Palettes

Le mouvement des Gilets jaunes apparu au mois de novembre 2018 en réaction à l‘annonce de l’augmentation du prix des carburants s’est vite étendu à d’autres revendications fiscales et sociales.
Il se réunit dès sa création autour de blocages de routes et ronds-points et organise des manifestations chaque samedi.
Sur ces ronds-points devenus agoras, les contestataires se réchauffent au feu de palettes récupérées tout en devisant sur le pouvoir d’achat et la démocratie en France.
Ces carrefours giratoires qui ne servaient qu’à fluidifier la circulation automobile se sont tant multipliés au fil des ans que la devise française circulatoire pourrait se décliner ainsi : « du pain, du vin, du rond-point ».
Notons que, rangé dans le lexique de la manutention, le mot palette désigne un plateau utilisé pour le rangement et le chargement permettant la manipulation et le déplacement de marchandises à l’aide de chariots et d’élévateurs.
Cette palette, censée ne servir à plus rien une fois déplacée par un engin de chantier,- plus communément dénommé transpalettes-, est le plus souvent  une construction de bois susceptible de porter une charge d’une tonne au mètre carré, sacs de ciment, granulés de bois, panneaux de plâtre, courgettes, carrelages, cartons de fromage de Hollande ou toute autre denrée lourde ou volumineuse.
Il s’agit d’un objet à usage unique au même titre qu’un stylo, un briquet, un carton  ou un rasoir sauf qu’il est récupéré par des « grouilleux » ou cul-terreux et qu’il prend alors de multiples usages.
Par chez moi, village altiligérien de péquenauds, la palette peut servir de palissade , de marchepieds pour passer par dessus des obstacles, de support de bottes de foin pour que celui-ci ne touche pas le sol, reste aéré et ne moisisse pas ; ailleurs, elle peut devenir un sommier, un bois de fauteuil ou canapé, une table basse ou haute, une étagère… L’imagination alliée au besoin et soumise à l’ingéniosité, fait de cet objet basique sans poésie une création pop art qui peut aller jusqu’à la déco dernier cri du bobo en mal d’en-canaillerie.
Elle est le lot commun des tenants de la décroissance et des prolétaires modestes mais riches d’imagination, dont les occupants transitoires des ronds-points ou des ZAD.

On peut en faire le symbole de l’objet utile, multi utile, dédaigné par la société de consommation qui préfère le gaspillage et les déchets, à la récupe et à l’ingéniosité.
La palette est la bonne fée de tous ceux qui tournent le dos à la course au « toujours plus » et sont adeptes de la « simplicité volontaire ». Ils affichent leur  noblesse d’ascétisme dans leur talent à réparer ce qui peut l’être, à tirer profit de tout bien et par là-même à convertir le jetable en durable pour préserver l’avenir des générations à venir.
Ces insurgés prennent leurs quartiers aux carrefours ronds des routes et s’abritent sous l’édification à la va vite de palettes assemblées les unes les autres, recouvertes d’une bâche ou d’un plastique ; refuge que n’auraient pas dédaigné les bergers d’antan quand ils n’avaient pas encore atteint leurs abris. Ils  y installent parfois  une chaîne stéréo, des pliants, une table, des réserves alimentaires au cas où…  Pas loin, le feu brûle, entretenu par les morceaux brisés de palettes disloquées puis jetés dans les flammes. Ici,  la palette affirme sa place de matériel de première importance. Surtout qu’il fait froid !
Ces campements de fortune peuplés de nouveaux zadistes en gilet jaune et fluo témoignent de leur résistance de combattants contre les décisions fiscales et politiques délétères de la « Macronie » qui les étouffe. Ces squatters s’opposent à la consommation débridée, à l’incompétence politicarde, au gaspillage, à la gabegie de nos dirigeants, à la pollution, à la décadence sociétale mue par l’obsession du gain.
Ils répondent sur les ronds-points aux quatre vents par l’absence de gâchis, la compétence, le savoir-faire, la débrouillardise, le bon sens  qui furent l’apanage de nos anciens des siècles durant.
Le mouvement des Gilets Jaunes interroge : outre sa révolte contre la gestion consternante  des élus, il s’insurge contre la passivité, l’indolence, l’inculture, l’impéritie de notre monde ainsi dirigé. A contrario, il affirme les vertus universelles d’intégrité, d’autosatisfaction, de réussite lorsque la besogne du groupe accomplie, le corps et le cœur se réjouissent à l’unisson.
Le bonheur de faire ensemble libère de l’individualisme commun et restaure la joie du vivre ensemble.
La coupe était pleine, la goutte de trop qui l’a faite déborder était l’augmentation du prix à la pompe qui a mis le feu à la plèbe.
Que ceux qui se croient sortis de la cuisse de Jupiter prennent garde : leur boulimie de pouvoir leur a fait négliger la liberté, l’égalité, la fraternité des citoyens, ces parias qui souhaitent boycotter l’inutile et le superflu, importé à grand frais de pollution, de dépendance, d’exploitation de main d’œuvre soumise au dictat des maîtres
Les mécontents en gilets jaunes préfèrent la frugalité incluse dans un mode de vie simple et raisonné, la démerde, le rafistolage, la récup, le recyclage.
Entre gaspilleurs et récupérateurs, la palette fait un feu de joie autour duquel il fait bon danser, trinquer, rêver de solidarité, penser à un futur égalitaire et fraternel qui ne soit pas seulement au service des puissants et de leurs obligés.
La populace prend enfin sa revanche.

Février 2019

 

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