Avec un mois de janvier aussi doux que celui de 1975, nos grands-parents se seraient-ils retrouvés dans le « triou » pour y « faire la veillée » ?

Afficher l'image d'origine
A l’époque où la neige n’était pas avare de ses flocons et prenait un malin plaisir à venir très tôt sur notre sol vellave… pour en sortir très tard !
A l’époque où la télévision – belle invention lorsqu’on ne sait pas s’en servir tous les jours – n’avait pas encore hypnotisé bon nombre d’yeux et atrophié autant de langues !
On « s’en allait faire la veillée chez le voisin », manifestation chaleureuse, toute de simplicité et de charme rustique.
Lors qu’était tombée la nuit glaciale et muette, que la traite des vaches était achevée, et que la soupe avait « réchauffé bien des goulaillous » (gosiers), on « s’enfichounait »(s’emmitouflait) afin de se rendre chez « le Dzan Claude et la Zélie », dont c’était le tour de recevoir.
Sitôt arrivés à la ferme, les ménages étaient dirigés vers le « Triou ».
Le « Triou », c’était la bergerie, petite pièce carrée située au fond de l’étable, comportant un « fenestrou » (petite fenêtre) donnant sur le potager, ou sur les pâturages.
Pourquoi se réunissait-on dans le « Triou » ?
Eh bien, c’est très simple : parce qu’il était de dimensions réduites, parce que la chaleur que dispensaient les brebis et les agneaux était des plus appréciables de par sa douceur constante et de sa gratuité, et enfin parce que la paille bien sèche répandue sur le sol en terre battue s’avérait un parfait isolant. Lorsqu’il advenait une vague de froid plus intense, les femmes n’avaient garde d’oublier le « braze » (chauffe-pieds), véritable… saint-bernard des pieds !
Un seul petit défaut de ces veillées dans le « Triou », ma grand-mère me l’a signalé, : « Nous attrapions parfois des « barbus » (parasite des moutons) dans les cheveux ! Et tu peux me croire, ce n’était pas facile pour les enlever…!
Au milieu du « Triou », était placé un guéridon fabriqué à l’aide d’un rondin de bois et de quelques planches. Sur celui-ci, était posé un « chalet » (petite lampe à huile) dont la faible lumière était augmentée par l’interposition de petites bouteilles de verre blanc, ventrues et remplies d’eau, qui avaient pour mission d’éclairer le carreau des dentellières (chaque travailleuse ayant sa bouteille personnelle).
Dès que les femmes et les jeunes filles étaient installées autour du guéridon (ou table de veillée), elles enlevaient la « casaïre » (morceau de toile légère recouvrant le carreau) et l’on entendait alors « la chanson des fuseaux »…
Afin de stimuler les jeunes filles – qui n’avaient guère envie de « faire du carreau » – les femmes leur disaient : « Dépêchons-nous, allons jusqu’à 50 épingles, la première arrivée sera la meilleure dentellière ! »
Aller jusqu’à 50 épingles, c’était ce que l’on appelait « une tâche ». Celle-ci achevée – voyant l’habituelle victoire des jeunes filles, victoire il est vrai favorisée par la complicité des « anciennes » – il y avait une autre « tâche » suivie d’une autre « victoire »…
Si le lendemain était jour de ramassage des dentelles pour l’une de ces jeunes dames, elle disait au début de la veillée : « Me tso dipachas per coupa ma pointas » (me faut dépêcher pour couper mes dentelles ») !
Dans un coin du « Triou », les hommes fumaient leur pipe en tressant l’osier, en confectionnant l’ossature en noisetier d’une « écoulette » (panier pour ramasser les pommes de terre), en sculptant divers petits objets en bois : cuillères, crucifix, plioirs à dentelles,etc.
Les petits enfants caressaient – ou taquinaient – les agneaux, sculptaient des « raiforts » (genre de gros navets), imaginant ainsi les vaches tirant un tombereau… ce qui faisait dire à leurs parents : « A pas fini de chaputa encaro ? » (A pas fini de tailler encore ? »)
Ah ! si les murs des « Trious » pouvaient parler, comme ils nous diraient des choses, car dans l’ancien temps, tout le monde savait une chanson ou une histoire, que personne ne se faisait prier pour la chanter ou la raconter…
On parlait de la bête du Gévaudan ou de l’auberge rouge de Peyrebeille… On contait l’histoire de la dame blanche d’Arzon, ou celle de la mule et des bœufs de Chamalières  … On évoquait « la trêve » (histoires de revenants) qui donnait des frissons dans le dos des petits, mais aussi des grands… On disait des nouvelles du pays et quelquefois on « égratignait » un voisin absent à la veillée…
On chantait « Eroûnt de Saoûgues, mous esclos », ou la chanson de J. Remezin « Quand reviendra lou pèu tèms das viouletos, se dansara la valso dous amours… »
On récitait un chapelet, entrecoupé de litanies…
Puis, vers 11 heures, lorsque les yeux commençaient à picoter, une dentellière tirait son « aune » (mesure valant 1,20 mètre; encore en vigueur, notamment à Saint-Maurice-de-Lignon. Chaque dentellière possédait son « aune », réglette en bois mesurant 60 centimètres; en y enroulant sa dentelle, elle obtenait ainsi une longueur de 1,20 mètre.) et y enroulait le travail de la journée, déclarant avec un sourire de satisfaction avoir fini sa « tâche ». C’était la clôture de la veillée.
On se disait : « Boune nieu, a demo », et chacun regagnait ses pénates afin de prendre un repos bien mérité.
Ces veillées, dans l’intimité du « Triou », ne créaient-elles pas entre nos grands-parents des liens solides et durables ?
Que si… que si !
Afficher l'image d'origine

Novembre 2016

Cette entrée a été publiée dans La Haute-Loire, le Puy-en-Velay. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>