Visite courtoise

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Je me revois à Aussac, dans mon village inoubliable. Je suis en compagnie de mon inséparable camarade d’enfance. nous sommes à notre période constructive, aux bourgeons de notre adolescence, conduisant à l’éclosion de nos meilleures fleurs de l’âme.
Nous sommes en août 2002. J’ai garé mon véhicule au pont de la Planche, sous les peupliers (1), car il va faire chaud.
Je décroche mon vélo VTC qui attendait impatiemment de pouvoir rouler sur les petits parcours des départementales de mon enfance.
Sur mon porte-bagages, j’emporte des documents concernant mon premier livre (2). J’ai vécu ici si longtemps que j’y tiens, à mon pays, autant qu’à la prunelle de mes yeux. Ma source ! A la fois mon fief et ma réserve.
Parcourant à nouveau cette route mythique sous un soleil ardent qui réchauffe aussi mon cœur, je retrouve les deux souches creuses des acacias où j’allais cacher des cahiers de compositions pour ne pas les faire signer par mes parents.
Je revois la « coursière » (3) qui rejoignait les prés où je retrouvais mon cher camarade (4).
En arrivant aux prairies du Pra No (5) et du Pradou (6), j’aperçois sa maison qui se dresse à l’entrée nord du village. Elle est imposante de grandeur dans ce paysage inondé de soleil.
Je suis un peu inquiet car j’appréhende de la revoir après tant d’absence.
Sa maison lui ressemble; elle est solide comme lui et elle a du caractère. Elle a la couleur du granit et le bleuté des orgues basaltiques. Il n’y en a pas deux comme celle-là par ici. De solides encadrements d’ouvertures en pierre de taille de granit, et ses murs lui donnent encore plus de cachet avec de belles pierres de pays. Il est là, tout fier, bien campé devant sa porte; c’est un peu comme s’il m’attendait.
Visiblement, il semble très surpris de ma visite. Il m’explique qu’aujourd’hui, l’électricien est là pour l’installation électrique de sa maison. Le temps de lui expliquer le déroulement des travaux, ensuite il viendra me voir en compagnie de son épouse et de sa petite fille Lise. Il ferme la porte pour retrouver l’artisan. Apparemment, en arrivant à l’improviste, je le dérange c’est sûr. Je m’assieds sur les gros blocs de rochers qui faisaient aussi partie de nos jeux d’enfants. J’admire le paysage dont certains endroits n’ont pas changé. Avec mes jumelles, je continue une vision sélective de mes montagnes.
Je fais quelques pas dans le pré jusqu’à la haie. Dans ces buissons, nous avions construit une petite hutte de branchages. Nous ramassions des plumes de poules et de coqs pour jouer aux cow-boys et aux indiens.
Le cerisier sauvage est toujours présent mais il accuse lui aussi le poids des ans. La branche à laquelle nous nous agrippions pour grimper s’est cassée de moitié mais elle nous prête toujours son aide.
Soudain, la porte de la maison de mon camarade s’ouvre et j’en ai fini avec mes rêves. Il s’avance vers moi pour m’accorder un peu de temps car l’électricien n’a pas encore terminé et je suis là.
Il est un peu embarrassé de ces deux visites simultanées, aussi nous discutons brièvement. Je lui explique la raison de ma visite et lui donne la fiche technique de mon livre. Très étonné de cette nouvelle, il m’écoute attentivement. Il paraît à la fois surpris mais peut-être s’y attendait-il-il un peu.
Nous sommes obligés d’abréger notre rencontre. Nous nous quittons à l’ombre des acacias car le soleil cogne fort. Sur un dernier signe, oh combien amical !nous nous séparons. C’est sûr, il a changé comme moi. Nous avons peut-être gardé la même impression. Où sont passés nos livres, Kid Carson, Buck John, Attack, Rapace, Frimousse… et plus tard nos polars et autres romans-photos ?
Nous avons grandi ensemble ici, dans les champs et les prés, entre l’école et l’église, la laïcité et la religion. J’ai quand même osé frapper à sa porte et j’en suis heureux; le hasard nous avait déjà réunis pour notre service militaire.

(1) C’est mon père, Albert Rousset, qui avait planté ces peupliers sur le terrain qu’il avait acheté à Gustou Gaillard de Gourlon dans les années 1960. La mairie lui a racheté ce terrain sur lequel mon père avait construit son garage en traverses de la S.N.C.F. Aujourd’hui, l’amicale du four de la Planche y organise son repas annuel.
(2) Le premier livre de Gilbert avait pour titre Les crayons de l’arc-en-ciel. Je lui en avais acheté un exemplaire à la fête de Vabres de juillet 2002 ou 2003.
(3) La coursière signifie le raccourci.
(4) Vous l’aurez deviné, il s’agit bien sûr de Denis Arnaud d’Aussac.
(5) Pré neuf.
(6) Pré doux.

Gilbert Boudoussier
Décembre 2016

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