« Tonton André ! TontonAndré ! » Comme je criais son nom depuis l’école quand je l’appelais à mon secours lorsque le maître d’école me tirait les cheveux ou me tapait. J’espérais qu’il m’entendît pour voler à mon secours. C’est qu’il était le membre de ma famille qui m’écoutait et me comprenait le plus. Je savais qu’il me sortirait de n’importe quelle situation délicate, que je pouvais indéfectiblement compter sur lui, que notre attachement était sacré.
Mon grand-oncle André était un frère du grand-père maternel que je n’ai jamais connu puisqu’il était mort bien longtemps avant ma naissance.
André se range parmi les quelques personnes qui ont le plus compté dans ma vie. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’était lui et parce que c’était moi.
Je l’ai connu dès ma naissance, je l’ai côtoyé toute mon enfance et il a suivi ma jeunesse. Il est mort en 1981. J’avais alors vint neuf ans.
Je me souviens de lui surtout quand j’étais une enfant. Il me lisait des histoires, il me démêlait patiemment les cheveux qui étaient longs et frisés sans jamais les tirer. Il était meunier et j’allais souvent le voir dans son moulin soit pour chercher du réconfort, soit pour travailler avec lui, enfin pour trouver une compagnie bienveillante. Ensemble, nous faisions beaucoup de choses : nous allions chercher du bois dans la forêt avant de le scier en bûches, ou couper un sapin de Noël, nous aiguisions les couteaux en faisant tourner une meule de pierre, je l’aidais à charrier des arrosoirs pour le jardin, à faner, à jardiner, à récolter les pommes de terre. Il m’apprenait une foule de petites choses sur la nature et sur les savoir-faire de la campagne. Comme il avait été soldat pendant la guerre de 1914-1918, il m’en parlait de temps en temps. Il avait été nommé par ses camarades président des anciens combattants de notre village. A mon titre de petite nièce, je vendais pour lui tous les 11 novembre des bleuets à épingler à sa boutonnière. Je me rappelle des horreurs qu’il y a connues durant la grande guerre et de la camaraderie de ses compagnons d’infortune dans les tranchées. Les soirs d’été, nous nous asseyions tous deux sur une traverse de chemin de fer en guise de banc et il me parlait du Bosphore, des Dardanelles, des États-unis et de la Russie, du Général de Gaulle, des communistes et des capitalistes, du curé et de l’instituteur, de ses parents, de ses frères et sœurs, de mon père, de la politique, de la religion, du commerce, de la vie… C’est qu’il m’en apprenait des choses ! J’adorais l’écouter raconter… Je suivais aveuglément son avis. C’était un homme calme, réfléchi, mesuré, intelligent. Il me répétait souvent qu’il fallait réfléchir avant d’agir et économiser son énergie. Je ne l’ai jamais vu en colère ni emporté.
Le dimanche était son jour de repos que je passais en sa compagnie. Le matin, après s’être rasé de près, il mettait ses habits du dimanche et je le suivais au bistrot du coin; il commandait une suze citron pour lui et un guignolet kirsch pour moi. Aujourd’hui, les gens bien pensants s’en insurgeraient mais c’était une autre époque ! Puis, il me tendait toujours un billet pour que j’aille m’acheter le journal de Mickey ainsi qu’un paquet de cacahuètes. Après le déjeuner, je le suivais sur le terrain de pétanque où il faisait sa partie de boules rituelle. Il avait perdu l’usage d’un œil après qu’un ophtalmologiste ait malencontreusement sectionné un de ses nerfs optiques; cependant, il pointait et tirait remarquablement bien. Il m’appelait affectueusement Doudou la nounou ou Titi de Paris. Mon oncle André : un homme remarquable !
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https://www.youtube.com/watch?v=CKKy0mv6_3Y
Automne 2013