Une série sur les chaumières

Un livre oublié… qui dormait dans un placard de Bel’Air. Un livre écrit par un ancien  collègue enseignant, Michel Engles, ouvrage auquel j’avais participé lorsque j’enseignais avec lui au lycée Auguste Aymard. Michel est un passionné du patrimoine altiligérien et des techniques du chaume.
Ce recueil s’intitulait, SOS CHAUMIERES et richesses oubliées, Meygal, Mézenc, Haut-Vivarais, décembre 1994.
J’ai sélectionné quelques uns de mes textes.

1. PORTRAIT DE MICHEL

J’ai longtemps voyagé dans les îles lointaines,
Paradis des voiliers, des palmiers et des plages
Où le sable gris rejoint les vagues marines
Et le soleil embrase le paysage.
Mon chevet était rempli de cartes postales,
De clichés étrangers et de terres australes.

Mon île aujourd’hui, c’est le terroir des Sauces*
Qui a abrité les amours ancestrales
D’un couple marié en langue occitane.
Leur union, sous un toit de paille,
A laissé une marque peu banale.

Je voyage en pays de chaumière,
Paradis du seigle, du genêt et du jonc
Où le paysan cultive la paille
Et le chaumier** la pose à façon.
mon chevet est rempli de cartes postales,
De dessins « pailhissés*** » et de terres vellaves.

* Les Sauces : lieudit près de Saint-Pierre Eynac
** chaumier : poseur de toits de chaume
*** pailhissés : adjectif pour nommer les bâtiments  dont les parties fonctionnaient en circuit clos : chaumières composée d’une étable et d’une grange ou « pailhissa ».

Pour Michel Engles

Novembre 1994

2. Supplique pour Isidore*, chamier de Bigorre**

Adieu Isidore, chaumier de Bigorre !
Ton nom se fondait avec ton métier
Lorsque tu tressais l’or des blés
Tu viens de déserter ta maison de poupée
Que des amoureux ont tant photographiée !

Adieu Isidore, chaumier de Bigorre !
Je t’imagine, agrippé sur une toiture
A la main un cloussou*** de seigle mûr.
Le faitage portait ta signature.
Le dernier rang, « cul en l’air » pour que ça dure.

Adieu Isidore, chaumier de Bigorre !
A toi qui refusais de ton travail « dételer »
Je souhaite qu’un peu de paille dorée
Recouvre les toits du paradis des chaumiers,
Et que tu coules des jours d’or et de chaumes filés.

*Isidore : chaumier illustre  en Haute-Loire
**Bigorre : village de chaumières du Mézenc
***cloussou : équivalent en chaume de la tuile

Décembre 1994

3. Le chaume, le chaumier et la chaumière
Pour faire le toit d’une chaumière, tout commence par le choix d’une bonne paille, obligatoirement de seigle, récoltée à la faux ou à la moissonneuse-lieuse, les épis battus à la main. Il faut veiller à ce que les tiges ne soient pas cassées. Des gerbes, on tire deux poignées de paille qu’on lie ensemble; c’est le fameux « cloussou » – la tuile du chaumier – qui sera fixé aux lattes par un lien de paille. Il faut compter 25 cloussous au mètre carré de toiture, soit 25 kilos de paille de seigle.
L’hiver est la saison idéale pour fabriquer ces cloussous. La pose doit se faire au printemps car la chaleur et le gel rendent la paille cassante, ce qui peut provoquer des gouttières. Mieux vaut travailler par temps humide. C’est pourquoi le métier de chaumier est saisonnier.
Les chaumières sont venues de la nuit des temps et de l’ingéniosité de nos ancêtres; elles sont pittoresques et font le bonheur des enfants : qui ne s’est pas attendri devant ces maisons de poupée, couleur moisson des contes d’enfants ?
Les qualités du toit de chaume sont nombreuses :
- il protège du chaud et du froid,
- son prix est compétitif,
- il  est un débouché pour l’agriculteur,
- il maintient des artisans au pays,
-  il est beau,
- il sent bon…
Alors, ouvrez bien les yeux : à trop vouloir privilégier la poutre de nos toits industriels, on oublie la paille de nos chaumières.

Novembre 1994

4. Vivre de la forêt

Qui es-tu, chaumière dans la forêt ?
Je suis la cabane d’un sabotier.
Il en a tant fabriqué des sabots qui claquaient,
Sabots de hêtre, bouleau ou châtaignier
Qui, été comme hiver, nos pieds emmitouflaient.

Qui es-tu, chaumière dans la forêt ?
Je suis la cabane d’un charbonnier.
Il en a tant ramassé de charbon qui brûlait,
Couleur de braise dans le foyer jeté
Dont la chaleur sur nous rayonnait
Et sur lequel les marrons grillaient.

Qui es-tu, chaumière dans la forêt ?
Je suis la cabane d’un bûcheron
Qui en a tant coupé de bois et de ramée?
Odeurs de sève et de bourgeons mêlées
Que la lame d’acier s’en est toute émoussée

Qui es-tu, chaumière dans la forêt ?
Je suis la cabane de tous ces métiers.
J’en ai tant abrité des hommes de volonté
Que du bois ont de leur labeur puisé
Et de leur sueur ont la terre mouillé
Témoins d’un art aujourd’hui oublié.

Décembre 1994

5. Les hommes, la forêt, les chaumières et la civilisation

Qu’était jadis cette contrée vellave ?
C’étaient des forêts.
Si tout était encore boisé, les hommes n’auraient pas pu cultiver et seraient sans doute morts de faim. Ils ont créé des écosystèmes en infléchissant un peu la nature. C’est autour de la culture des céréales que se sont développés les sociétés de nos ancêtres de la montagne. Pour les étendre, nous avons accéléré le déboisement de nos régions tempérées.

Chateaubriand avait clamé, non sans fracas, : « Les forêts précèdent les hommes, les déserts les suivent ». Deux siècles auparavant, Ronsard avait simplement murmuré : « Écoute, Bûcheron, arrête un peu le bras »;
La chaumière a fait, elle aussi, partie d’un écosystème et a contribué à à son équilibre. Ses habitants ont semé le seigle, ingrédient des pains bis et matière première de leurs toitures. Ils vivaient en autarcie, faisant la plupart de leurs travaux à la main et confectionnaient un tas de petits ustensiles et objets; tout le monde était un peu paysan, coiffeur, menuisier, maçon, réparateur de sabots… On restait au pays, on se réunissait pour les « veillades », on faisait de la dentelle au carreau…
Et puis sont venues les machines, les Massey-Ferguson, le Crédit Agricole et le désherbant. Alors, haro sur les fleurs champêtres, les « mauvaises herbes », les coquelicots, les campagnols, les renards, les vipères ! Nos camps ont résonné des échos assourdis de leurs tracteurs et exhalé l’odeur fétide de leurs lisiers !
Nous avons « chassé » le seigle de notre culture; nous avons rayé de la carte nos chaumières, plus de chaumier pour réparer les quelques coiffes d’or survivantes !
On ne touche pas sans risque aux écosystèmes. Mais le nombre des hommes et leurs ambitions sont tels que le remède qui consisterait à l’état antérieur serait sans doute pire que le mal.
En tout cas, nos aïeux seraient bien étonnés de trouver aujourd’hui leurs chaumières ravalées au rôle de figurantes dans un cadre où, jadis, elles étaient reines.

6. Exercice en forme de « che »

Le feu chuchote dans la cheminée
Les bûches fendues à la hache
Réchauffent le chat caché dans sa niche.
Et les flammes lèchent la marmite aux choux.
Juchée sur la huche à pain, la chandelle
Dont on mouche la mèche
Chasse l’ombre et charme la chaumière.
Les vaches sont couchées dans leur crèche
Et le chien dort bien au chaud;

Le chant de la femme au châle
Dont l’étoffe cache le mioche
Et font les cheveux s’enchevêtrent
S’élève de la bouche fraîche
Chut !

Novembre 1994

Suivaient deux poésies de personnes que Michel ou moi connaissions.

7. Sur un « tsavei »

(De « chat veille).  Évoque le gros matou  couché en rond durant les longues soirées d’hiver, devant l’âtre où crépite la bûche de Noël.
En occitan, « lou chaleilh » (tsaveï), c’est la lampe à huile qui apportait un faible éclairage pour les « veillades » au fond de la chaumière vellave.

I

Dans un cuvage obscur, tout rempli de ferrailles,
De vieux objets rouillés, de boîtes en fer blanc,
Longtemps abandonné par des gens sans entrailles,
Sur le nez, sur le cul, ou gisant sur le flanc,
Dans la terre aujourd’hui, et demain sur la paille
Que le soleil poudroie ou que souffle l’autan,
J’enviais tout objet de bois qu’on brûle ou qu’on taille
Et que pétrit parfois la main d’un enfant.

II

Mais non ! Mon fer forgé résistait aux outrages,
Au coup de pied cruel, à l’usure des ans,
A ce mépris hautain, qui sont notre apanage.
A nous, bons serviteurs, esclaves mais contents.
Passés de main en main, au gré des héritages,
Par force résignés à subir les tourments
Qu’inflige le progrès à ces vieux « hors d’usage »,
Qu’ont vénéré jadis, ingrats, tous vos parents.

III

Un jour pourtant, je fus arraché à ma rouille,
Quelqu’un voulut enfin me rendre à ma splendeur.
J’adorne désormais une abjecte gargouille
Qui espérait en vain quelques admirateurs
Et qui tord de gros yeux que jamais pleur ne mouille.
Deux choses seulement manquent à mon bonheur :
Le glouglou de l’eau pure et le chant des grenouilles.

Envoi

Prince, ne troublez pas cette joie sans pareille !
Vous seriez criminel et le regretteriez.
Et puis… Je ne sais pas le nez que vous feriez
A voir que près de vous que… quatre chats veillent.

Germaine Engles, 10 septembre 1930

 

8. La maison du Haut-Velay

Sur le plateau vellave, où le vent seul est maître
La maison est couchée au bord du chemin noir
Inerte… En pleine brume, on voit luire le soir,
Comme un pauvre fanal son étroite fenêtre.

Les murs de lave, drus, sont bâtis sans mortier;
Pas d’ouverture,au nord, où souffle la rafale;
Le toit de lauze est une armure féodale,
La cheminée épaisse une tour de moutier.

La maison des plateaux est une forteresse
Qui lutte sans faillir contre les durs autans;
Elle ne connait pas les baisers du printemps.
Avril daigne à regret  lui porter ses caresses.

Elle est ancrée au sol pour lutter de longs mois
Contre les tourbillons de la neige qui tombe…
Et les soirs de décembre, on dirait une tombe,
Tant elle est immobile et blanche au bord des bois.

Cependant, par instants, une mince fumée,
Comme une âme s’élève, et brandit dans le vent
Triste des horizons, un panache émouvant.
Oh ! la bonne maison sur la route embrumée.

Jean Chervalier

9. Palper la mémoire d’une chaumière

Palper la mémoire d’une chaumière
La pétrir entre ses doigts habiles
Et la sentir à pleines mains
Comme un aveugle qui se dirige.

La pierre rugueuse encadre les jours
Gravée de dates lointaines
Que les passants s’amusent à déchiffrer
Et que le temps érode inexorablement.

Le phallus s’érige parfois obscène
A nos yeux tabous d’aujourd’hui,
Il se dressait, symbole suprême
De la force et de la virilité.

Vêtue d’un noir tablier
La femme aux mains caleuses
S’appuie contre la pierre de l’entrée
Pour pendre un instant de repos.

Son homme va rentrer des champs
La soupe sera prête et la table mise,
Elle l’accueillera d’un sourire
Et ses yeux lui diront sa tendresse.

Les pierres sont pleines d’ombre et de lumière
Que le feu jette par saccades;
dans le lit clos garni de paille
Les attend la chaleur de l’amour.

Novembre 1994

10. Le meunier et sa fille

Te souviens-tu de la meunière qui avait jeté son bonnet par dessus les moulins ? Son père, tout occupé qu’il était à moudre le grain dans son petit moulin à eau, n’avait pas vu le vent venir… Il était fatigué plus souvent qu’à son tour et les meules n’arrêtaient guère de tourner; les enfants le savaient, qui le prévenaient : « Meunier, tu dors, ton moulin va trop vite, meunier, tu dors, ton moulin va trop fort… » Et pourtant, s’il avait eu le temps de lire Les lettres de mon moulin, ça lui aurait peut-être mis la puce à l’oreille à propos de sa fille. Les gars entraient chez elle comme dans un moulin… Mais que voulez-vous ? C’était dans sa nature et on ne pouvait accuser personne. Il est inutile, dit-on, de se battre contre les moulins à vent… Et ça s’est mal terminé quand le père l’a su; sa colère n’a fait qu’apporter de l’eau au moulin de sa fille : « Tu n’avais qu’à t’occuper de moi. »
C’est ainsi que le meunier s’est converti en représentant en moulins à légumes, préférant inciter les femmes à préparer des potages.
Moralité : encore un moulin abandonné !

Autour du moulin :
- Jeter son bonnet par-dessus les moulins : braver la bienséance, en parlant d’une jeune fille.
- moulin à eau : bâtiment où sont établies les meules actionnées par la force hydraulique.
- « Meunier, tu dors, ton moulin va trop vite… »: chanson enfantine.
- on ne peut pas être à la fois au four et a moulin : être partout à la fois.
- Les lettres de mon moulin : recueil de nouvelles d’Alhonse Daudet.
- entrer chez quelqu’un comme dans un moulin : entrer comme on le veut.
- se battre contre les moulins à vent : se battre contre des ennemis imaginaires.
- apporter de l’eau au moulin de quelqu’un : lui donner des arguments.
- moulin à légumes : ustensile qui sert à écraser les légumes.

Juin 2017

 

 

 

 

 

 

 

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