Un martyr de la foi à Alleyras

J’ai résumé dans cet article un chapitre des cahiers de la Haute-Loire année 1997,  écrit par André-Philippe Mutel, pages 289 à 316. Vous y lirez l’histoire d’un curé persécuté à Alleyras  il y a plus de trois siècles.
André-Philippe Mutel-Pagès signe un travail de recherche consacré à Jacques Chabrier, personnage assez peu connu dont le nom figure en bonne place sur une plaque apposée dans la cathédrale du Puy qui énumère les prêtres diocésains victimes de la Terreur. Jacques Chabrier, vicaire d’Alleyras, fut en effet un des premiers à subir la condamnation à mort, le second à monter sur l’échafaud au Puy. Ce travail retrace avec minutie les derniers moments du prêtre avant son exécution. En mai 1793, Jacques Chabrier fut arrêté dans le Devès, où il avait été appelé pour un baptême, transporté au Puy où il fut interrogé par des commissaires et condamné à mort à la suite d’un bref « procès ». Trois heures après la sentence, le prêtre fut conduit vers l’hôtel de ville où l’échafaud était dressé. L’exécution a eu lieu le 29 mai 1793, veille de l’Ascension. Le lieu d’inhumation de Jacques Chabrier est inconnu.

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Dans la cathédrale du Puy-en-Velay, une plaque apposée à la gauche du chœur énumère les prêtres diocésains victimes de la Terreur. Ce fut le cas de  Jacques Chabrier (1761-1793), vicaire à Alleyras. Il fut jugé et exécuté le même jour du 29 mai 1793.
Jacques Chabrier naquit le 17 février 1761 à Chadron, près du Monastier-sur-Gazeille. Il fut baptisé le lendemain. Il appartenait à une famille de laboureurs. Il avait un frère né deux ans après lui. Son enfance fut sans doute celle de tous les enfants vellaves de son village, vivant au contact d’une nature sauvage et rude, marquée de coulées d’orgues noircies, bouleversées de chaos de laves et parcourue par le cours capricieux de la Gazeille.
Une notice manuscrite le décrit comme « modeste jusqu’à la timidité, pur jusqu’à l’innocence, doué d’un caractère doux, aimant et loyal. » ces dispositions, associées à une vive intelligence, incitèrent-elles son oncle le vicaire Buisson à le diriger vers le sacerdoce ou l’enfant en manifesta-t-il le désir ? Toujours est-il qu’il prépara avec lui  les études du Séminaire, reçut les premiers rudiments d’instruction et apprit le latin.
A 18 ans, il rejoignit le Puy où il suivit l’enseignement du Collège tenu par les Jésuites.
Puis, il entra au Séminaire pour la tonsure le 9 mai 1781.
Ceux qui l’ont connu à l’époque de ses 20 ans témoignent de sa vertu, sa vive piété, de la sévérité de ses mœurs, de sa parole sans équivoque. Travailleur et zélé, ses talents lui acquirent la sympathie de ses maîtres et attirèrent sur lui l’attention de ses supérieurs qui lui confièrent le soin d’enseigner le catéchisme dans les paroisses proches du Puy. Il fut ordonné prêtre en 1785.
Le directeur du Séminaire le proposa sans doute comme vicaire à la paroisse Saint-Martin d’Alleyras où son parent Jacques Buisson avait exercé les mêmes foncions entre 1776 et 1782 avant d’être nommé à la cure de Chadron.
Depuis 47 ans, la cure d’Alleyras était desservie par Jacques Sanial, âgé de 70 ans qui n’arrivait plus à suffire aux devoirs de sa charge et avait demandé qu’on lui envoie un suppléant.
Le jeune prêtre s’exerça aux obligations de son ministère.
Au cours de ces années de formation, il partagea son temps entre les responsabilités de sa charge et la poursuite de ses études.
Sa voie semblait toute tracée en ce début 1789 quand sa vie fut bouleversée. En effet, la révolution le trouva avec sa politique antichrétienne avec la mise à disposition à la nation des biens ecclésiastiques et surtout le vote de la constitution civile du  clergé.
Jacques Chabrier s’efforça alors de prouver à ses paroissiens que l’objectif de cette constitution civile était de  détruire l’Église et les avertissait des dangers que courait la foi catholique. Il ajoutait que lui-même ayant déjà prêté serment à Dieu, lors de son ordination, rien ni personne ne le forcerait à en prêter un autre contraire à ses convictions. Il ne cessa de répéter ces exhortations dans ses entretiens particuliers comme en chaire : sacrifier à son devoir et garder sa conscience pure devant Dieu.
C’est ce qui résulte d’un rapport d’un officier municipal d’Alleyras nommé Chauchat le 9 juin 1791. Il précise que « ledit Chabrier, vicaire, n’a cessé depuis plus de six mois de prêcher contre les décrets de l’Assemblée nationale et de tenir des discours au peuple. Il demande même à ses pénitents s’ils sont de la religion de l’Assemblée nationale ou de la bonne. »
L’Assemblée constituante enjoignit  à tous les prêtres exerçant un ministère paroissial,  en 1790, de prêter serment sous peine de perdre leurs fonctions et d’être donc privés de leur traitement. Ils reçurent sommation de jurer dans les 24 heures le 3 janvier 1791.
L’évêque du Puy, Mgr de Galard, prit alors position : refus de transiger.
Au prône de la grand messe du dimanche 5 juin 1791, Jacques Chabrier porta à la connaissance des paroissiens d’Alleyras le mandement de l’évêque avec de virulents propos.
Les trois-quarts des curés et de vicaires refusèrent de déférer à l’injonction de l’Assemblée.
Bien que n’ayant pas déféré au serment, le curé et le vicaire continuèrent d’exercer leur ministère, faute de remplaçants.
Puis, sommé par le maire d’Alleyras de prêter publiquement serment, l’abbé Chabrier lui opposa un refus solennel.
En tout cas, le dimanche 9 octobre 1791, le curé constitutionnel d’Alleyras, François Barthélémy, s’apprêtait à venir prendre possession de sa cure, après avoir averti la municipalité de son arrivée. Parvenu dans un bois proche d’Ouïdes, il fut assailli par une trentaine de paysans, habitants d’Alleyras, armés de pierres, de bâtons, de sabres et de fusils. Ils le sommèrent de s’en retourner d’où il venait, le menaçant de lui brûler la cervelle plutôt que de l’avoir pour curé. Faute d’être entendus de « l’intrus », ils lui lancèrent des pierres et le frappèrent à coups de bâtons. Le curé constitutionnel s’enfuit et se réfugia dans le village de Mazemblard où on lui prodigua les premiers secours.
Le 10 août 1792 marque en Haute-Loire un durcissement de la persécution.  Déjà fin 1791, plusieurs prêtres avaient été emprisonnés, des églises dévastées. En août 1792, les insermentés ne purent plus célébrer la messe en public.
A ce moment-là, Jacques Chabrier dut se résigner à quitter Alleyras.
Sans illusion sur les risques encourus, Chabrier ne s’éloigna guère d’Alleyras et resta dans sa paroisse.
Sur les conseils pressants de ses amis, il se réfugia dans sa famille à Chadron où la persécution était moins vive. Pour plus de sûreté, il s’établit dans une cachette dont il ne sortait que la nuit tombée, célébrant la messe dans une chambre, quelquefois dans l’église.
Par sa présence et ses exhortations, il rassurait cette population attachée aux « vrais prêtres ». Car, lorsqu’un curé constitutionnel était venu prendre ses fonctions, les femmes de Chadron l’avaient chassé en l’accablant d’injures et de reproches, le poursuivant à coups de pierres jusqu’à ce qu’il fût hors du territoire de la paroisse.
Oubliant les dangers, Chabrier ne pensait qu’aux maux dont souffraient l’Église et la religion catholique.
Il ne délaissait pas pour autant ses anciens paroissiens. Chadron n’est éloigné d’Alleyras que de 25 km et des communications journalières les reliaient. Chabrier savait donc ce qui se passait là-bas et pouvait s’y rendre si nécessaire. Dès qu’on  y réclamait sa présence, il se mettait en route.
Des décrets aggravèrent la situation car des troubles agitaient alors la France, il était nécessaire de disposer d’une justice plus expéditive. L’insurrection vendéenne  fournit le prétexte à mettre hors-la-loi tous ceux jugés contre-révolutionnaires. Cette procédure d’exception sommaire et expéditive fut appliquée aux prêtres réfractaires. Les commissaires nationaux furent envoyés par la Convention en Haute-Loire, et considérèrent que que les prêtres réfractaires ne cessaient d’allumer la guerre civile et que « ces êtres malfaisants » devaient être purgés du département. Les commissaires assimilèrent l’exercice clandestin du culte catholique à des menées contre-révolutionnaires.
C’est ainsi que l’ancien vicaire de Bellevue-la-Montagne, Jean-Mathieu Vassel, fut arrêté, traduit devant une commission militaire, condamné à mort, exécuté sur la place du Martouret où avait été dressée la guillotine.
Un homme du village d’Ouïdes vint à Chadron et pria Jacques Chabrier de venir baptiser un enfant de Saint-Privat-d’Allier. Le rendez-vous était fixé à Conil, hameau de Saint-Jean-Lachalm. La mère avait amené son nouveau-né font le père était pourtant un farouche anti-clérical.
Jacques Chabrier baptisa l’enfant dans la maison de Conil qui fut cernée : soupçonnant les projets de sa femme, le père avait fait part de ses pressentiments au club de Saint-Privat et était accouru avec un détachement des gardes nationales, il avait reconnu Jacques Chabrier. Celui-ci voulut s’enfuir mais un patriote tira sur lui. La balle atteignit le prêtre à la jambe. Les gardes s’emparèrent de lui et le garrottèrent.
liberté ou la mort jugement Langevin
Ils hissèrent le prisonnier sur un cheval et le conduisirent à Saint-Privat-d’Allier puis au Puy. Conduit à la maison d’arrêt, il fut écroué. Après une nuit passée en prison, il comparut devant la commission militaire.  Après un interrogatoire sommaire, le jury lut la sentence le condamnant à mort.
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Reconduit dans sa geôle, le condamné demanda de l’encre et du papier pour établir son testament.
Trois heures après le prononcé de la sentence, le bourreau et les gardes vinrent le prendre pour le conduire au lieu de son exécution. Le couperet retomba sur le cou du condamné devant une foule impressionnée.

Sur l’emplacement du lieu de son arrestation, au milieu du plateau de Conil, s’élève un oratoire délimité par une barrière métallique. Il est constitué un mur que surmonte une croix. Sur le mur est apposée une plaque de marbre blanc portant l’inscription :

ICI L’ABBÉ CHABRIER
VICAIRE D’ALLEYRAS
A ÉTÉ BLESSE ET ARRÊTE
PAR LES RÉVOLUTIONNAIRES.
GUILLOTINE AU PUY
LE 29 MAI 1793
EN HAINE DU CHRIST
MISSION DE 1950.

De même, dans une chapelle latérale de l’église de Saint-Jean-Lachalm, la première à droite du portail d’entrée, consacrée aux victimes de la guerre, se trouve une plaque plus récente, mais non datée, portant l’inscription :

+
A LA MÉMOIRE
DE L’ABBÉ CHABRIER
BLESSE ET ARRÊTE A CONIL
AU COURS DE SON MINISTÈRE
DÉCAPITE AU PUY
EN HAINE DU CHRIST
EN 1793

Une complainte de monsieur Chabrier circula qu’on chantait encore dans les veillées vers 1880. Le souvenir de Jacques Chabrier a donc pu se perpétrer pendant presque une centaine d’années.

Victime de la tyrannie,
Chabrier, vicaire d’Alleyras
A confondu la barbarie
Des patriotes scélérats
Selon une loi tyrannique,
Mis entre les mains du bourreau
Il fait voir qu’un catholique
Ne redoute pas le couteau.

Il entend lire sa sentence
Avec un sang-froid étonnant.
Les juges, voyant sa constance,
Sont tous saisis d’étonnement.
Voulez-vous conserver la vie ?
Lui disent-ils, prêtez serment,
Sans quoi, la séance finie,
Vous subirez le jugement.

Ah ! Messieurs, je vous remercie,
Leur répond-il en riant,
Je donnerai cent fois ma vie,
Plutôt que de prêter serment.
O grand Dieu ! pour moi quelle grâce !
La mort pour moi n’a rien d’affreux,
Ce soir, je vais prendre ma place
Dans le séjour des bienheureux.

Mirmand, tout écumant de rage,
Tourne des yeux étincelants :
Irrité d’un aussi grand courage,
Comme un lion, il grince des dents.
Il le traite de fanatique,
D’imposteur, de séditieux,
De scélérat et d’impudique,
Horreurs qui font frémir les cieux.

Chabrier, sans faire paraître
Le plus petit ressentiment,
Avec la douceur d’un saint prêtre,
Répond par des remerciements.
O Dieu, dit-il plein de clémence,
Vous voyez tout du haut des cieux;
Vous connaissez mon innocence,
Pardonnez à ces malheureux.

Enfin, la séance finie,
On le livre à l’exécuteur.
Peut-être, hélas ! par ironie,
On lui parle d’un confesseur.
Vous allez, lui dit-on, paraître
Devant votre Dieu dans l’instant,
Voulez-vous qu’on appelle un prêtre ?
Citoyen Nolhac est présent.

Je sens ma conscience pure,
Je connais, leur dit-il, mon devoir,
L’enfer sur moi, je vous l’assure,
Ne peut exercer son pouvoir.
De votre criante injustice
Le criminel exécuteur
Peut seul me conduire au supplice;
Non, je ne veux point de jureur.

On le conduit donc au martyre.
Ah ! quel spectacle attendrissant !
Par son maintien, il nous inspire
Le pur amour du Tout-Puissant.
En lui ne voyons-nous pas revivre
Le christianisme naissant ?
Quel exemple il nous donne à suivre !
Il court au supplice en chantant.

Les intrus, transportés de rage
De voir ce prêtre si joyeux,
Appréhendent qu’un tel courage
Aux leurs ne fasse ouvrir les yeux.
Ils attribuent à l’ivresse
Ce qui provient de l’esprit divin;
Disant qu’une telle allégresse
Est l’effet d’un excès de vin.

Schismatiques abominables,
Quel est donc votre aveuglement ?
Vous vous montrez en tout semblables
Aux pharisiens de l’ancien temps.
Chez eux, si Jésus fait des miracles,
C’est au nom de Belzébuth;
Et des apôtres les oracles
Sont l’effet du vin qu’ils ont bu.

Hélas ! si mon âme est contente,
S’il chante, il sait bien pourquoi;
La mort peut-elle être affligeante,
Quand on la souffre pour la foi ?
L’âme peut-elle être tremblante
Allant au céleste festin !
Ah ! que cette ivresse est charmante,
Qui provient de l’amour divin.

Arrivé sur la guillotine,
Il veut, pour la dernière fois,
De Jésus prêcher la doctrine,
Mais hélas ! on sen aperçoit;
De l’erreur la nuée épaisse
Son discours pourrait dissiper,
Tambours, battez vite la caisse,
Bourreau, hâte-toi de frapper.

Chrétiens, redoublons de courage
Ne déplorons pas notre sort,
Devons-nous redouter l’orage
Qui nous conduit tout droit au port ?
Dans cette terre d’esclavage,
Réduits à la captivité,
Pour nous la mort n’est qu’un passage
A une heureuse éternité.

Si nous ne pouvons pas entendre
La douce voix de nos pasteurs,
Dieu, par un amour le plus tendre,
Nous console dans nos malheurs.
De saints prêtres la constance,
Au milieu des persécuteurs,
Est au-dessus de l’élégance
Des excellents prédicateurs.

Avril 2006

 

 

 

 

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