Joël

Joël et moi nous sommes mariés en août 1970; il avait vingt-trois ans et moi dix-huit.
Je voulais quitter la maison familiale où je me sentais enfermée, vivre une vie sans entrave, en un mot être libre et sans joug.
Il aimait les voyages et avait pas mal bourlingué quand je l’ai rencontré.
Nous voulions voyager, mener une vie post-soixante-huitarde.
Nous sommes vite partis en Belgique, d’abord à Bruxelles où est né notre fils Olivier en novembre 1973 puis à Ottignies-Louvain-la-Neuve. Nous y avons été heureux.
Notre chien Djex, un gentil malinois, faisait partie du voyage.
Nous nous sommes séparés en 1982. Nous avons seulement divorcé en 1989, après qu’Alice soit née.
Hormis quelques années durant lesquelles j’avais coupé le contact avec Joël après mon accident, j’avais continué à le rencontrer, parfois avec sa compagne Michèle qui a longtemps vécu avec lui ou pour retrouver notre fils parti loin pour travailler lorsqu’il venait en vacances.
Nos coups de fil réguliers me manqueront, son absence me  sera un immense vide. Car on ne ne passe pas impunément dix ans de sa vie avec quelqu’un sans en être à jamais marquée de cette empreinte.

Avant qu’il ne soit réduit en cendres, nous étions neuf à nous être réunis autour de son cercueil, neuf fidèles à notre attachement à Joël.
Olivier, malgré son émotion a lu ce texte:

« Ce texte a été rédigé conjointement par Viviane et moi, Olivier. Viviane a trop d’émotions, ce qui la fait pleurer et toi tu ne voulais pas qu’on pleure, bien au contraire tu voulais de la joie.
Joël, tu t’es éteint jeudi 23 juin 2019, à 20H 50, moins de deux heures après que nous t’ayons quitté, alors que tu reposais paisiblement, très calme, sans souffrance et endormi dans une chambre ensoleillée. Tu avais fait dans l’après-midi de longues pauses respiratoires dans son «sommeil».
Nous savions que c’était la fin, et toi aussi, tu le savais. Tu la souhaitais cette fin, tu l’avais demandée avec grande insistance et répétée car pour toi, c’était ta solution à tes souffrances. Tu as montré là un grand courage, un très grand courage, dont peu de gens sont capables. Et là, tout le monde te respecte.
Il y a neuf ans, un dernier infarctus t’a frappé  durant lequel tu avais survécu seul, chez toi, six heures durant, après tes deux coups de téléphone au SAMU.
Malgré la répétition et l’instance de tes SOS, le SAMU n’est venu te chercher que six heures après!
Ce retard de prise en charge avait causé de gros dégâts… Le pronostic de survie moyen de quatre ans évoqué pour un insuffisant cardiaque, tu l’as pourtant doublé. Là encore, quelle leçon de courage tu as su nous montrer !
Tu as encore pu voyager, au Maroc et en Asie dont tu gardes plein de souvenirs.
Ton dernier voyage date de Noël dernier, destination Agadir, le soleil comme tu l’aimais. Tu m’y avais retrouvé, car malgré nos différences, tu étais si attentionné, tu te souciais de moi et tu me chérissais tant…
Malheureusement, ton fragile édifice vacillait, les médicaments faisaient de moins en moins d’effets, les hospitalisations se succédaient. Tu en avais marre de cette faiblesse et de cette incapacité ! Tu essayais de rêver à des voyages mais la réalité te rattrapait. Tu recherchais une solution sans souffrance pour mettre fin à ton calvaire.
Ce jeudi 23 mai au matin, Viviane et moi étions à Gabelon, chez toi, dans ta maison que tu avais retapée et où Michèle t’avait accompagné de longues années.
Contre le mur de la grange, les corêtes du Japon illuminaient les pierres le leurs pompons jaunes. Les fraisiers du petit jardin étaient en fleurs. Tu aimais les fraises sucrées avec un peu de vin.
Devant la maison, sur la route, un lilas mauve fleurissait.
Quelques jours avant, nous avions eu le temps de nous parler : tu nous avais dit de ne pas être tristes car tu avais vécu une belle vie remplie d’aventures et d’expériences. Mais nous avons le droit d’être tristes car on n’est pas toujours maîtres de ses émotions.
Tu demeures en nous, fantasque, surprenant, obstiné, indépendant, cultivé, ouvert et anticonformiste, avec ton envie de prendre plaisir de l’instant présent et avec une intelligence et une analyse hors du commun.
Tu nous as dit qu’un passage sur terre t’avait suffit et que tu ne voulais pas que quoi que soit de ton corps revive sur terre.
C’est pour cette raison là que nous réalisons ta volonté d’incinération par laquelle tu seras, maintenant et à jamais réduit en poussières.
Il nous restera de toi plein de bons souvenirs, de voyages insolites en bateau, de passion pour l’apiculture, des talents de bricolages…,
L’affection précieuse que nous avons conservée contre vents et marées,
Nos coups de fil réguliers, nos conversations que tu entrecoupais parce que tu n’arrivais plus à respirer.
Il nous restera de toi le lien que nous avons su sauvegarder, de tendresse marqué, lien  que tant d’autres ont fermé dans des coffres rouillés.
Il nous restera de toi, blottis dans notre petit jardin secret, une fleur oubliée qui ne s’est jamais fanée.
Ce que tu nous as donné, dans tes amis fleurira.
Il nous restera de toi ce que tu nous a offert et qui n’a pas de prix car il est singulier et unique.
Il nous restera de toi ce que tu as perdu et que tu as attendu plus loin que les réveils.
Ce que tu as souffert, par d’autres un jour se payera.Celui qui perd sa vie, qui sait ce qu’il en adviendra ?
Il restera de toi une larme tombée,
Un sourire germé sur les yeux de l’amitié.
Il nous restera de toi ce que tu as planté,
Et que tu as partagé avec ceux que tu aimais.
Ce que tu as semé, en d’autres germera…
Joël, nous te souhaitons, comme le souhaitait Maurice, un ultime merveilleux voyage dans l’au-delà.
Repose en paix. »

Juin 2019

 

 

 

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Une réponse à Joël

  1. Danielle Rodde dit :

    Il est un temps des départs de nos très proches, de notre génération… Joel, Odile, au revoir!…
    Mes condoléances, Viviane, Olivier et à votre famille.

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