Les climatologues ont le blues et l’affaire du siècle

L’association Pourquoi Pas ? basée à Cunes-Blassac en Haute-Loire a pour objet de sensibiliser à un usage respectueux de la nature et de solliciter la créativité de chacun dans son quotidien. L’agroécologie est au cœur de son action.
Dans ce cadre, elle organise stages, ateliers, chantiers solidaires, rencontres… pour permettre échanges de savoirs et sensibilisation à la recherche d’un bien-être sobre. Elle propose une sensibilisation aux pratiques du jardin naturel, une approche de la permaculture, la découverte de l’habitat écologique et des économies d’énergie.
Elle propose également des activités autour des plantes sauvages, de la création artistique. La plupart des activités proposées s’y déroulent dans l’esprit de l’agroécologie. La volonté de ses encadrants est d’insérer l’association dans le tissu social local. Et Pourquoi Pas ? agit au niveau de projets locaux, nationaux et internationaux en partenariat avec différentes associations.

Cette association m’envoie ce dimanche 23 décembre 2018 ce message titré « L’affaire du siècle »à lire attentivement et à méditer puis à agir :

« Avec son été caniculaire, ses tempêtes et ses inondations, 2018 s’est évertué à prouver le réchauffement climatique. Une victoire amère pour les climatologues, déprimés d’avoir raison. Mais décidés à redoubler de pédagogie pour que chacun passe à l’action.
Quand on a demandé à Oksana Tarasova comment elle allait, elle a répondu sans hésiter : «Mal
Le matin même, la jeune femme, qui dirige la division de la recherche sur l’environnement
atmosphérique pour l’Organisation météorologique mondiale (OMM), basée à Genève, était devant les journalistes pour détailler les mauvaises nouvelles : les concentrations des gaz à effet de serre ont atteint des niveaux record en 2017, ce que les experts appellent le «forçage radiatif», à l’origine du réchauffement climatique, a augmenté de 41% depuis 1990 et la tendance ne s’est pas inversée en 2018.
Pour Oksana Tarasova, ces annonces relèvent d’une désastreuse routine : « Cela fait neuf ans que je travaille ici. Chaque année les rapports disent la même chose et les journalistes pensent que c’est toujours la même histoire. Sauf que ces émissions s’accumulent dans l’atmosphère, et la situation est chaque fois plus grave
Avec ses cheveux blonds coupés court qui accentuent l’impression d’énergie qu’elle dégage, celle qui fut chercheuse en chimie atmosphérique pour l’institut allemand Max-Plank et pour l’université Lomonossov de Moscou ne semble pas du genre à se laisser vaincre par la neurasthénie. Pourtant, dit-elle, «je me sens mal. Tous les jours, je travaille avec les stations qui font les relevés, je comprends ce qui se passe. Mais les leaders politiques ne font rien, les gens ne veulent pas savoir, ils me font penser à ma mère qui n’a admis son cancer qu’au stade quatre de la maladie. C’est déprimant…»
Oksana Tarasova n’est pas la seule climatologue d’humeur chagrine.
Depuis quelques années, surtout du côté des Anglo-Saxons, le malaise des scientifiques de l’environnement attire l’attention des psychologues et des médias : « emotional burden» – « fardeau, charge émotionnel (le)»  –, dit-on pour qualifier les accès de désarroi, colère, tristesse ou d’angoisse qu’éprouvent les chercheurs.

Glaciers et océans menacés
La psychiatre américaine Lise Van Susteren, qui s’est penchée sur les effets psychologiques du réchauffement climatique, estime que certains souffrent de pre-traumatic stress disorder, qui frappe « quand nous sommes affectés par des pensées intrusives sur la vulnérabilité de notre monde et par l’angoisse de se préparer au pire».
Or, l’immeuble bleu-vert qui abrite l’OMM, comme un élégant navire prêt pour le jour où débordera le lac tout proche, est un endroit de choix pour guetter l’apocalypse. Deux cent cinquante personnes travaillent à étudier les données atmosphériques, météorologiques, climatiques, hydrologiques de 191 pays.
C’est l’OMM qui, dès 1976, a lancé l’alerte : « Mais à l’époque, la préoccupation portait sur un conflit atomique et l’hiver nucléaire», rappelle Michel Jarraud, secrétaire général émérite de l’OMM qui a tout connu de la climatologie et de ses enjeux diplomatiques : « Quand on évoquait le réchauffement, on n’arrivait pas à capter l’attention. »
Puis, en 1988, l’OMM fut à l’origine du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dont les rapports alimentent tous les cinq ans la chronique du cauchemar annoncé : « Ils sont passés de la probabilité à la certitude quant à la responsabilité de l’activité humaine dans le réchauffement », rappelle Elena Manaenkova, secrétaire générale adjointe de l’OMM.
En décembre 2015, à Paris, elle était des experts qui avaient convaincu les délégations de la COP21 pour limiter le réchauffement mondial à 1,5°C plutôt que 2°C d’ici à 2100, ce qui pourrait sauver quelques côtes et archipels de la montée des océans.
Comme tout le monde, elle avait savouré les engagements pris. Sauf que, trois ans plus tard, même la France ne tient pas ses objectifs et la COP24 de Katowice a été un échec. Fin novembre, Elena Manaenkova a annoncé une année 2018 parmi les plus chaudes jamais enregistrées : « Si l’on continue, ce sera 3°C au minimum à la fin du siècle. »
Les experts que l’on rencontre au gré des bureaux tout en transparence de l’OMM, soulèvent chacun des inquiétudes particulières, parfois un sentiment de perte pour des terrains de recherche qui sont aussi des géographies auxquelles ils sont attachés. Pour le Britannique Mike Sparrow, océanographe spécialiste de l’Antarctique, « l’océan réchauffé fait fondre par en dessous la glace des plateformes flottantes qui risquent de s’écrouler. »
Pour le Norvégien Geir Ole Braathen, chimiste de formation, « le pire est l’acidification des océans qui va détruire les animaux à carapace, comme le homard ou les crevettes. Les mesures que l’on prendra pour réparer l’atmosphère ne changeront pas le niveau de C02 dans les océans ».
Quand il n’est pas au bureau, Geir grimpe les montagnes suisses et prend de belles photos qui ornent son bureau. Devant la vue panoramique du glacier Aletsch, le plus grand des Alpes, il montre la couleur différente de la roche qui rappelle l’épaisseur des glaces vers 1850, deux ou trois cent mètres plus haut qu’aujourd’hui : « Si rien ne change, d’ici quatre-vingts ans il ne restera plus qu’un bout de glacier, là... »
Calme et souriant, il formule la question et la réponse : « Est-ce un suicide ? Bien sûr. » Mais il se reprend vite : « Nous avons encore trente ans pour réagir.»
Est-ce parce que le découragement est peu compatible avec une démarche scientifique ? Est-ce pour ne pas désespérer Billancourt et le reste du monde ? Les experts de l’OMM, agence de l’ONU, préfèrent afficher ce qui leur reste d’espoir. La Banque mondiale vient d’annoncer la mobilisation de 200 milliards de dollars entre 2021 et 2025, dont la moitié consacrée à l’adaptation aux dérèglements climatiques des pays en développement.
Pavel Kabat, directeur de la recherche de l’OMM, veut croire qu’un tournant est amorcé : « Les scientifiques ont fait leur boulot, les données et la connaissance sont là, on sait ce qu’il faut faire pour améliorer la transition énergétique, réduire la pollution et limiter le réchauffement en dessous des 2°C. On sait même combien ça coûte : 1,1 trillion de dollars par an, soit à peu près 1% du PIB mondial. C’est peanuts.
Chaque année, les industries des énergies fossiles reçoivent entre 750 milliards et 1 trillion de dollars en subventions... »

Pression mentale
Comme Pavel Kabat vient des Pays-Bas, un pays doté d’un ministre du climat et engagé dans le plus ambitieux des plans européens en la matière, comme il vit en Suisse où le ferroutage est une institution, où les incitations financières encouragent voitures hybrides, économies d’énergie ou panneaux solaires, on se dit que l’humeur des climatologues dépend aussi de l’écosystème dans lequel ils évoluent.
Et c’est pour ça que les chercheurs australiens vont si mal. Entre les vagues de chaleur dans le centre du pays, les sécheresses à répétition, les tempêtes de vent qui ont renforcé les feux de brousse dans le Queensland, en novembre, pendant que les inondations noyaient les rues de Sydney, qui étouffait par 47°C six mois plus tôt, les « événements extrêmes» y deviennent habituels. Si l’on ajoute un gouvernement libéral qui, sous la pression des compagnies minières et électriques, accros au charbon, a abandonné la limitation des émissions de gaz à effets de serre, on imagine la pression mentale qui s’exerce sur les scientifiques locaux, confrontés chaque jour au péril que d’autres s’emploient à ignorer.
C’est ce qu’évoque le texte que Lesley Hughes, environnementaliste et professeure de biologie à  l’Université Macquarie de Sydney, a publié, en juin, dans le magazine The Monthly.
Son titre : « Quand la catastrophe planétaire est votre boulot quotidien ». Elle y raconte cette oscillation constante entre « motivation » et « désespoir », entre « le pessimisme de l’intelligence » et « l’optimisme de la volonté », comme écrivait Gramsci.
Lorsqu’on lui a parlé, fin novembre, Lesley attendait le déluge qui a noyé Sydney. Elle qui fut biologiste par fidélité à ses amours enfantines pour les animaux aimerait revenir aux fourmis plutôt que se coltiner cette science du climat qui lui répète chaque jour que toutes ces vies pourraient disparaître, à commencer par « la grande barrière de corail, notre icône nationale la plus précieuse.
[Mais] à partir du moment où le monde et l’espèce humaine sont menacés, je ne  comprends sincèrement pas pourquoi tous les scientifiques ne travaillent pas sur les changements climatiques : si la planète n’est plus vivable, à quoi sert le reste ? »
Difficile de parvenir à un équilibre : « Nous avons le cerveau comme coupé en deux », dit-elle, partagée entre sa « compulsion à présenter les faits tels qu’ils sont » et sa « crainte que trop de noirceur et de morosité [gloom and doom] empêche toute volonté d’agir. »
Lorsqu’elle n’est pas à l’université ou participant à l’une des nombreuses conférences publiques, elle essaie de ne pas se laisser obséder par ce qui approche : « C’est un peu comme pour la mort, nous savons qu’elle est là, pourtant nous n’y pensons pas tous les jours parce que ce serait paralysant. »

Gestes écologiques
En 2014, Lesley Head, une géographe de l’université de Melbourne qui se consacre aux dimensions culturelles des problèmes écologiques, s’était penchée sur les états d’âme des climatologues australiens, dont beaucoup pensent qu’il est déjà trop tard pour limiter le réchauffement à 2°C. Le titre de l’article reprenait les propos d’un chercheur : « Keeping the heart a long way from the brain » (« maintenir le cœur loin du cerveau »).
La plupart d’entre eux, se souvient-elle, « insistaient sur la nécessité de ne pas laisser leur recherche être affectée par leurs émotions ; ils cloisonnaient le plus possible travail et vie privée ; ils employaient souvent l’humour pour dédramatiser… Comme ils ont été confrontés à un système universitaire exigeant et concurrentiel, et qu’ils sont passionnés, ils possèdent une grande capacité de résilience ».
Comme ses collègues, Lesley Hughes se préoccupe quotidiennement de son empreinte carbone : « J’ai fait poser des panneaux solaires sur la maison et je vais en ajouter d’autres en même temps qu’une batterie qui permettra de recharger ma prochaine voiture électrique. Je compense tous mes voyages en avion et j’ai réduit ma consommation de viande de manière drastique. »
Autre geste très écologique, mais surtout motivé par la préservation de sa santé mentale, elle ignore tous les réseaux sociaux, qui charrient les attaques des climatosceptiques. En revanche, puisque « l’espoir n’est pas une option », elle a suivi avec bonheur ces milliers d’élèves australiens qui sont descendus dans les rues le 30 novembre, jour de la grève pour l’action climatique (la « Strike4 Climate Action »).
La menace qui plane sur les générations futures, dont leurs propres enfants ou petits-enfants, pèse mentalement sur les scientifiques. C’est du moins ce qu’a noté la géographe Lesley Head dans son étude. Plusieurs de ceux qui furent interrogés allaient jusqu’à envisager de déménager en Tasmanie, la grande île au sud, plus tempérée, ou de rejoindre l’Europe ou le Canada lorsqu’ils possèdent plusieurs passeports.
C’est ce qu’a fait le Britannique David Griggs, qui participa aux rapports du GIEC avant de passer dix ans en Australie, à l’université Monash de Melbourne.
En retraite active depuis dix-huit mois, il a retrouvé son Angleterre natale et le cottage familial près de Torquay. Pendant qu’il parle, le ciel par la fenêtre est d’un beau gris très british : « Le réchauffement n’est pas la raison principale de mon retour, mais les projections climatiques sont moins mauvaises ici. L’Australie est le pays  développé le plus vulnérable. Beaucoup de gens vont souffrir, beaucoup vont mourir. Le problème, c’est qu’aucun certificat de décès ne précisera que c’est à cause du changement climatique, on inscrira arrêt cardiaque, coup de chaleur ou brûlures dans un feu de brousse… »
Pendant des années David Griggs s’est démené au sein de son institut universitaire consacré au développement durable. Il a rencontré des journalistes, des chefs d’entreprise, des leaders nationaux : « On a fourni des kilos de rapports du GIEC à un premier ministre [le libéral Tony Abbott] et il a répondu en citant un poème patriotique de 1900 sur le pays “de sécheresses et de pluies diluviennes” [Of droughts and flooding rains], comme si tout était normal... »
Il a couru les écoles et les conférences. Dans sa vie personnelle, il a « isolé, réduit, réutilisé, recyclé » autant qu’il a pu. Mais il a mesuré l’inertie du système à se réformer, parce que ceux qui auraient à perdre « sont les moins nombreux mais les plus bruyants et les plus puissants ».
Alors, faute de pouvoir sauver le monde, il pense à sa famille : « Où que j’aille, je ne pourrai la protéger des bouleversements économiques, des migrations de masse et d’autres impacts qu’entraînera le réchauffement. Mais, quand de nouveaux événements me font craindre le pire, je me dis qu’en revenant ici j’aurai fait ce que je pouvais. Et j’espère que mes petits-enfants sauront que j’étais, avec d’autres, en première ligne dans ce combat. »

Sensibiliser les enfants
Comment évoquer un tel avenir avec ses enfants ?
« Les scientifiques que nous avons interrogés se disaient mal à l’aise pour en parler, de peur de les angoisser et les laisser désemparés », constate Lesley Head. C’est ce genre de pensées qu’a en tête Jason Box, glaciologue américain qui travaille pour un centre de recherche danois, lorsqu’il s’adresse à Astrid, sa fille de 7 ans : « J’essaie d’être très prudent dans mon approche, je ne veux pas la rendre folle. Pour l’instant, je lui explique l’importance des arbres qui collectent l’énergie du Soleil ou le carbone pour en faire de l’oxygène, comment la nature est un modèle très bien conçu, qu’il ne faut pas perturber par nos pillages. »
Apparemment, Astrid comprend et ne se laisse pas abattre : elle était sur les épaules de son père, le 30 novembre, pour encourager les lycéens danois qui sautaient tous ensemble sur une place de Copenhague en criant « Nous demandons un futur ! »
Pourtant, Jason Box n’appartient pas à ces experts qui redoutent de paraître trop alarmistes. En juillet 2014, commentant les observations d’une équipe suédoise qui notait que du méthane s’échappait de sous l’Arctique, imaginant le scénario infernal d’un gaz libéré par le réchauffement et qui l’aggraverait encore, le glaciologue s’était lâché sur Twitter : « Même si une petite fraction du carbone au fond de l’Arctique est libérée, nous somme baisés » (we’re f’d).
Ces quelques signes ont défrayé la chronique : le scientifique, dont la barbe et les cheveux blonds collent parfaitement au cliché du Viking, a eu droit à des articles dans Rolling Stone, Esquire ou Salon, son institut de recherche lui a reproché son manque de retenue, certains collègues ont jugé « stupide » son « nihilisme ». Mais Jason assume ses propos :
« L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste, on ignore si le méthane en est responsable… La connaissance peut parfois faire peur, même aux chercheurs. »
Le jeune homme n’est pas non plus de ces climatologues que Naomi Klein (1) estime «

effrayés par les implications radicales de leurs propres découvertes » lorsqu’elles « déstabilisent involontairement l’ordre social et politique ».
Il fut l’un des rares scientifiques arrêtés devant la Maison Blanche lors d’une manifestation contre l’oléoduc Keystone en2011 : « Des migrants au conflit du Darfour en passant par le “printemps arabe”, on peut lier tous ces événements au réchauffement et aux sécheresses. Il est temps de dire que si nous voulons en sortir, il faut changer de modèle économique et politique. »

Le choc des climatosceptiques
Son collègue Michael Oppenheimer, professeur de géosciences et de politique internationale à l’université de Princeton, croit assez peu aux promesses du « Grand Soir » : « Si l’on compte sur la révolution pour enrayer le réchauffement, les températures de la planète auront augmenté de 6°Cavant qu’elle n’advienne. Mieux vaut faire avec le système existant et les technologies vertes qui se profilent.»
S’il confesse son pire moment d’abattement quand « Trump a annoncé qu’il voulait retirer son pays de l’accord de Paris », il demeure optimiste : « Le gouvernement fédéral pourrait changer dans deux ans », dit-il, pendant que son collègue Peter Frumhoff, l’un des auteurs du GIEC récompensés du prix Nobel de la paix en 2007 et membre de l’Union of Concerned Scientists (Union des scientifiques concernés, inquiets) compte, lui, sur le réveil du pays réel : « Avec les ouragans et les inondations en Floride, les incendies en Californie, les gens voient que le changement climatique est dans leur cour et que le gouvernement fédéral leur ment. Les Etats et les villes, eux, restent en ligne avec l’accord de Paris.. »
En attendant, puisque le premier des climatosceptiques est à la Maison Blanche, Camille Parmesan, biologiste texane qui fut aussi parmi les nobélisés de 2007, a préféré l’exil. Elle a suffisamment enduré les attaques personnelles sur Internet ou subi les sarcasmes comme ceux du conservateur Rush Limbaugh, animateur de radio, lorsque, dès les années 1990, elle avait démontré qu’une espèce de papillon migrait vers le nord à cause du réchauffement.
Puis, elle s’était consacrée à 1 500 espèces d’animaux et de végétaux dont la moitié changeait d’aire géographique et les deux tiers connaissaient un décalage saisonnier : «Ces chiffres étaient vraiment choquants… Nous avons publié la recherche le plus vite possible, pensant que les responsables politiques allaient réagir. Mais le gouverneur de l’Etat l’a ignorée. Le Congrès était hostile à la science, même sous Obama.»
Elle en fut, dit-elle « professionnellement déprimée » et l’expression fit parler dans le milieu : « Je suis très heureuse sur le plan personnel, mais j’étais en colère devant l’indifférence des politiques. »
Partie en Angleterre avec son mari pour des raisons personnelles, elle pensait revenir à Austin quand Trump a été élu. Alors, elle a choisi la France et le CNRS, dans le cadre du programme « Make Our Planet Great Again » d’Emmanuel Macron : « C’est quelque chose de laisser son pays, même si j’ai été très bien accueillie par mes collègues de Toulouse et de Moulis, en Ariège. Certains membres de ma famille n’ont pas compris mon choix, d’autant qu’ils sont géologues pour des compagnies pétrolières ou votent républicain. »
En novembre, lors du dernier repas de Thanksgiving, tous ont pris soin de ne pas parler politique : « Mais, après quatre ouragans destructeurs en dix ans sur Houston, ils savent ce qu’est le changement climatique », assure celle qui vient de signer, avec seize autres scientifiques, un article dans la revue Science affirmant l’absence de doute quant aux multiples impacts du réchauffement : « Les climatosceptiques ne pensent qu’à eux et sont dangereux. »
Ils auront aussi fait perdre un temps précieux. Jean Jouzel, le plus célèbre des climatologues français, n’a pas oublié les dénigrements tapageurs de Claude Allègre, ponte du Parti socialiste puis ministre dégraisseur de mammouth. Il garde un souvenir amer des insinuations lancées par un éphémère « M. Météo » sur ses liens supposés avec des entreprises du BTP et du CAC 40 : « Être accusé à tort de ce genre de choses, cela touche et cela blesse. »
La campagne qui précéda la COP de Copenhague en 2009 – piratage et falsification de courriels, remise en cause du travail du GIEC à partir d’une erreur ponctuelle – l’a aussi « affecté par son manque d’élégance ».
Aujourd’hui associé à l’économiste Pierre Larrouturou pour proposer un Pacte finance-climat européen à 1 11 milliards d’euros par an, il laisse deviner son pessimisme : « La prise de conscience aurait dû avoir lieu il y a trente ans. Notre génération est d’un égoïsme qui fait froid dans le dos.

Confiance en l’intelligence collective
Au cours de toutes ces conversations peu réjouissantes avec les climatologues, on pensait souvent au vers de Loren Eiseley que Jim Harrison avait placé en exergue d’un roman : « Nous aimions la Terre, mais n’avons pu rester. »
Et puis, on s’est entretenu avec Valérie Masson-Delmotte, qui semble trouver remède à la sinistrose dans la multiplication des engagements.
Directrice de recherche au CEA (Commissariat à l’énergie atomique), vice-présidente du groupe de travail n° 1 au GIEC, elle écrit des livres pour enfants, enchaîne les conférences publiques, court les médias. Elle vient aussi d’intégrer le Haut Conseil pour le climat, créé par Emmanuel Macron. Une telle activité déborde largement sur sa vie privée : « Mais je vois cela comme un combat contre le fatalisme. La première des émotions de mes étudiants, c’est la peur, donc le déni, et ce genre d’attitude ne permet pas de se projeter… » Pour autant, elle refuse l’appellation de « pasionaria du climat » dont elle fut gratifiée, sans doute à cause de l’exaltation romantique qu’elle sous-entend : « Quand il s’agit de mon travail scientifique, je mets de côté mes émotions, tout est purement rationnel. Mais, face à certains interlocuteurs, il faut se défaire de la pure objectivité, sinon on n’est pas entendu. »
Sans affectation, elle parle de solutions, de capacité d’adaptation, de nécessaire sobriété, de confiance en l’intelligence collective pour que chacun prenne sa juste part. Elle prétend même que l’on sous-estime la sensibilité des gens à la beauté du monde. Et l’on a presque l’impression que l’on pourrait être sauvé. (1) «
Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique »,

Actes Sud, coll. « Babel », 2016.

Pierre Sorgue

https://www.youtube.com/watch?v=SISSUVzzn5U

 

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