Préambule : Gérard Varlot qui habite au couvent d’Alleyras a réalisé et monté ce petit film rempli d’archives sur notre train, le Cévenol, qui montre les liens forts existant entre notre petit pays du haut Allier et cette ligne historique, qui plus est magnifique, et qui pourrait être toujours de premier plan si la SNCF faisait son boulot au service des populations et non au service des financiers.
Vous avez peut-être vu ce documentaire lorsqu’il a été projeté à la fête du bourg le 8 août 2010 ou sur le site web Alleyras Capitale - http://alleyras-capitale.info/spip.php?article37&var_recherche=gerard%20varlot
Ce n’était pas mon cas !
Il est complémentaire du chapitre de Gilbert qui, écolier, était si attiré par la gare de Pont d’Alleyras depuis l’école où officiait notre maîtresse, Georgette Capelany. Merci à Gérard d’avoir mis à notre disposition ces images. La vidéo est aussi disponible en meilleure définition, demandez la lui. Attention ! Le téléchargement de cette vidéo peut durer dure une minute! Soyez patients !
http://alleyras-capitale.info/IMG/avi/le-cevenol-passe-par-alleyras.avi
Nous sommes en 1957. J’ai six ans. Mon école est celle du haut car, dans le pays d’alors, on comptait deux écoles : une pour les petits et la deuxième, celle du bas, pour les grands. La mienne se situe au-dessus de la gare S.N.C.F. et de son avenue où nous allions jouer quand notre institutrice jugeait que nous l’avions mérité. Sur les bancs de cette classe, j’étais très attentif aux bruits de celle-ci.
Sur son avenue, nous apprenions à jouer au foot et nous nous exercions au célèbre lendit de l’U.S.E.P. Pendant les récréations et de la cour qui dominait ce paysage, nous regardions les nombreux trains qui circulaient et manœuvraient. Les voix des cheminots, du chef de gare et des poseurs se mêlaient. Tout ce petit monde si important se mettait en effervescence lorsqu’arrivait un train. Cette ambiance me captivait. La gare me semblait majestueuse, une bâtisse blanche aux ouvertures de briques rouges et aux volets épais d’un vert sombre, une maison dans le plus pur style de la SNCF.
Une grosse pendule appelée aussi régulateur réglait le temps dans ce lieu très animé et servait de repère à la population; s’y ajoutaient deux cloches couleur alu. Ajoutées aux deux autres de la barrière toute proche, elles tintaient en se répondant mutuellement pour annoncer l’arrivée des trains. C’est que la vie des écoliers d’alors que nous étions était rythmée par la circulation ferroviaire ! De grosses et bruyantes machines noires, suant et crachant, arrivaient dans un fracas assourdissant avant de s’immobiliser brutalement en gare. Ce lieu de rencontres fait de départs, d’arrivées, d’incessants mouvements animaient notre horizon. De la plaine de Vabres côté Langogne ou la ligne droite de Gourlon et Poutès côté Langeac, on entendait les trains arriver : le bruit résonne dans les gorges de l’Allier ! Les habitants les empruntaient pour aller dans une direction ou dans l’autre pour une journée ou une demi journée selon leurs choix. Le train de quatorze heures qui était de retour à dix-huit heures était celui des ralliements de ces gares, celui de l’amitié, des rencontres. Ceux de marchandises avec leurs wagons à bestiaux, notamment celui de huit heures, réveillaient la gare, avec ceux citernes à deux dômes, ceux de la Stef surmontés de leurs ventilateurs qui tournaient sur leurs toits pour réfrigérer la marchandise, ceux très longs remplis de bois, ceux de cellulose du Rhône… Je me souviens encore des arrivages de fromages peu connus comme le Saint-Paulin et autres bleus sur le quai, dans leurs charrettes à bandages.
Assis sur mon banc d’école, je devinais en entendant cette agitation ce qu’il s’y passait; cela m’a d’ailleurs valu bien des punitions !
Et puis un jour, le panache des locomotives qui noircissait le ciel disparut. Ce fut l’arrivée des premières locomotives diesel, bleues à liseré blanc puis des autorails rouges et crème ainsi que des panoramiques qui se naviguaient de Paris à Nîmes et franchissaient la gare à quinze heures, ce qui nous permettait de régler nos montres.
Cette précieuse gare de mon enfance dont un jour, dans un journal intitulé Le balcon de l’Allier, et créé par et conçu par l’école, je fus l’auteur d’une si belle rédaction qui m’a valu un peu de fierté personnelle ainsi qu’à l’école ! Oh gare aujourd’hui déclassée, délaissée et démantelée, j’aperçois encore tes trains qui hantent ces lieux, je sens l’odeur âcre de la fumée de charbon en briques ou en vrac, posé sur le tender qui emplissait notre vallée ! Mes oreilles entendent aussi tes cloches qui se mêlaient parfois à celles des clochers. Oh gare oubliée ou presque réduite en dérision, devenue un commerce de proximité, quelle triste fin pour cette vieille dame !
Seuls, quelques trains s’arrêtent sur la voie unique. Il me reste en souvenir quelques cartes postales anciennes de celle-ci où se trouve parmi d’autres poseurs mon grand-père, un homme austère et barbe, un érudit qui était aussi paysan. Le temps s’est arrêté sur ces hommes campés au milieu des voies. Quelle vie à cette époque et quelle tristesse aujourd’hui !
Depuis 1998, le train touristique des gorges de l’Allier tente de redonner pour un court instant les échos d’antan à cette pauvre gare.
Lorsque l’effervescence estivale est finie, elle s’endort dans son ralentissement hivernal, sans doute avec regret. Oh ma gare, ton faste est bien fini ! Tes cloches annonçaient sans doute ton déclin mais nous n’avons pas su l’entendre.
Le beau jardin du chef de gare, fierté du lieu, a été envahi de mauvaises herbes puis aménagé en terrain de boules. Quelle nostalgie ! Qu’avons-nous fait de cette terre riche de légumes et surtout de fleurs qui affichaient les couleurs de la France sinon un sol meurtri par le martèlement du jeu ? Dans sa chanson Les fleurs des gares, Julien Clerc a mis des notes d’ocres subsistant en cet endroit. https://www.youtube.com/watch?v=HCpUGLgCL4o
En l’écoutant, mes souvenirs se ravivent, j’entends encore les voix de cette époque bénie et je garde l’espoir d’un futur meilleur pour ma gare où des trains la salueront, s’arrêteront, la respecteront et laisseront sur les quais animés voyageurs et marchandises. Gare de mes secrets, de mes rêves d’enfant, de mes premiers bals d’adolescent, à côté de la cour de récréation !
Les rails d’une de tes semblables se trouvent aujourd’hui tout près de mon nouveau lieu de vie et me reconduiront sur tes quais. Je ne t’oublierai pas.
Couleurs de gare