Suite 2 : Témoignages de femmes à la campagne au 19ème siècle

Émilienne Palay (extrait de presse) de la plaine du Forez au milieu du 20ème siècle :
Interview de Marie-Antoinette Meunier (née en 1910) réalisée par Mme Fréry pour La Tribune-Le Progrès du 15 avril 2002.

Quels sont les faits qui vous ont le plus marqué durant le siècle écoulé ?
Ce sont les deux guerres. Lorsque mon père est parti à celle de 1914, je n’avais que quatre ans, mais je m’en souviens comme si c’était aujourd’hui. Maman a pris en charge la maison, le travail et il fallait s’occuper de deux enfants. J’avais un frère. C’était très difficile.
Nous habitions sur la Route nouvelle. A cette époque, on savait que la guerre des tranchées était dure, maman était fort inquiète. Un jour, je jouais sur la route (il n’y avait pas de voiture) avec deux autres enfants, on a aperçu trois militaires vêtus d’une capote kaki, j’avais peur de ces hommes ; pourtant l’un d’eux était mon père, on était en 1915.
Je me suis alors jetée dans ses bras, j’étais heureuse mais je ne comprenais pas tout. Quatre ans, ce fut long. Maman était très travailleuse, nous avons pu passer ces années de guerre, notre seul espoir était le retour de mon père. Son retour m’a marquée, mais on en parlait peu. J’avais grandi.
A seize ans, un fait m’a marquée : sur le boulevard de Montbrison, j’ai rencontré une cartomancienne qui m’a prédit un avenir heureux et une longue vie, très longue ! C’est peut-être pour ça que je suis encore ici.
Je me suis mariée en 1928, nous avons eu deux enfants.
En 1931, nous avons pris une ferme et nous nous sommes installés aux Belles Dents. En 1938, nous sommes revenus au Bicêtre, sans nous douter qu’une deuxième guerre allait éclater en 1939. J’ai eu de la chance, mon mari a été réquisitionné chez Chavannes Brun, mais vous savez, cette guerre, c’était l’horreur pour tous les gens. On est marqué à vie, il faut être fort pour résister à tous les événements.

Comment étaient les travaux à la ferme ?
C’était très dur, pénible, les journées étaient sans fin. Il fallait travailler courageusement. Tout se faisait à la main ; les moissons, les fenaisons, les vendanges, le bois pour se chauffer.
Pour laver le linge, on allait quérir l’eau à l’étang et on rinçait le linge au ruisseau. Il fallait charger les corbeilles de linge sur des brouettes, on n’avait aucun moment pour soi. La traite des vaches se faisait à la main. Maintenant, les paysans ne savent plus traire à la main. On refroidissait le lait, ensuite on le mettait en bouteille, on prenait le « charaban », le cheval, et on allait livrer le lait à domicile à Montbrison. Il ne fallait pas se décourager.
Oh ! on était heureux, malgré tout ; il y avait les veillées qui occupaient une grande place. Quelquefois, elles duraient toute une nuit. Tout était prétexte à faire la fête. Les rapports entre voisins étaient bons, familiaux, chaleureux, tout le monde était pareil. Et puis, on allait danser au bal des familles à Montbrison.
Ce que l’on a appris à la ferme, élevages de volailles de porcs, nous a servi durant la deuxième guerre. Nous n’avons pas souffert pour manger et nous avons pu rendre service aux gens.

Que représente le Bicêtre pour vous ?
J’ai connu le Bicêtre lorsqu’il était le centre de Savigneux. La mairie était alors à l’emplacement actuel du bar « Ma Campagne ». L’église était très près du Vizézy. La commune comptait alors soixante personnes.
Dans le clos de madame Nicolas, il y avait un asile d’aliénés. On baignait les fous dans une boutasse.
Une source d’eau minérale existe au Bicêtre. On devrait la remettre en route.
Les gens n’étaient pas riches mais heureux. Pour moi, le Bicêtre, c’est ma vie, c’est la mémoire de Savigneux, il faut s’en souvenir.

Que vous a apporté le progrès ?
Ce que j’ai le plus apprécié, ce fut l’eau courante. Pour nous, c’était merveilleux. Le frigo, la machine à laver, nous ont apporté un confort dont nous ne nous séparerions plus actuellement. La vie est devenue plus facile.
La bicyclette a été une avancée considérable, nous étions libérés. On pouvait enfin se déplacer librement. La liberté, quoi !
A cette occasion, je pense que vous ne le savez pas, ce fut Madame Vachez, la sage- femme, qui a été la première femme de la Loire à avoir son permis de conduire et qui a possédé la première voiture à Montbrison. C’était une femme d’un tempérament exceptionnel. Le jour de ses funérailles, un samedi matin, le marché était vide et la collégiale avait sa place remplie de personnes qui lui rendaient hommage. Elle est morte il y a quarante-six ans. J’ai su le nombre d’enfants qu’elle a mis au monde, mais je l’ai oublié, vous me pardonnerez !
Et puis avec les médias, les journaux, les livres, je suis au courant de plein de choses, tout m’intéresse et m’attire.Le progrès nous a apporté des salaires et, pour moi et bien d’autres, des retraites convenables. Par contre, les valeurs ne sont peut-être plus les mêmes pour tout le monde. C’est dommage. Ce qui me gêne, c’est le manque de respect pour les individus et les choses, ça va peut-être trop vite.

Etes-vous bien entourée ?
Malgré mon âge avancé, les chagrins que j’ai éprouvés en perdant mes êtres chers, je trouve que je suis fortement gâtée. J’aime les gens, le contact, j’aime recevoir, donner, j’adore mes petits-enfants.
Si je suis bien, je me rends au club « Entente et Amitié » de Savigneux, de nombreuses personnes font partie de mes connaissances, j’ai pris ma carte cette année encore. Il ne faut pas rester seule. Il faut se tenir informé. J’ai de nombreux amis, c’est réconfortant. Je suis heureuse, malgré tout.
Je fais encore mon ménage toute seule. Si besoin, je fais appel aux voisins, il n’y a aucun problème. Je crois que j’ai de la chance. Au fait, j’ai oublié de vous dire, j’ai vu planter les premières roses de Paul Croix !

Madame Piroche du nord de la plaine du Forez probablement au 19ème siècle :
Je suis a nièce de Melle Bréasson. Elle m’a parlé du travail que vous faites au Centre social et elle déplorait que ma mère (qui a son âge) ait perdu la mémoire de son passé. Or mon père avait fait un important travail de recherche généalogique sur mes familles et à cette occasion, il avait interviewé sa belle-mère et rédigé ses souvenirs.
J’ai moi-même bien connu ma grand-mère qui est décédée en 1971. Elle avait gardé jusqu’à la fin un esprit gai et une grande mémoire de son passé.
Ayant vécu en un temps où les seules distractions étaient dans l’environnement immédiat, ses souvenirs s’y rapportaient et elle prenait un grand plaisir à les raconter.
Joséphine Cornet est née le 13 mars 1876 dans une famille de petits agriculteurs propriétaires à Morand un hameau de la Côte-en-Couzan, deuxième fille d’une famille de cinq enfants.
Elle a épousé le 19 février 1898 Adrien Ponchon, de 13 ans plus âgé qu’elle, agriculteur à Réchaussat (commune de Saint-Didier-sous-Rochefort) qui vivait avec sa mère veuve et une tante qui avait été gouvernante toute sa vie chez des bourgeois lyonnais. Ils ont eu cinq enfants : 2 garçons et 3 filles.
Ma mère est l’avant-dernière. Le second garçon et deux filles ont fait des études secondaires bien que cela ait demandé un gros sacrifice financier à mes grands-parents. Je vous recopie tout d’abord ce que mon père a écrit au sujet de ma grand-mère.
Mais commençons d’abord par Antoinette Siveton, sa grand-mère maternelle. Elle était née aux alentours de 1800 et serait volontiers restée célibataire dans la maison familiale. En effet à cette époque de familles souvent nombreuses, une partie des enfants restaient célibataires à la maison pour éviter de partager le bien et pour fournir leur main-d’œuvre. D’autre part, les filles n’avaient pas un grand choix pour trouver un mari. Il fallait le dénicher dans un rayon correspondant à une distance facilement parcourue à pied. Dans le cas contraire, c’était l’exil et bien peu de chances de revoir souvent la famille.
Mais la maison revint à son frère qui se maria, introduisant au foyer une belle-sœur dont Antoinette comprit très vite qu’elle devrait être la servante. Elle s’est donc mariée pour lui échapper avec un brave homme qui a laissé le souvenir d’un rabâcheur pas très futé alors que sa femme était drôle et intelligente. Elle a dû porter la culotte dans le ménage.
Ma grand-mère racontait que quand sa grand-mère avait mis de l’eau à chauffer, Mathieu invariablement la prévenait « Oh ! fene, ou bi, tou bi« . Elle lui répliquait « laisso bidre vieillo brenno » qui montre qu’elle ne lui manifestait pas beaucoup de respect. Il est vrai aussi qu’en patois les mots n’ont pas la même portée qu’en français.
Antoinette Siveton est morte subitement en faisant sa prière.
De la mère d’Antoinette nous sont parvenues quelques anecdotes. Elle était de chez « le Gré », chez Vial en fait, à Ventuel, hameau voisin.
Enfant, alors qu’elle gardait les bêtes assez loin de la maison, sur les flancs du pic de Morand qui était alors en herbage, elle disputa une de ses chèvres à ce qu’elle crut être un gros chien, tirant d’un côté tandis que le loup tirait de l’autre. Le loup renonça et elle rentra aussitôt à la maison.
Jeune fille, ses parents l’envoyèrent au Bost, réclamer au seigneur de Chaussecourte une somme qu’il leur devait pour du vin qu’il avait pris chez eux et ne payait jamais (entre nous soit dit, je me demande bien d’où mon aïeul tenait ce vin). Chaussecourte était une sale bête dont Compigne fait un portrait effrayant dans « Terres druidiques et féodales ».
Ma grand-mère racontait savoir qu’il « taquinait » les bergères en sautant par-dessus elles avec son cheval et qu’il aurait fait danser (comment ?) une pauvre vieille qui l’appelait « Monsieur de les courtes chausses ». Terrorisée,  l’arrière-grand-mère alla au Bost et Chaussecourte dit à sa bonne « Catherine, donne-lui six francs« . Catherine lui jeta six francs à terre et la jeune fille repartit, dès qu’elle les eut ramassés, en courant. Elle courut jusque chez elle.
Antoinette Siveton épouse Clair, eut quatre enfants :
1 - Lélie, l’aînée qui resta célibataire. Elle voulait se faire religieuse mais après une année passée au couvent, elle revint à la maison déconseillant à qui voulait l’entendre d’entrer en religion.Elle s’était fort ennuyée au couvent et avait trouvé les sœurs d’une méchanceté qu’elle n’aurait pu imaginer. C’est elle, parce qu’elle était l’aînée, parce que ses deux autres sœurs se sont mariées et parce que son seul frère était un peu simple d’esprit, qui hérita de la maison.
Quand l’aînée des filles de sa sœur Rosalie eut 15 ans, elle la prit avec elle et en fit son héritière (c’était probablement sa filleule). Cette fille, Marie Cornet, ne put épouser le garçon de son choix, son père s’y opposant parce qu’il appartenait à une famille où il y avait des tares (je ne sais pas quoi). Elle en épousa un autre (qui je crois n’était pas très apprécié dans la famille) .
2 – Philomène la 2e épousa un cousin germain.
3 - Rosalie, la dernière née en 1846, était mon arrière-grand-mère. Elle épousa un voisin. Ils eurent cinq enfants en négligeant (dit mon père) ceux qui n’ont pas, ou peu, vécu. Âgée, elle se plaignait de violents maux de tête, « Faites-vous faire une tête en bois » lui répondit le docteur. Elle mourut le 15 juillet 1929 après avoir totalement perdu la mémoire au point de ne pas reconnaître ses proches. Une maladie qui ne toucha pas sa fille mais qui s’est retrouvée chez 4 de ses petites- filles dont les 3 filles de ma grand-mère.
Joséphine, sa fille, ma grand-mère, avait dans sa vie vu changer beaucoup de choses. Elle a vu abandonner le  feu brûlant librement dans le foyer de la cheminée. Cela se fit progressivement. On fit d’abord le feu dans le poêle seulement en hiver. On revenait au feu dans l’âtre aux beaux jours. Puis on fit le feu dans le poêle toute l’année sauf la cuisson des pommes de terre pour les cochons qui se faisait toujours à la crémaillère.
Les choses en étaient là quand elle se maria en 1898. Donc devinrent inutiles : la poêle à longue queue et l’ »andère » qui la supportait, les « tupins », marmites à trois pieds puis la crémaillère quand la nourriture des cochons fut cuite à la chaudière. Ma grand-mère vantait la saveur des pommes de terres cuites sous la braise dans l’âtre et celle des saucissons que sa grand-mère y faisait cuire après les avoir enveloppés dans un de ces papiers bleus qui entouraient les pains de sucre.
En se mariant, Joséphine reçut un lit. Le premier lit comprenant un sommier et un matelas. Le sommier était une telle nouveauté que le menuisier de Saint-Didier gardait secret la façon de le monter et envoyait son commis faire une commission lointaine quand il en faisait un pour qu’il ne divulgue pas le secret ; (Le lit en question j’y ai couché. ; c’est ce que nous appelons un lit à rouleaux, bien court et bien étroit par rapport à nos lits actuels).
Auparavant le lit comportait une paillasse de feuilles de maïs ou de hêtre dans une sorte de caisse, constituants souvent des lits clos dits crèches ou placards (avec des rideaux pour les fermer). En hiver, on mettait sur la paillasse une couette (un sac de plumes) qui pouvait y rester toute l’année et justement ma grand-mère en avait une sur son matelas de laine (quand on a eu l’habitude…).
Dans l’enfance de ma grand-mère, on s’éclairait à la lueur de l’âtre et par des morceaux bien résineux « de tio » qu’on brûlait à la veillée sur la pierre devant le four et aussi par le « crézio », la traditionnelle lampe à huile. On y consommait l’épais au fond de récipients d’huile ou l’huile de dernière pression. Dans l’enfance de Joséphine, cette lampe avait été détrônée par le « lampiron » petite lampe à essence. Mais sa mère le refusait le jugeant dangereux.
L’électricité, une seule lampe par maison, arriva après la guerre de 14.
Dans l’enfance de ma grand-mère, tout le travail agricole se faisait à la main. C’est surtout  les deux guerres qui marquèrent de grandes évolutions dans la mécanisation. Locomotive avant 1914 puis après la guerre les premiers engrais chimiques.
Après 1945 arrivèrent les tracteurs et machines diverses ainsi que le ramassage organisé du lait.
Le chemin de fer Saint-Étienne – Clermont est né en même temps que Joséphine, mais pour elle et les siens, on se déplaçait à pied, n’hésitant pas de descendre jusqu’à La Bouteresse, et qui plus est avec une vache, pour aller à la foire.
Mon arrière-grand-père avait un âne, le seul du village, mais il le prêtait généreusement à qui venait lui dire tout naturellement « vennou quère l’ènou« , à sa charge de le nourrir durant le temps de l’emprunt.
On comprend qu’à l’ombre d’un tel époux, Rosalie ait passé pour une femme effacée. Elle était, m’a-t-on dit, très brave, très bonne et bien vaillante. Tandis de Jean-Marie courait le pays avec son âne (un âne qui savait s’arrêter tout seul à tous les bistrots), elle faisait le travail de la maison.
Mon arrière-grand-père n’était pas du tout un ivrogne. Ce qu’il cherchait au café, c’était la compagnie et l’occasion de rigoler un coup et faire des blagues. Mais enfin ce n’était pas tous les jours. A propos de longs déplacements à pied on allait à la messe à Saint-Didier ou à Saint-Jean tous les dimanches bien sûr, et la très dévote tatan Zélie bien plus souvent. Quand il faisait trop mauvais, les femmes se réunissaient pour prier. Elles allaient aussi à « des donnes », rendez-vous charitables au pied d’une croix, on y portait des œufs pour l’église ou du grain et on y distribuait du pain aux pauvres.
Ma grand-mère m’a raconté qu’à une de ces « donnes » elle avait été amusée par la réflexion d’un enfant à sa mère : « Oh ! moma, que de yo, que de yo, ho Moma la bonna panlade (omelette) ! »
C’étaient aussi les jeunes gens qui se chargeaient de la collecte, ramassant aussi le l’argent, mais ils en prenaient pour eux et s’enivraient, disait-elle. J’ai peu dit de choses de Rosalie car on m’en a dit peu de choses. Par contre on m’a dépeint beaucoup plus son mari.
Jean-Marie était un homme très intelligent, aux idées avancées (il était abonné au journal, ce qui était bien rare à cette époque dans les hameaux) et il a même falsifié des élections. Il adorait les plaisanteries. De santé soi-disant fragile. Il souffrait de l’estomac, mais qu’est-ce que ça voulait dire ? Il savait se ménager. Ça ne l’a pas empêché de bien mener ses affaires et d’arrondir le petit bien de sa famille. Les voisins qui avaient des problèmes venaient le consulter et il avait l’art de leur remonter le moral, mais je crois savoir qu’il avait aussi celui de diriger le travail des autres et en tirer profit.
En ce temps presque toutes les maisons avaient un four et on faisait son propre pain. Chacun à tour de rôle se chargeait de cuire le pain des pauvres.
Puisque vous vous intéressez à la condition des femmes, je dois dire quelques mots de la vieille Trape. C’était une voisine de ma grand-mère, un personnage pittoresque qu’elle retrouvait quand elles gardaient leurs bêtes ensemble sur les communaux. Elle lui racontait volontiers sa vie. C’était alors une grosse femme affligée d’un goitre volumineux. Avant de se marier, elle eut une fille, la Catherine, avec Margaton de Collet, « E se perdji lu rapeaux » (elle se perdit dans les rameaux) disait-elle (peut-être lié à l’expression : faire Pâques avant les Rameaux ?). Elle s’est mariée à Bourgignon de la Valla dont elle eut deux enfants, morts tous les deux. Étant veuve, elle eut un autre enfant alors qu’elle était placée aux Charavins. Mais avant la naissance, elle fut demandée en mariage par Jean Combe, sur un chemin. « Putain, les demandes en mariage ne se font pas sur les chemins. Elles se font au café en buvant bichof » répliqua-t-elle.
Ce fut un étrange ménage. Quand en hiver il y avait peu d’ouvrage, La Trape partait dès le déjeuner avalé. Elle allait filer sa quenouille chez n’importe qui. Jean Combe rinçait la lessive. Il préférait ça à aller aux champs. Encore que ça devait être exceptionnel, car disait ma grand-mère de La Trappe : « Du neuf à l’usé je ne sais pas si elle lavait ses tabliers 3 ou 4 fois« . Jean Combe était avare et cachait son argent, sa femme le cherchait et un jour, elle le découvrit dans la caisse de l’horloge.
De nouveau veuve, La Trape se remaria avec Fringon. Celui-ci l’emmena faire des achats pour la noce dont un cotillon. On lui en montra un avec une bande rose mais elle choisit celui qui lui plaisait moins avec une bande violette parce qu’elle avait remarqué que le promis était « décalotté » derrière les oreilles ! Elle avait alors la soixantaine et comme le curé lui disait (La Trape dixit) : « Oh ! vieille folle, vous remarier à cet âge, vous serez damnée« , elle répondit : « Non, non Monsieur l’abbé, je ne suis pas damnée. L’enfer est plein de sœurs et de curés, pas de braves femmes comme moi qui ont fait la charité toute leur vie ». Cette charité concernait les hommes seuls ou délaissés à qui elle demandait pour ses services « 40 sous, comme les autres fois » et qui d’après sa petite-fille lui laissaient aussi à l’occasion « de gros poux noirs » (toutes ces citations devraient bien sûr être en patois qui les rend bien plus savoureuses).
Joséphine Cornet se marie. Elle épouse Adrien qu’elle connaissait puisqu’ils étaient cousins éloignés. Mais c’est à une foire à Noirétable qu’ils se sont « rencontrés ». Ce fut un mariage d’amour. Elle va vivre maintenant à Rechaussat, dans la ferme de son mari à environ 7 km (un peu moins en prenant les « coursières »). Elle devra y partager la vie de deux femmes : sa belle-mère Anne et une tante Mariette. En effet à cette époque pour les filles, il y avait trois possibilités :
1) Épouser un homme qui « venait fillâtre », c’est-à-dire venait vivre avec elle chez ses parents. C’était généralement réservé à l’aînée, à celle qui n’avait pas de frère en âge de reprendre l’exploitation si le père avait disparu ou n’y suffisait pas, à celle qui enfin héritait de la propriété (mon père a ainsi étudié l’histoire d’une ferme, d’après ses archives, où depuis 1667 jusqu’à 1805 la maison fut toujours propriété de femmes).
2) Rester à la maison en célibataire, ainsi leur part d’héritage restait sur place (un bien trop morcelé n’étant plus viable) et travailler avec tout le monde à l’exploitation quitte à avoir un petit chez soi indépendant. Je vous parlerai plus loin de la tante Yane de mon grand-père. J’ai vu plusieurs fois dans des fermes les restes d’un petit logement indépendant dit « Chez la ou chez les tantes ».
3) Se marier et aller dans une autre maison. C’était alors épouser toute la belle-famille, ses caractères, ses rivalités, ses manières de vivre. A moins qu’il n’y ait plus d’anciens encore en vie et alors c’était tout l’ouvrage qu’il fallait assumer. De toute façon, ça ne devait pas être facile souvent.
Mais dans le cas n° 1,  on pouvait aussi voir débarquer une belle-sœur avec qui il fallait s’entendre. Pour ma grand-mère, les choses se sont assez bien passées, sa belle-mère n’était pas très commode mais Joséphine était diplomate et peu susceptible et puis il y avait la tante qui l’appréciait beaucoup.
N’empêche, je suppose qu’elle s’est fait plus d’une fois traiter de « Lève-nez »,elle si délicate, alors qu’Anne disait : « un limaçon dans la salade n’étrangle pas« .
Mais justement parlons d’Anne (ou Annette). Elle avait 25 ans quand elle s’est mariée. Elle était originaire des Émis (la ferme dont mon père a étudié les archives) à quelque 2 km de Rechaussat. Née le 1er avril 1837, elle avait un frère aîné qui est resté maître de la maison. A la génération précédente qui comptait 12 enfants, 5 étaient restés aux Émis, le chef de famille et 4 célibataires. Au moment du départ d’Anne, seule une fille, Marie-Anne dite la Yane, restait en commensal (personne qui mange à la même table) à la ferme. Elle avait hérité de ses sœurs et détenait une part importante de la propriété. Elle habitait un petit logement (qui existe encore mais en bien mauvais état et menacé de démolition), donnant sur la cour de la ferme, face à l’habitation principale. Elle devait prêter main-forte pour les gros travaux mais avait sans doute ses poules, ses pigeons, son jardin. Anne, sa nièce, épousa « le Grand ». Fils d’un huissier qui avait son cabinet à Rechaussat mais devait mener belle vie, (il fréquentait J.-B. d’Allard qui lui avait donné des plants exotiques quand il créa son parc). Il avait avec sa sœur et 2 frères perdu leur mère très tôt. Elle avait été suppléée par une servante maîtresse mal aimée. L’huissier qui devait son instruction à une vocation religieuse sans suite ne fit pas instruire ses enfants au-delà de l’école élémentaire. Les trois derniers partis, seul « le Grand », toujours nommé ainsi bien qu’il eût 7 prénoms, resta à s’occuper de la ferme. Il avait 40 ans quand il s’est marié. Pourquoi ? Etait-ce à cause de la situation de famille ou de ses 2 mètres, une taille exceptionnelle alors et considérée comme une tare. ? Annette ne fit pas un mariage à son goût. Elle aimait un garçon plus jeune de Montpeurier mais il ne convenait pas à ses parents. Elle était par ailleurs très jolie et un lieutenant-colonel, son cousin, l’aurait bien épousée si elle avait été plus instruite (plus policée pour paraître dans le monde qu’il fréquentait). Elle apportait en dot quelques objets mobiliers et une somme de 1 000 francs à titre d’avancement d’hoirie. 500 francs restant dus que son frère réduisit à 400. C’était bien peu par rapport à la valeur de l’exploitation qu’elle quittait.
Les enfants Curtil avaient en effet renoncé à une part plus importante au profit de leur mère pour régler des sommes dues d’une précédente succession.
En effet, dans les familles où il y avait beaucoup d’enfants, il y avait incompatibilité entre le fait de doter ceux qui partaient et celui de conserver une exploitation suffisante pour y vivre. Ajoutons à cela la rapacité de certains.
Donc il arrivait que les dettes s’accumulent d’une part et que les dots ne soient pas payées d’une autre. Les procès étaient nombreux. On peut s’étonner tout d’abord de cette propension à plaider, parfois pour trois fois rien, mais la plupart de ces gens étaient illettrés et devaient en référer à plus savant qu’eux pour le moindre contrat.
Antoine mourut le 2 février 1869 d’une affection de la poitrine qu’on attribua à des coups de timon en garant les chars. Il laissait Annette seule avec 4 enfants dont l’aîné n’avait pas 6 ans. La propriété n’était pas d’un grand revenu et le travail immense. Devant le dernier-né Camille qui était bien malade, Annette désespérée eut cette réflexion : « Pauvre petit ! si le Bon Dieu pouvait te ramasser », Camille survécut, plus tard sa mère qui aurait voulu qu’il se fasse « frère » le mit en pension un hiver à l’école mais il se sauva et devint forgeron. L’aîné, Adrien, qui fut mon grand-père, fut pris en charge par la tante Yane qui l’éleva. Elle aurait bien voulu lui laisser son héritage mais sa nièce la tarabusta tant qu’elle finit par céder et laisser sa part à la maison des Émis. J’ai entendu dire que le testament se fit 4 fois et que les voisins se cachaient pour ne pas être pris comme témoins. Il s’ensuivit, comme on peut l’imaginer, non pas une brouille, mais un froid tenace entre les deux maisons.
Quant à « la tante », la belle-sœur d’Annette, elle avait quitté la maison dès qu’elle avait été majeure. Par l’intermédiaire des sœurs du village, elle fut placée chez des religieuses à Boën, puis à Lyon et bientôt elle fut engagée chez des bourgeois, les Chassagnon. Elle y resta une trentaine d’années et devint gouvernante après la mort de la patronne. Le patron à sa mort lui légua son mobilier dont elle revendit une partie aux neveux héritiers. Elle apporta à Rechaussat des objets de luxe qui furent toujours un peu insolites dans cette ferme. Je me souviens d’un petit secrétaire, une chaise percée, une armoire dont j’ai hérité, des couverts en argent et bon nombre de bibelots de piété (rosaires, statuettes, tableaux). Elle avait aussi amené à la maison des bonnes manières, principes de politesse et d’hygiène qu’elle inculqua à ma grand-mère.
A on retour à la maison, Mariette, avait sa chambre mais vivait avec la famille en s’achetant toutefois sa viande, un luxe auquel on n’était guère habitué à la campagne. Elle consommait du vin et du café. Elle faisait la cuisine quand il y avait des invités. Son entente avec son neveu Adrien était parfaite, elle le conseillait et l’avait même autrefois dissuadé d’épouser une fille parce qu’elle l’avait entendue parler trop grossièrement.
Entre Annette et Mariette, ce n’était pas toujours le beau fixe. Elles avaient eu des vies si différentes qu’elles ne pouvaient pas avoir les mêmes valeurs. Annette disait que Mariette était une vieille bigote (ce qui n’était pas faux), elle allait à la messe tous les jours, et qu’elle était méchante (ce qui l’était plus).
Mariette est morte en 1909, soignée par ma grand-mère qu’elle avait dû pouvoir modeler à sa façon. Quand ma grand-mère parlait de « LA TANTE » c’était toujours avec respect, voire vénération. Qu’admirait-elle en elle ? La personnalité ou la culture ?
J’ai laissé Annette à son veuvage, seule avec ses 4 enfants. Elle aurait pu se remarier mais elle préféra assumer seule tous les travaux de la ferme avec seulement l’aide de quelque petit domestique un peu demeuré parce qu’elle ne pouvait prétendre mieux. Elle avait sacrifié la finition au rendement et garda toute sa vie l’habitude du travail fait à la va-vite. Ses journées étaient longues, elle trouvait rarement le temps de s’asseoir pour manger et il lui est arrivé plus d’une fois de retrouver à midi la soupe du matin sur le « derrière du poêle », elle avait oublié de déjeuner. Il lui arriva de coudre une robe à une de ses fillettes pendant leur sommeil de l’après-midi – et sans machine à coudre bien sûr – j’ai peine à croire que la légende n’a pas forcé la note.
Quand ma mère l’a connue, elle était âgée mais ne perdait jamais son temps, filant sa quenouille et se levant aux aurores pour ramasser des feuilles de choux pour les cochons. Quand elle était fillette, une voisine lui avait appris à lire, aussi estimant leur rendre un grand service, elle se fit un devoir d’enseigner son savoir à ses petits-enfants. Ma mère garde un pénible souvenir quand à 4 ans sa grand-mère lui disait chaque jour : « Allez, ta lission« . Elle suivait les lignes du syllabaire avec son aiguille à tricoter et sa méthode pédagogique n’était pas douce. D’après ce qu’elle m’en a dit, elle ne devait être douce en rien, la vie s’était chargée de lui forger le caractère.
Épatée par le progrès, elle n’avait pu s’empêcher de demander au docteur Bertrand de lui faire faire un tour dans sa voiture. Elle voulait « être » montée dans une automobile avant de mourir ». Son manque de douceur ne l’empêchait pas d’être généreuse et de venir en aide à plus pauvre qu’elle. Un voisin maquignon, qui aurait dû bien gagner sa vie, dilapidait ses gains et le bien de sa femme en jouant aux cartes. Il avait deux filles qui venaient les soirs d’hiver se remplir le ventre de châtaignes chez Annette et le dimanche elles empruntaient les robes de ses filles pour aller à la messe (heureusement qu’il y avait 3 messes, ça permettait l’échange).
Quand mon grand-père fut assez grand pour l’aider, elle avait la situation bien en main et en 1881 elle fit reconstruire une partie des bâtiments. C’est alors que la maison perdit son « être », son toit en avancée et sa cheminée sur toute la longueur d’un mur. Un style dont il reste encore des traces que je me plais à traquer dans les environs. Elle avait perdu un œil à 75 ans (suite à un phlegmon) persuadée qu’un crapaud caché sous son chapeau pendant la sieste en était responsable. Elle avait le cœur fatigué et n’acceptait que de son fils qu’il compte ses gouttes de digitaline. Elle mourut à 91 ans.
Tout ce que je viens d’écrire, je l’ai entendu raconter ou je l’ai lu dans les écrits de mon père et de tous ceux dont j’ai parlé ici. Seule Joséphine Cornet, épouse Ponchon (Josébête comme elle disait) a été ma contemporaine.
Il me reste à raconter mes souvenirs personnels, c’est moins ancien que l’autre siècle mais si la technique avait bien fait un bond, la condition des femmes de paysans n’avait pas tellement évolué avant la guerre de 40.
Et puis j’ai envie de vous parler d’elle. J’ai bien connu ma grand-mère (la seule) puisque j’avais 36 ans à sa mort. Nous allions souvent la voir chez elle, c’est-à-dire chez le frère aîné de ma mère qui avait gardé la ferme de Rechaussat. Elle venait aussi faire des petits séjours chez moi et, pendant les vacances, j’ai eu souvent l’occasion de partager son lit de plumes – le lit qu’elle avait apporté en dot. J’aimais bien m’y enfoncer ; c’était un nid profond et douillet, avec des draps de chambre qui deviennent très doux quand ils sont usés. Un gros traversin et de gros oreillers et par-dessus une couverture piquée en laine et un grand et gros édredon dont je revois encore bien la housse de satinette rouge foncé, décolorée par le soleil, marquée de taches et de chiures de mouches.
Ma grand-mère ronflait et ça ne lui plaisait pas bien que je le lui reproche. Elle a eu la vie des femmes de par ici, épouse d’agriculteur petit propriétaire, sans grand drame, sans richesse et sans misère. Je crois qu’elle a été heureuse. Il faut dire qu’elle a eu un bon mari, dont les seules incartades étaient de rentrer en retard et un peu éméché le dimanche où la messe des hommes se passait au bistrot. Trop âgé, mon grand-père n’a pas fait la guerre de 14.
Elle n’a jamais beaucoup travaillé aux champs. Considérée comme fragile (c’était un petit bout de femme à l’estomac délicat, comme son père). Sa belle-mère lui abandonnait le soin de la maison pour aller aider aux champs si besoin, comme elle l’avait toujours fait. Mon grand-père employait d’ailleurs en général un petit domestique, quelque gamin pas toujours très futé et qu’il ne craignait pas de chahuter un peu comme cela se faisait partout, pour s’amuser, sans méchanceté. Mais ça, c’était avant moi. Je n’ai pas connu mon grand-père. Joséphine a élevé 5 enfants et il faut croire que l’hygiène n’était pas si mauvaise parce qu’ils furent tous en bonne santé. Quand je l’ai connue, elle était veuve et partageait ses tâches avec une belle-fille, encore que celle-ci faisant des « grenades » (les grenades sont des broderies avec du fil d’or pour les uniformes ; voir le musée des grenadières à Cervières) lui laissait la charge de la cuisine et la fabrication du beurre et du fromage au sujet desquels elle était assez pointilleuse. A propos de fromage, elle n’en mangeait pas, mais ne craignait pas de le toucher contrairement à son mari. « La Tante » lui avait appris à faire la cuisine. En particulier le civet, et la recette n’était pas simple. Ses journées étaient assez répétitives. Je sais que le matin elle déjeunait de café au lait alors que les autres préféraient la soupe (son estomac délicat et l’influence de « La Tante »). Ce n’était pas elle qui trayait les vaches, par contre elle s’occupait de traire les chèvres et de prendre soin de tout le petit bétail : porcs, volaille, lapins. Le ménage était vite fait : un coup de balai de genêt, la vaisselle sans savon car l’eau grasse était gardée pour les cochons. Ranger n’était pas son fort, je sais que mon grand-père, gêné par ce qui s’accumulait sur les larges rebords de fenêtre, les débarrassait de temps en temps dans une corbeille qu’il portait à la cave. Je me souviens qu’il ne restait que quelques lambeaux noircis de suie, sur les murs de la « bretagne », du papier peint qu’y avait fait poser la tante quelque 40 ou 50 ans plus tôt, a ne gênait personne.Les lits ne se faisaient pas tous les jours. Le soir en se couchant, on les « tirait par la bourre » et on jetait le contenu du pot de chambre par un fenêtron à l’arrière de la maison. Les planchers des chambres étaient lessivés à l’eau de javel de temps en temps.
Un gros travail que Joséphine se réservait une fois l’an, était le plumage des oies. La journée se passait à lever la crème du lait et la baratter une fois par semaine, cailler les fromages,préparer la soupe des porcs, nourrir poules et lapins, ramasser les œufs, cueillir les légumes au jardin. Tout cela se faisait sans se bousculer.
La lessive des draps et des torchons était toute une affaire. Elle se faisait dehors, une ou deux fois par an en passant et repassant sur le linge l’eau chaude qui avait traversé un sac de cendres. Le principe de la lessiveuse sans le champignon. Je n’ai pas connu ce système mais on me l’a expliqué. Les femmes se mettaient alors à plusieurs, embauchant souvent quelque pauvre épouse de journalier qui s’employait comme elle pouvait à droite ou à gauche. Le plus dur était le rinçage qu’on faisait à la main, avec un battoir, à genoux au bord du « péché ».
Le petit linge était lavé régulièrement et je sais que pour ma grand-mère c’était une corvée. Elle disait : « Ah ! aujourd’hui je lave ». Il est vrai que chez elle (la tante avait dû passer par là) on se « tenait propre ». Encore que je revois la couleur des draps quand on les changeait après l’arrachage des pommes de terre…
Pour le ménage et pour laver, on tirait l’eau du puits dans la cour, avec une pompe – tout le monde n’était pas aussi bien équipé -, je crois que la pompe datait de l’huissier.
La fille aînée de ma grand-mère est allée vivre dans une ferme où pendant une trentaine d’années, elle est allée chercher l’eau à une fontaine commune au hameau à bien une cinquantaine de mètres de la maison sinon plus. Un bois creusé, fiché entre des cailloux déversait un petit filet dans un seau qu’il valait mieux laisser plutôt que d’attendre qu’il soit plein.
Je n’ai pas vu ma grand-mère garder souvent les vaches, mais avant je ne sais pas. De toute façon, ce n’était pas bien pénible de surveiller 5 vaches et 4 chèvres, sauf quand il faisait mauvais, et ça laissait le loisir de tricoter en même temps. Ma grand-mère a dû tricoter des monceaux de chaussettes. A s’en « désoniller » disait-elle (s’en arracher les ongles). Elle était une virtuose en la matière. Pour moi elle m’y faisait un ourlet avec des dents pour passer l’élastique et une « petite grimace » en dessous pour faire joli. Je n’ai jamais retrouvé dans des explications de tricot les finesses qu’elle m’a enseignées pour bien « tourner un talon ». Elle me tricotait aussi des combinaisons en laine de pays, bien chaudes, mais un vrai cilice sur les cuisses.
Je n’ai pas parlé de la toilette et des toilettes.
Joséphine  montait dans sa chambre tous les soirs un petit broc d’eau qui ne devait pas tenir deux litres. Dans une cuvette, avec un gant et une savonnette, elle lavait dans l’ordre : visage, cou, bras et sexe qu’elle se frottait ensuite vigoureusement à l’eau de Cologne parce qu’elle y avait des démangeaisons. Tout cela dans sa grande chemise de toile qu’elle ne quittait pas jour et nuit et changeait le dimanche.
En se couchant, je la revois se frottant et se tortillant dans cette chemise comme pour s’ébrouer. Les pieds se lavaient en bas, dans un benon (seau de bois) quand ils étaient sales. Ce qui était considéré comme sale était là où la crasse se voyait. Je la revois aussi se laver les cheveux dans une cuvette, des cheveux fort longs qu’elle portait tordus en chignon et qui tenaient mieux quand ils n’étaient pas lavés de frais… donc !!! En ce qui concerne la toilette de tous les jours, je suis persuadée que beaucoup de femmes n’en faisaient pas autant. Quant aux parties du corps dont je n’ai pas parlé je n’ai jamais su quand et où on les lavait. Je revois aussi la couronne de savon et de crasse qui se déposait autour de la cuvette.
montait dans sa chambre tous les soirs un petit broc d’eau qui ne devait pas tenir deux litres. Dans une cuvette, avec un gant et une savonnette, elle lavait dans l’ordre : visage, cou, bras et sexe qu’elle se frottait ensuite vigoureusement à l’eau de Cologne parce qu’elle y avait des démangeaisons. Tout cela dans sa grande chemise de toile qu’elle ne quittait pas jour et nuit et changeait le dimanche. En se couchant je la revois se frottant et se tortillant dans cette chemise comme pour s’ébrouer. Les pieds se lavaient en bas, dans un benon (seau de bois) quand ils étaient sales. Ce qui était considéré comme sale était là où la crasse se voyait. Je la revois aussi se laver les cheveux dans une cuvette, des cheveux fort longs qu’elle portait tordus en chignon et qui tenaient mieux quand ils n’étaient pas lavés de frais… donc !!! En ce qui concerne la toilette de tous les jours, je suis persuadée que beaucoup de femmes n’en faisaient pas autant. Quant aux parties du corps dont je n’ai pas parlé je n’ai jamais su quand et où on les lavait. Je revois aussi la couronne de savon et de crasse qui se déposait autour de la cuvette.
Sur la chemise de toile (j’en ai gardé une) elle portait un corset : un carcan baleiné où s’accrochaient les bas. Pas galbé à la taille comme les élégantes, mais quand même ! Et bien sûr, elle ne pouvait pas s’en passer. Bien besoin de s’ébrouer en le quittant. Et puis une culotte fendue, un jupon de coton, une robe de lainage et un tablier. En été, le tablier, qui était une sorte de robe en dégradé, servait de robe. La robe de lainage ne se lavait pas. D’abord mise le dimanche, on la mettait à tous les jours quand elle était défraîchie.
On enlevait les taches à l’eau et alcali ou on frottait avec de l’eau savonneuse. En fait elle était bien protégée entre jupon et tablier, mais je sens encore cette odeur de jupe de femme qui mélangeait des relents de corps, d’eau de vaisselle et de lait caillé. C’était une odeur naturelle et confortable pour la petite fille que j’étais. Aujourd’hui, on dirait que ça pue.
La génération de ma  rand-mère n’a jamais porté le bonnet, mais en cas de besoin un chapeau avec une grande épingle fichée dans le chignon pour le retenir. A la génération précédente, toutes les femmes portaient la coiffe : simple en semaine, tuyautée le dimanche (je dois bien aussi en avoir une au fond d’un placard). Ma grand-mère était une femme très propre pour la campagne. Elle se lavait toujours les mains pour les travaux de cuisine ou de laiterie… puis se les torchait à son tablier sur les fesses.
Elle avait quelques bijoux, montre en or et broche, cadeaux de mariage de son mari, qu’elle portait le dimanche.
Et les loisirs ? Le dimanche, elle allait au village à la messe et pour vendre œufs, beurre, fromage à « ses pratiques » à la sortie. Elle en profitait pour faire ses quelques achats indispensables, d’épicerie principalement. Souvent aussi, elle retournait à Morand passer la journée dans sa famille, à pied bien sûr (j’ai une photo où tout le monde pose). J’y suis allée avec elle, il faisait beau. J’en garde un souvenir charmant (de l’aller tout au moins, au retour je devais être fatiguée, je ne m’en souviens plus). Il devait bien y avoir plus d’une heure de chemin – et ça monte – mais avec de bons sabots ce n’était pas une affaire.
Quand ses enfants ont été grands, elle a eu un peu l’occasion de voyager, mais dans sa jeunesse, elle n’a pas dû dépasser Thiers d’un côté, Saint-Étienne de l’autre par la voie du chemin de fer. Si, je crois qu’elle était allée une fois à Lyon et une fois en Saône-et-Loire voir son frère.
Quand il y avait des déplacements à faire, elle préférait déléguer un de ses enfants. D’ailleurs, elle se sentait tenue par la maison : on ne laisse pas ses bêtes.
Pour ce qui est de sa vie intellectuelle, elle lisait peu. Pas des romans toujours. Mon père ne lui a jamais pardonné d’avoir fait un autodafé de livres envoyés par des cousins. Quand elle venait à la maison, un peu désœuvrée, elle aimait bien éplucher le bulletin du personnel enseignant pour voir s’il y avait des noms qu’elle connaissait. Elle parcourait le journal journal.
Le dimanche, elle suivait la messe dans son missel (mais elle devait la savoir par cœur). Elle était croyante, pas bigote, mais ne manquait pas la messe. Elle avait son certificat d’études. Elle avait étrenné l’école de son hameau (il y a belle lurette qu’il n’y a plus d’école là-haut). Elle avait même été un an de plus à l’école chez les sœurs de Saint-Jean suivre une sorte d’enseignement ménager. C’est là qu’elle avait appris à tricoter les bas. Elle m’a dit que pour aller à l’école, elle portait des tabliers à petits carreaux bleus. Mais elle avait dans la tête comme une bibliothèque d’historiettes, d’anecdotes qui avaient fait les gaietés de son enfance et qu’elle se plaisait à raconter. Mon père en rapporte beaucoup et je me souviens bien de les avoir entendues moi-même ; en patois bien sûr, elles sont tellement plus savoureuses.
Du temps de sa jeunesse, les distractions étaient rares et on s’amusait des travers des voisins, rapportant leurs fortes paroles et leurs faits et gestes en les enjolivant sûrement un peu. Je vous ai rapporté ses « contes » sur la Trape. Le folklore de ma grand-mère est resté dans la famille et certaines expressions y sont devenues sentences.
Mes grands-parents ont fait faire des études à trois de leurs enfants et ça n’a pas été sans gros sacrifices financiers, mais un frère de Joséphine les a aidés estimant qu’elle avait été lésée dans sa part d’héritage (des parcelles de bois que son père avait eu la sagesse d’acheter quand elles ne coûtaient presque rien). Je pourrais parler encore longtemps de ma grand-mère. Je l’aimais beaucoup, quoiqu’elle m’exaspérait avec ses : « Ah ! Té ! » devant tout ce qui était nouveau.
Mémé Joséphine tu n’as pas eu une vie exaltante, mais je crois que tu as eu une bonne vie.
Je m’arrête parce que j’ai dit l’essentiel et qu’il faut bien s’arrêter. Il y a aussi beaucoup à dire sur mes aïeules de la branche paternelle. Elles ont eu un tout autre destin, mais ça c’est ma tante qui s’en occupe. Je ne sais pas si elle aura eu la plume aussi prolixe que moi.

Après une nuit de repos (merci, j’ai bien dormi) je réalise que j’ai omis de parler des nourrissons. Quand une naissance était annoncée dans la famille, ma grand-mère se réjouissait si la naissance devait avoir lieu à la belle saison. Sans doute que dans sa jeunesse, l’hiver était fatal à bien des nouveau-nés. Pour les accouchements je sais qu’on allait chercher des draps sales qui attendaient la date de la grande lessive. On n’allait pas tacher du linge propre !
Pour le costume du bébé,  je ne pense pas vous apprendre quelque chose : il y avait deux brassières, toile et laine (à ce sujet ma grand-mère les tricotait sans fantaisie mais avec une forme raglan diminuée aux épaules, très pratique), le carré plié en deux en triangle, le drapeau où on enveloppait séparément les deux jambes du bébé (on les taillait dans des vieux draps pour qu’ils soient plus doux), le « ganchon » (lange) coton ou laine (la laine feutrait au lavage et devenait rêche et étriquée), et une longue bande qu’on enroulait autour du tout pour que l’enfant ne risque pas de se démailloter et de prendre froid, et un bonnet.
Ma grand-mère m’a raconté qu’une fois, pour lui rendre service, une voisine lui avait langé un de ses enfants, mais (c’était sa façon de faire qui se voulait leçon) elle l’avait serré si fort qu’elle s’est dépêchée de le libérer dès son départ.
Les bébés qui venaient au monde en été devaient avoir droit au costume de momie jusqu’au printemps suivant, je me demande comment ils étaient capables d’apprendre à marcher. Les berceaux étaient des « cre », berceaux de bois à pieds arrondis qui se fabriquaient à la maison s’il y avait quelqu’un de pas trop maladroit dans la famille. On le posait sur la maie pendant le jour et ma mère se souvenait comme elle prenait mal aux bras quand on lui disait « crosso la » (berce-la) de sa petite sœur, de deux ans sa cadette. On couchait aussi les bébés dans des corbeilles d’osier, du type de celles qui servaient à ramasser les pommes de terre. Le matelas était un « balasson », sac de balle d’avoine ou de feuilles de hêtre. Quand il était trop pisseux on changeait la garniture.
Un jour,  passant devant la maison de cousins, ma grand-mère me dit : « Je suis venue voir un mimi ici, il y avait des punaises sur le rideau du berceau« . D’une autre maison, elle m’expliquait que les drapeaux pisseux n’étaient pas lavés, mais mis à sécher sur une corde devant la cheminée « et même quand il y avait qu’un petit pet c’était bon« . Aussi quand on  rentrait dans une maison si on était saisi par une forte odeur on disait « ça sent le mimi« . Rien n’était perdu; les chiens se régalaient du caca des bébés et quand ils étaient plus grands ils se chargeaient de les torcher ! Ce n’était pas pareil dans toutes les maisons. Cela dépendait du tempérament des femmes mais aussi du temps et de la quantité de linge dont elles disposaient. J’ai vu le tablier servir à une fillette du dimanche au jeudi à l’endroit et du jeudi au samedi soir sur l’envers avec toutes les effilochures des coutures.
Ma mère se souvenait avoir été chez une copine quand elle était adolescente (environ 1920). Il y avait deux petits jumeaux d’un an environ, tout nus, sales comme des gorets, qui jouaient par terre devant la cheminée dans les débris de bois et les balayures (et il faut se faire une idée de l’état des planchers de ferme à cette époque, jamais lavés, on y marchait avec les sabots qui revenaient de l’étable ; on était d’ailleurs persuadé qu’il n’était pas possible et de toute façon inutile d’avoir un sol plus propre).
Personnellement je me souviens pendant la dernière guerre d’être entrée dans une cuisine de ferme, qui était située exceptionnellement au premier étage (au bourg des Salles) et d’avoir été très surprise d’y voir un plancher lessivé. Cette maison était réputée pour sa propreté et la maîtresse de maison était parvenue à dresser ses hommes pour qu’ils quittent leurs sabots à la porte. De là à avoir une réputation de maniaque dans le bourg. Il me revient aussi l’histoire, mais je ne sais plus où ni quand la situer, d’une personne de la famille (peut-être bien mon grand-père quand il était jeune homme) qui se rendant chez quelqu’un,  avait assisté à un drame : le grand frère avait mangé la bouillie du bébé et il n’y avait plus de quoi lui en faire une autre. La bouillie était faite de farine à pain, cuite dans du lait. P’tits pots, p’tits pots Nestlé !!! et vive les Pampers’.
Mon arrière-grand-mère Ponchon avait dit à ma mère : « J‘ai eu 4 enfants (en 7 ans de mariage) mais si ton grand-père avait vécu, il y en aurait bien eu d’autres« .
Autrefois, on ne sortait pas les nouveau-nés à la lumière, de crainte que ça les rende aveugles. Il devait y avoir beaucoup d’ophtalmie, mais je ne pense pas que le soleil y était pour quelque chose. On croyait tant de choses ! (et on en croit encore).
Pendant que j’y suis encore une petite rallonge. Les souvenirs reviennent peu à peu : Marie la sœur aînée de ma mère s’est mariée en 1924 (elle fut la dernière de sa génération à se marier en noir).
C’est d’elle que j’ai dit qu’elle devait aller chercher l’eau à la fontaine. Ses beaux-parents qui vivaient en bout de commune dans une ferme quasiment seule, avaient un état d’esprit très rétrograde, plutôt représentatif du siècle précédent. Ma tante m’a plusieurs fois évoqué ses premières années de mariage vivant avec ses beaux-parents. Ce fut dur, surtout qu’elle venait d’une maison où il y avait de la main-d’œuvre et des idées modernes. Le lendemain du mariage, on l’envoya creuser des fossés dans les prés, un travail pénible habituellement réservé aux hommes. Mais ce n’était pas méchanceté.
La Génie, sa belle-mère, était née dans un hameau voisin et savait compter et son mari à peu près lire. Ils appartenaient à une famille nombreuse. Ce ne devait pas être la grande aisance. On m’a raconté qu’étant enfant, et gardant les bêtes avec ses sœurs près de la route, elle avait vu un homme revenir du village avec une miche de pain blanc sous le bras. C’était une friandise à laquelle elles n’étaient pas accoutumées. Les gamines mendièrent un bout de pain à l’homme qui leur donna toute la miche.
L’exploitation ne suffisant pas à faire vivre la famille, le père s’embaucha pour creuser la tranchée du chemin de fer à Saint-Julien. La mère et les enfants se chargeaient de la ferme mais elles ne pouvaient pas tout faire alors il finissait la nuit se faisant aider, entre autre, par ses filles pour battre le blé au fléau (quand je dis blé, c’est dans le sens patois, il s’agissait de seigle). Les garçons étaient placés dès que possible.
Mariée, elle eut un fils que j’ai connu et au moins un autre enfant qui décéda grandet. Considérant qu’ils ne pouvaient pas rester avec un seul héritier (ce n’était pas une sécurité suffisante pour les vieux jours), ils firent un autre enfant (un tardillon). La Génie accoucha seule pendant que tout le monde était parti à la messe (à 3 km). Une voisine venue prendre de ses nouvelles lui dit : « Et ben ! Génie, qu’est-ce que tu as fait ». Elle avait fait mon oncle ! L’ardeur et la résistance au travail était la vertu n° 1. Il n’y avait pas de notion de rendement mais il fallait être vaillant et on moquait ceux qui savaient « se chauffer le ventre au soleil » au lieu de travailler.
Cet oncle dans les années 40 et 50 râtelait ses prés après les foins avec un soin tout particulier, non pas pour la brassée d’herbe qu’il en retirait, mais « Qu’est-ce qu’on aurait dit s’il avait laissé des prés sales ! » Ce même oncle porta des robes jusqu’à un âge avancé et il refusait de prendre des culottes, si bien que sa mère fit venir une sœur du village (une religieuse) pour lui faire changer de costume. C’est le service militaire (il fit la guerre en Syrie) qui lui a ouvert les yeux sur le monde moderne et il dut plus d’une fois aider en douce sa jeune épouse pour la soulager.
Cet oncle connaissait des histoires, auxquelles il avait cru dans sa jeunesse, de personnes faisant de la « physique » c’est-à-dire qui lançaient des sorts, de chasse maligne et me disait que dans son enfance on l’effrayait en lui parlant d’une créature mythique « La Birette ». J’ai entendu aussi ma grand-mère me parler d’une femme qui dut être sa contemporaine. Elle était mariée à un journalier pas très courageux qui lui a fait 18 enfants dont deux seulement survécurent à l’âge adulte. Elle faisait des lessives pour nourrir sa famille. Et puis aussi l’aventure d’une femme qui se trouvant enceinte à la cinquantaine crut (ou fit croire) jusqu’à la naissance qu’elle avait un fibrome, si bien que le surnom en resta à l’enfant.
Ma grand-mère m’a aussi parlé (mais elle devait le tenir de sa propre grand-mère) d’une femme qui avait cueilli un pou sur le col du curé et l’avait mis à son enfant en gage de bonne santé.
Et puis aussi, puisque ça me revient, un mot du mariage de ma grand-tante Pauline (née en 1866). Elle était amoureuse d’un garçon mais les parents du jeune homme ne la trouvait pas assez riche. De dépit le garçon partit pour la ville, il était boulanger. La vie lui ayant ouvert les yeux, il décida de passer outre aux exigences de ses parents et revint au pays pour la demander en mariage. Mais entre temps Pauline s’était engagée auprès du beau-frère de sa sœur aînée et n’a pas voulu revenir sur sa promesse. J’ai cru comprendre que pourtant elle ne fit pas un mariage d’amour. Je ne sais pas ce que fut le ménage, mais j’ai connu ma grand-tante sur ses vieux jours : elle n’était pas commode et une des petites-filles me disait encore l’an dernier qu’elle la craignait beaucoup et qu’elle ne manifestait guère de tendresse à sa descendance.
Et dire qu’un siècle plus tard, on divorce pour un oui ou pour un non !
Dans le hameau où se maria ma tante Marie dont j’ai déjà parlé, il y avait les ruines d’une maison (et il en reste encore quelque chose) chez Chassonnery. Mon oncle racontait que longtemps avant sa naissance, une fille de cette maison avait le ventre qui s’arrondissait. Sa mère prétendait qu’elle était malade, qu’elle avait le « caro », un nom qui correspond je crois à la tuberculose du péritoine. Et puis le « caro » guérit. Personne ne fut dupe mais les choses en restèrent là.
Un jour, et je me souviens, en bêchant ce qui avait été le jardin de la maison, mon oncle déterra un pot de terre contenant quelques chiffons. Bien qu’il n’y ait aucun reste suspect il s’est demandé s’il n’avait pas retrouvé le « caro ».
Je rajoute encore une feuille pour vous parler de « la Mille » qui échappa à sa condition. Elle était la sœur de la « Yane ». Elle doit être née en 1803.
A 25 ans, elle épousa Jean-Marie Forest, propriétaire et fabriquant de mousseline demeurant à Tarare, né le 6 juillet 1778 et veuf de Labourez Claudine décédée le 2.12.1824. On sait qu’à ce moment, des filles de Saint-Didier allaient, en hiver, travailler dans les fabriques de mousseline de Tarare. Mais mon père n’a pas su si ces déplacements se faisaient avant ou après le mariage (1828).
Cependant, comme Forest était venu au pays pour y ouvrir une carrière de quartz, peu importante mais dont il doit rester encore quelques creux dans les bois, il n’est guère possible que ce gisement soit venu à sa connaissance autrement que par les filles du pays (hypothèse de mon père, l’hypothèse inverse est envisageable tant autant).
Pendant les travaux qu’il fit à la carrière il prit pension aux Imis, une des fermes les plus proches. Jeanne Marie était jolie. Il l’épousa. Il avait des enfants à élever. Je ne crois pas qu’il en eut avec Mille.
Des relations se  poursuivirent longtemps entre la famille Forest et Curtil (j’ai parlé d’un lieutenant-colonel, soupirant d’Annette, c’était un cousin de Tarare) puis avec la famille Ponchon.
Je viens de retrouver une photo où je suis adolescente en compagnie des derniers descendants Forest. C’est pour ça que je vous en parle. Les cousins de Tarare envoyèrent beaucoup de choses à Rechaussat. Des livres (que ma grand-mère a détruits), des jouets (une lanterne magique dont ma mère se souvenait).
Et les autres sœurs ?
- Jeanne Marie (la Mille
- Anne
- Marie
- Antoinette 1
-Antoinette 2
- Marie Anne ((la Yane)
Quant aux garçons, deux moururent jeunes. Les quatre autres vécurent plus.
A noter en passant le manque d’imagination pour choisir les prénoms. La Mille est la seule fille qui se soit mariée ! Le père était décédé en 1831 à l’âge de 65 ans. De la mère, je sais seulement qu’elle était en vie en 1852 ; en 1862 elle doit être décédée car ses biens sont partagés. Je rajoute encore quelques lignes à mon bavardage :
1) J’ai connu un vieux sourd-muet. Orphelin de mère dès sa naissance, il avait été élevé par une tante célibataire. Quand l’électricité est arrivée au pays, son père l’avait fait mettre à la maison, mais la tante avait cassé le compteur à coup de balai, disant qu’elle ne voulait pas du diable chez elle. Bien plus tard, le sourd-muet qui était seul, ayant perdu sa tante et son père, s’était résigné à vendre sa maison mais quand l’acheteur dit : « C’est en bon état, y aura qu’à remettre l’électricité », il a annulé la vente.
2) Pour les grands-mères non conformistes, j’ai un exemple : J’ai hérité des « affaires » d’une cousine de plus de 90 ans, une personne très originale. Elle avait laissé une abondante correspondance avec sa mère (seulement les lettres venant de la mère, il y a là une chronique des potins de Boën dans les années 20 – 30 qui peut être intéressante) et des cahiers où elle exposait ses états d’âme. Je sais qu’elle y parle de sa grand-mère qui dans sa petite enfance lui apprenait des chants anarchistes. D’après ce que j’en sais ça devait être une sacrée bonne femme qui s’est d’ailleurs brouillée avec sa belle-fille. Son fils affichait lui aussi des idées extrémistes. Je l’ai un peu connu, il était assez farfelu. J’ai conservé ce qui m’a semblé intéressant de ces papiers. C’est rangé dans mon grenier et si ça peut vous intéresser… il y a de quoi lire.
3) Pour la nourriture, c’est vrai que jusqu’à la fin de la dernière guerre, l’ordinaire de la campagne était la soupe de pain trempé, le lard et le fromage. Mais on ne se refusait pas les petites gâteries. Outre le pâté de poires dont vous avez parlé, il n’y avait pas de mardi gras sans guenilles (bugnes), de temps des cerises sans « millard » ou « canquelin » (clafoutis), on faisait de la « buille » sucrée (bouillie), du « mingouret » (fruits cuits avec du lait et un peu de farine) et autres desserts simples.
Quand mon grand-père faisait le pain, on en profitait pour faire des pâtés et pour faire sécher des fruits dans le four tiède. Il raclait le pétrin et en faisait une galette que ses filles faisaient cuire sur « le rond du poêle ». Elles le coupaient en deux et le fourraient tout chaud de beurre. Ce devait être brûlé dessus et pas cuit dedans. D’après ma mère c’était délicieux ! Je ne sais si c’est spécial à ma famille, mais beaucoup étaient « délicats ».
Un grand nombre n’aimait pas le fromage, d’autres les raves ou le poisson. Ceux-ci avaient droit à un suppléant pour manger à leur faim, mais eux seulement (confiture, œuf coque…). On ne considérait pas cela comme une gourmandise, mais quand on avait le dégoût d’un aliment on disait « il me fait mal ».
4) Et pendant que j’y suis, je voudrais dire deux mots des grands-mères de mon mari, bien qu’un peu plus jeunes, et des confins de la Loire et de la Saône-et-Loire.
Mariées avant la guerre de 14, l’une à un paysan qui partageait la vie de ses parents dans une métairie, l’autre serviteur au château du village, elles se sont retrouvées veuves dès le tout début de la guerre. L’une avait une fille, l’autre deux garçons. Elles ont dû partager la vie de leurs beaux-parents le temps de la guerre. Pour la seconde celle d’une veuve ; son mari ayant été porté disparu et non mort, elle a dû attendre 1919 ou 20 pour avoir enfin droit à une pension. Le père de mon beau-père, blessé, avait été acheté par les Allemands au cours d’un mouvement de retraite. Après la guerre, elles ont épousé des rescapés qui leur ont fait plein d’enfants.

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