’est pas rare d’avoir une (voire plusieurs) équipe disciplinaire entièrement constituée de contractuels ». Pas de doute : c’est là qu’il faut que je postule. Sur le site Internet de recrutement « Acloe », je coche toutes les cases : collège, lycée, temps partiel, temps plein, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Seine-et-Marne, tout me va. Je suis diplômé d’HEC, ce qui signifie que j’avais un bon niveau en maths… il y a douze ans.
25 juin 2014 : Test inachevé…
Direction Créteil : je suis convoqué pour un entretien avec l’inspecteur de mathématiques à 14 heures. Je pénètre dans l’imposant bâtiment en béton gris sale du rectorat et rejoins, au huitième étage, une trentaine d’autres candidats, âgés de 30 à 50 ans, qui patientent en silence dans un couloir sombre. Surprise : nous sommes tous rassemblés dans une salle de classe pour un test de quarante-cinq minutes. Mon voisin, Sam, étudiant au Conservatoire national des arts et métiers, est aussi décontenancé que moi. Une dizaine d’exercices s’enchaînent, au programme du collège et du lycée. J’additionne et multiplie des fractions sans souci, développe sans problème une équation du second degré, mais échoue piteusement à définir l’équation d’une droite dont j’ai les coordonnées de deux points (niveau seconde). Je ne connais plus mes dérivées, ai oublié le calcul des intégrales, sorti de ma tête l’existence des nombres complexes : c’est la déroute. Je jette un coup d’œil furtif à la copie de Sam, en vain. Les inspecteurs, malins, nous ont distribué des exercices différents. Ramassage des copies : je n’ai même pas entamé les deux derniers exercices… Je quitte la salle la tête basse et aborde un autre candidat, ingénieur informaticien d’une quarantaine d’années. « J’ai fait 40 % du test, je ne m’y attendais pas du tout. Je suis fort en équations, mais le reste, j’ai un peu oublié » soupire-t-il. Voilà qui me rassure : il y a plus nul que moi.

Document : un exemple de test passé par les candidats contractuels .. et entretien expéditif.
Au bout d’une demi-heure, un inspecteur d’académie vient me chercher. Dans le couloir, il parcourt mon test : « Bon, manifestement, le lycée, c’est pas pour vous », lance-t-il d’entrée. Courtois, il me demande pourquoi je veux devenir professeur. Je réponds que je cherche un métier épanouissant. Ça le fait rire : « Et vous pensez que ça va être épanouissant, l’Éducation nationale ? » Il s’enquiert de mes projets à moyen terme et m’interroge sur la manière dont je ferais face à un « problème de gestion de classe » : j’exclus l’élève ? « Non, surtout pas. » Que faut-il faire alors ? « Pas ça. » Je n’en saurai pas plus. Il me donne un avis favorable, « pour le collège uniquement ». Serai-je formé avant la rentrée ? Non, mais il me confie un petit guide pédagogique de trois pages recto-verso. « Et si vous avez des questions, adressez-vous à vos collègues. L’enseignement, c’est vraiment un métier où on travaille en équipe », insiste-t-il en m’accompagnant vers la sortie. Me voilà prof. Dans certaines académies, je le serais devenu plus vite encore, comme à Rouen, où un échange téléphonique suffit. Selon le rapport de l’inspection générale, « il peut arriver, qu’en cours d’année, des candidats soient retenus malgré un avis défavorable des corps d’inspection ».
2 septembre 2014 : C’est la rentrée, toujours pas de nouvelles
Tout l’été, j’attends en vain mon affectation. Je ne suis pas seul dans ce cas : le 27 août, un courrier envoyé par le syndicat CGT Educ m’apprend que sur les 3 500 contractuels de l’académie de Créteil, seulement 2 180 savent dans quel établissement ils vont enseigner. Les autres, comme moi, attendent parfois plusieurs mois un coup de fil du rectorat. A de nombreuses reprises, j’écris et appelle sans succès le service concerné. Dois-je préparer des cours de 3e ? De 6e ? Et quels sont les programmes ? Le guide pédagogique ne contient aucune indication, si ce n’est un lien vers un site, Eduscol. Là, un document liste des dizaines de notions à enseigner, à chaque niveau. A moi d’inventer une façon de les transmettre. Les conseils du guide, très généraux, me laissent perplexe.

Document : le guide pédagogique fourni aux contractuels :

12 septembre 2014 : « Vous commencez lundi ! »
Vendredi après-midi, le téléphone sonne : « Bonjour, c’est le service des remplacements du rectorat de Créteil. Nous avons un poste pour vous, à temps plein, pour toute l’année scolaire, dans un collège de Tremblay-en-France. » Une commune de Seine-Saint-Denis, dont les établissements scolaires sont classés APV : « Affectations prioritaires à valoriser ». En clair, là où personne ne veut aller. Quand commencerait l’aventure ? « Lundi. Alors, c’est bon ? Il nous faut une réponse tout de suite, c’est urgent. » Ce sera non : je décide d’arrêter là l’expérience, pour éviter de mentir aux élèves, qui ne savent pas que je suis journaliste, et de les abandonner au bout de quelques cours, même si malheureusement, ils y sont sans doute habitués. « Il n’est pas rare que certains contractuels démissionnent après quelques jours ou quelques semaines d’exercice seulement », déplore le rapport de l’inspection. Faut-il s’en étonner ?

Sans formation, ils sont envoyés au front
La plupart des contractuels font de leur mieux, mais il n’est pas rare qu’ils soient dépassés par les événements.

La prof de français avait l’accent russe
A Sannois (Val-d’Oise), la nouvelle enseignante de français, âgée d’une cinquantaine d’années, a fui dès le premier jour : « Elle était russe et faisait une faute à chaque phrase. On lui a donné des 3e, qui passaient le brevet à la fin de l’année. Je me suis dit que ça allait être très compliqué pour elle. Finalement, elle a fait demi-tour avant même de voir les élèves », s’étonne encore une collègue.


La prof de chimie se faisait vandaliser son matériel
Marie, prof d’histoire-géo dans un collège de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), voit défiler les contractuels, qui constituent presque 20 % des effectifs. « L’année dernière, on nous a envoyé une dame en physique-chimie. Elle avait animé des ateliers pour enfants mais n’avait jamais enseigné et ne savait pas gérer sa classe. A la fin de chaque cours, on retrouvait le matériel dévasté et des produits chimiques avaient disparu… Tout le monde le savait, pourtant elle n’a jamais été inspectée, ni formée pendant l’année », s’offusque-t-elle.

Pour Dominique, débutant, la pire classe du collège
En 2008, après trois ans de chômage, Dominique, 34 ans, tombe sur une offre de l’ANPE pour un poste dans un établissement sensible, près de Poitiers (Vienne). « Avec ma licence d’histoire et une vieille expérience de pion, j’ai tenté ma chance. On m’a tout de suite confié un cours de français dans une classe pour les élèves en décrochage scolaire. Des collègues m’ont dit que les précédents remplaçants étaient partis en courant, car les gamins étaient violents. Mais j’avais vraiment besoin de travailler. On a fait des saynètes de théâtre, pour les exercer à l’écriture et à la lecture. C’était dur, mais ça m’a plu », se souvient-il. Six ans plus tard, il est toujours contractuel, a enchaîné plus de 60 CDD et touche 1 400 euros net par mois.

https://www.youtube.com/watch?v=O40Bg5WjkFw

Novembre 2016

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