Bijou, le chat de Bel Air

Mon grand-père, Jean-Pierre Archer, avait une maison à la sortie de Pont d’Alleyras, la dernière avant le hameau d’Aussac, appelée Bel’Air. Ma mère en a hérité et l’a restaurée avec l’aide de mon père.
De son vivant, ma grand-mère la louait. C’est ainsi qu’y ont vécu les Duteilh et les Vignal. Puis, Simone, la fille aînée de ma grand-mère, y est venue passer les congés d’été avec son mari et ses enfants. On voit à droite la photo de ma grand-mère et de ses filles vers 1928, que m’a envoyée mon cousin Michel Couprie.
Gilbert Boudoussier et ses parents ont fréquenté le couple Duteilh comme je l’ai découvert dans un chapitre de son dernier livre que voici.

« Je suis au bout de ce chemin [celui de la maison des sœurs Peyron] que je quitte pour retrouver la départementale qui ouvre une autre porte de mes souvenirs.
Me voici à Bel Air qui se compose de deux maisons. Dans la plus ancienne vivait un facteur qui s’appelait Armand, comme dans la chanson https://www.youtube.com/watch?v=tqnJJP3-qEA.
A l’époque, à la fin des années cinquante, il y avait très peu de postes de radio. Ceux qui en possédaient un étaient des privilégiés. A la morte saison comme la chante Georges Chelon  https://www.youtube.com/watch?v=OYq9aPsbomw, mes parents, ma sœur et moi descendions certains soirs de notre village proche, pour des veillées radiophoniques.
Le vieux poste TSF alimenté en 110 volts chauffait au bout d’une heure mais captait tant bien que mal la fréquence de l’onde.
Le couple Dutheilh  invitait souvent la jeunesse du coin. Il organisait quelques soirées dansantes aux chansons nasillardes de la TSF. Au cours de ces heures nocturnes, la fumée de tous les tabacs me gênait beaucoup.
Nous dégustions de bon appétit les pâtisseries maison que madame nous préparait.
Ma sœur dormait dans sa poussette dans la pièce voisine. Quant à moi, on me donnait quelques cartons et des craies de couleur pour gribouiller jusqu’à ce que le marchand de sable passe. Parfois, je les entendais rire et chanter. Que ambiance dans cette habitation ! Puis, lorsque je dormais bien, on venait me réveiller pour rentrer à la maison.
Armand et Édith étaient des grands amis de mes parents. Ainsi, lorsque je descendais d’Aussac pour aller à l’école, que j’avais la semelle d’une de mes sandales qui se décollait et qui traînait sur la route, Armand m’appelait de son jardin pour me la réparer.
La chaussure était posée sur une petite enclume. Quelques habiles coups de marteau pour enfoncer les clous de ferrage sur les bords, et je repartais chaussé.
C’était Armand aussi qui terminait les pliages méticuleusement, patiemment, des images dessinées sur les paquets de biscottes Clochette et sur les boîtes de Banania. Pré-découpées dans du carton dur, elles représentaient des scènes de far-west, chariots, indiens, cow-boys, tipis, ranchs… Quant aux boîtes de cacao, c’étaient des villages typiques de notre France, à construire ou bien plusieurs escadrilles d’avions.
J’étais heureux d’étaler un aérodrome sur la table qui devenait une étendue de plusieurs villages pittoresques.
Cette villa dont j’ai parlé dans mon premier livre, était située en bordure de la route que j’ai tant fréquentée et s’apparentait aussi à plusieurs contes de fée. Cette maison avait gardé le secret des rencontres de Noël. Car il faut que je vous dise que c’est ici que j’ai découvert mon premier sapin de Noël décoré et illuminé avec de vraies bougies !
Au cours de cette période bénie de vacances et d’espérances, après la nuit magique et religieuse du 24 décembre, nous allions, papa, maman, ma sœur et moi, découvrir la gentillesse et l’hospitalité conviviale de ces grands amis.
Nous entrions dans la cuisine décorée de façon artisanale, avec goût et simplicité. Nous savions que l’on nous ouvrirait chaleureusement la porte et que ce serait féerique.  « Venez voir vite » s’écriait l’hôtesse et nous entrions, émerveillés devant le sapin couvert de bougies allumées, de boules et de guirlandes clinquantes.
Dans nos galoches, il n’y avait peut-être pas grand-chose par rapport à aujourd’hui mais c’était offert avec le cœur du père Noël.
C’étaient les friandises habituelles, sabots, cigarettes et surtout les bonnes papillotes avec pétards. De ceux-ci éclatait un certain frémissement en tirant sur les deux bouts pour les ouvrir. Elles fondaient dans nos bouches. Nos yeux ébahis de surprise et de bonheur rendaient nos parents et amis heureux aussi.
De nos mandarines et de nos grosses oranges émanait un parfum de fête de Noël. Le sapin consumait ses bougies et la pendule identique à celle de l’école sonnait les heures de ces douces soirées.
Parfois, nous allions dehors avec ma sœur pour lever les yeux au ciel et admirer les constellations d’étoiles ainsi que la lune changeante. Bien après minuit, nous partions dans la nuit glacée de l’hiver, à pied, rejoindre notre hameau. Avant le départ, les causeries s’éternisaient dans la cour, au pied du vieux prunier. Le beau chat noir ronronnait.
Ce couple très sympathique, je l’ai rencontré un jour d’été mais j’en reparlerai plus loin.
J’ai toujours gardé un souvenir qui ne s’éteint pas, qui brille en moi, de cette messe de minuit et du lendemain.
Armand et Édith nous accompagnaient dans notre croyance. Alleyras, mon bourg qui compte tant pour moi et dont il ne reste plus que la vieille épicerie fermée, les imposants bâtiments du couvent et la si belle église romane au clocher à peigne dans laquelle loge pour le temps de Noël la crèche de mon enfance !
A droite, dans la petite chapelle, elle s’imposait en attirant les croyants et les enfants. Elle était confectionnée en papier rocher pour imiter une cavité taillée dans le roc. C’est là que se logeaient tous les personnages. Décorée de mousse et de lichens, de branches de sapin, elle avait du style. Sur un côté se tenait un ange qui, avec sa boîte à musique, nous jouait « il est né le divin enfant » https://www.youtube.com/watch?v=DRz9iqRjsoY .
Notre couple d’amis nous donnait des petites pièces jaunes de dix ou vingt centimes de franc pour les glisser dans la fente de la boîte à musique et la tête de l’ange nous disait merci en s’inclinant.
Dehors, la grande fontaine ronde filtrait paisiblement son eau claire et limpide en signe de bénédiction. Ainsi s’écoulait le temps précieux sous le regard du poilu et de l’église Saint Martin.
Nous revenions chez nous toujours en compagnie de nos inséparables amis.
Un jour, on nous annonça qu’ils de allaient partir.
Ils déménagèrent du pays, ce qui fut très triste pour nous. Ma sœur et moi savions qu’il n’y aurait plus de Noël  en sapins allumés de bougies, moins de gâteries, plus de montages cartonnés et que papa, en manque de temps, me ferait attendre pour réparer mes semelles qui traînaient sur la route.
Pendant une semaine, le déménagement s’effectua entre leur maison et la gare où la SNCF leur avait affrété un wagon. Je descendis le vélo bleu demi course d’Édith.
Je me souviens étrangement de leur joli chat noir qu’elle appelait Bijou. Cet animal se rendait compte que quelque chose d’anormal se passait au milieu de tout ce chambardement. La maison se vidait à son détriment. Dans un carton assez haut pour ne pas qu’il s’effraie, sa maîtresse avait placé son pull rose léger pour qu’il s’y étende au cours de son long voyage.
Plus tard, nous apprenions qu’à la descente du train, sur le quai, notre Bijou pris de panique, avait sauté allègrement du carton pour s’enfuir. Édith était inconsolable car elle l’avait vu bondir une dernière fois par dessus une haie de troènes pour ne plus le revoir. Quelle tristesse infinie pour elle, ajoutée à la séparation des amis et du pays. Pauvre félin qui, d’instinct, avait retrouvé sa liberté. Qu’est devenu ce brave compagnon, si câlin ?
Pour Édith, il montrait plus souvent patte de velours et ses griffes étaient réservées au tronc du vieux prunier.
Lorsque j’aperçois un chat noir lui ressemblant, je ne peux m’empêcher de penser à lui.
Comme je le disais plus haut, j’avais revu ce couple d’amis sans enfant en Lozère, à Saint-Alban. Ils étaient même passés au pays de mon épouse, pour une journée de visite et un repas. La veille, ils avaient rendu visite à mes parents et s’étaient remémoré les très bons souvenirs vécus dans leur maison de Bel’Air, les soirées de Noël et du jour de l’an, les grands soirs de belote. Celles-ci étaient arrosées du café-gnôle, du vin de pays et, pour clôturer la veillée, on buvait du mousseux, de la Clairette de Die, veuve Amiot. Ils reparlèrent aussi des moissons, des fenaisons car les Duteilh venaient nous aider, toujours prêts à rendre service. Je sais qu’ils se sont séparés de papa et maman en pleurant désespérément.
Ils s’arrêtèrent devant leur maison, pour emporter avec eux des images de leur vie passée. Leur regard se porta sur le jardinet qu’ils aimaient tant. Ils  allèrent caresser la grosse pivoine rouge de Chine qu’Édith entretenait avec amour et qui semblait les saluer de ses fleurs aux gros pompons, du haut du mur de pierre. Le vieux prunier leur dit aussi bonjour en les enlaçant de ses branches. Ils reconnurent les égratignures de Bijou sur le tronc de cet arbre.
Quant aux quatre  pommiers, debout au bord de la palissade, exposés au soleil couchant, ils ne donnèrent pas de fruits cet automne là tellement ils étaient tristes de voir ces personnes partir. Finies les cueillettes chantant la saison et nos rires d’enfants.
En compagnie des nouveaux occupants, ils prirent un peu de repos à la cuisine et sur le banc de la treille, comme pour arrêter le temps. Les discussions remontèrent le temps au pied des murs solides qui s’appuyaient sur le sol rocheux. Les amitiés en furent consolidées.
Notre brave pêcheur raconta les pêches miraculeuses sur les bords de l’Allier qui serpente au bas de la route de Vabres. Il parla des belles mouchetées  fario à chair rouge, des coins secrets poissonneux, de sa jeunesse de pêcheur.
Sa femme, bonne cuisinière, savait rendre honneur aux abondantes pêches fructueuses par des plats qu’elle présentait sur sa table méditerranéenne dans des assiettes décorées avec délicatesse.
Il lui sembla un instant, en regardant à la fenêtre, que Bijou prenait le soleil sur le muret. Il y eut là encore des adieux déchirants puis ils partirent au volant de de la R6 bleu clair.
Le couple s’en alla, laissant là tout leur passage sur l’Allier. Ils laissèrent la terre de leur jardin, les promesses de fruits au goût sucré, les sourires et le temps heureux accrochés aux pétales de leurs pivoines.
Le portail qu’ils venaient de franchir se refermait pour la dernière fois sur eux et sur leur façon de vivre.
Armand et Édith, les Duteilh, je ne vous oublierai jamais. Car chaque année me reviennent en mémoire les fleurs du printemps dans ce jardin,  la couleur rouge des pivoines qui éclosent ou celle  de vos pommes, le soleil des étés qui bronzaient si joliment Édith et surtout les merveilleux Noël aux sapins majestueux, avec les petites gourmandises du cœur, et la gentillesse… tout cela me ramène vers les Dutheil.
Ma plume devient sentimentale, mon encrier se vide, mes yeux perlent des gouttes de larmes qui font des taches sur ma page.
Je vous aime encore et toujours. »

Gilbert Boudoussier
Janvier 2017

 

 

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