Attila

Nous avons définitivement perdu sa trace l’été 1995. C’était le dernier été que nous passions à Granoux.
Nous quittions les parages pour le sud espagnol.
La ferme devenue notre habitation était couverte d’un toit de lourdes lauzes, la façade cachée par la généreuse vigne vierge ampélopsis parthénocissus arrimait au mur les ventouses de ses vrilles qui  cachaient le crépi ancien et solide.
Spectaculaire en automne, elle flamboyait de pourpre de toute sa superbe couverture de feuilles rougeoyantes.
Nos enfants avaient l’âge de l’enfance. La cour herbeuse était leur espace privatif de jeux et le passage obligé de nos trois poules escortées du coq nain gris.
Devant la maison, passait une route villageoise.
Celle-ci ramenait et éloignait à intervalles réguliers un chien roux, nomade fidèle à Granoux, itinérant comme ces oiseaux de passage qui établissent leurs quartiers pour un temps compté en des lieux précis.
Il faisait une halte chez nous, se restaurait, s’abreuvait, emmagasinait une réserve de caresses et de cajoleries. Puis, il s’envolait comme il était venu sans crier gare.

D’où venait-il ? Où allait-il ? Nous ne le sûmes pas. Pourtant, j’avais essayé d’enquêter auprès des habitants mais ce fut vain.
Attila se contentait de surgir un jour et de s’éclipser un autre. Cette succession d’apparitions-disparitions resta une énigme.
Notre souvenir le garde donc toujours fringant et vagabond, épris de grands espaces, libre comme le vent qui emporte les navires au large.
C’était nous qui l’avions appelé Attila. Il me faisait penser au chef des Huns qui traversa pays et contrées en conquérant, arpentant infatigablement la steppe.
Je pense qu’il s’arrêtait chez nous parce qu’il y avait des enfants et parce que nous lui faisions fête, ce qu’il nous rendait bien.
Tout le temps où nous avons vécu à Granoux, il fut notre plus fidèle visiteur et le plus énigmatique.
Nous nous contentions du bonheur de nos rencontres que nous attendions, que nous espérions, dont nous nous inquiétions si elles tardaient.
Nous étions quelque peu admiratifs de ce chien bohème et sans maître. Nous respections sa soif de liberté, nous honorions son existence d’éternel errant.

Juin 2019

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