Le Pensio, grandeur et déclin d’une institution

J’ai une tendresse particulière pour le Pensio qui a accueilli notre fils Félix de septembre 1997 à juin 2000, soit de sa classe de seconde à la fin de sa terminale et son passage du baccalauréat. Moi qui étais professeur dans un lycée public, n’avais fréquenté que des établissements laïcs au long de ma scolarité puis de ma carrière, je peux dire que j’ai rencontré un super établissement avec le PNDF. Notre fils qui n’était pas heureux au Collège Lafayette, a connu enfin un bonheur tranquille au Penso. Que cet établissement en soit ici remercié et encensé ! Le Pensio a fermé ses portes précisément quand Félix l’a quitté pour poursuivre un BTS informatique à La Chartreuse.
Je ne peux m’empêcher d’éprouver un pincement au cœur quand je passe rue de la Tour Maubourg devant la façade du PNDF. Aujourd’hui, des bâtiments neufs et sans âme s’élèvent sur les ruines du Pensio… Quel dommage ! Quel gâchis ! Quel sacrilège ! On ne me dira plus que la France est en faillite quand on voit le chantier !Afficher l'image d'origine
Les pelleteuses qui grignotent les restes de ces immenses bâtiments groupés sur une colline, à l’ouest du Puy-en-Velay, suscitent des pincements de cœur à ceux qui ont connu ce vaste espace grouillant d’une jeunesse qui s’est construite ici, dans une tradition intellectuelle et morale sur laquelle veillaient rigoureusement les Frères des Écoles chrétiennes.
Pendant 150 ans, le Pensionnat Notre-Dame de France, familièrement et affectueusement appelé le « Pensio » a constitué un élément incontournable du paysage éducatif vellave. Cette institution a fermé ses portes en 2010 après plus d’un siècle et demi au service de l’enseignement, laissant un gros brin de nostalgie dans les esprits de ceux qui ont passé de longues années sur les bancs du plus célèbre établissement catholique du Velay. Mais pour comprendre l’histoire du Pensio, il faut remonter loin dans le temps, bien avant la construction de ces bâtisses qui ont dominé la ville.

La genèse
Sous l’Ancien régime, l’enseignement n’est pas vraiment structuré. Les frères ont toutefois lancé les prémices de ce « tissu » éducatif qui va se développer aux siècles suivants. Ces frères encadrent deux classes au Puy, dont une à la maison Gouteyron qui leur a été donnée en 1744. Rapidement, l’effort se développe : à la veille de la Révolution, plus de 600 élèves reçoivent une éducation dispensée par huit frères.
La tourmente révolutionnaire entraîne la dispersion des frères qui reviennent à la maison Gouteyron seulement en 1818. Une dizaine d’années plus tard, une nouvelle école ouvre ses portes. Elle ne peut toutefois accueillir tous les élèves. En France, on assiste au milieu du XIXème siècle, à une volonté de développer les enseignements : rapidement, plus de 800 pensionnats ouvrent. Les moyens ne suivent pas toujours l’ambition politique. Alors, l’enseignement « libre » tente de compenser le nombre insuffisant d’établissements publics. A partir de 1850, les établissements congréganistes tenus par les frères se multiplient dans l’hexagone.
C’est dans ce contexte qu’est créé le Pensio tel que les Vellaves l’ont connu dans le quartier des Capucins. Au début des années 1850 – le noviciat de la maison Gouteyron étant trop petit pour accueillir les classes – les demoiselles Dorson et un certain frère Paulinus signent un bail qui concède à ce dernier l’utilisation d’une partie de l’ancien hôtel de la Prévôté du chapitre de Notre-Dame, rue Saint-Georges, à proximité du baptistère Saint-Jean, afin d’y aménager un internat pour garçons.
Le frère Paulinus est le premier « visiteur » du district du Puy qui réunit quatorze écoles situées dans les départements de la Haute-Loire et de la Lozère. Un noviciat est installé dans cet hôtel de la Prévôté en 1852, un quartier fortement perturbé à cette époque en raison des travaux liés à l’érection de la statue Notre-Dame de France sur le rocher Corneille.
Peut-être en raison de la proximité de ce rocher qui domine la ville du Puy, le frère Paulinus, directeur de la nouvelle école, a l’idée de demander un sou à chacun des 300 000 élèves des Frères en France. Une « souscription » destinée à financer le piédestal de la future statue Notre-Dame de France. Une idée appréciée, on le devine, par l’évêque du Puy, qui encourage ces dons et accepte l’ouverture d’un noviciat à côté des Carmes, et d’un pensionnat payant, sans toutefois négliger le développement des écoles gratuites.
En 1861, Le Pensionnat Notre-Dame de France – qui doit sans doute son nom à l’épisode du piédestal de la Vierge – déménage et se transporte dans l’enclos Perrin, une propriété vendue aux frères par un boulanger ponot. C’est le début de l’histoire du Pensio tel que l’ont connu des milliers d’enfants qui ont suivi les cours des frères.
Dans la décennie qui suit, la notoriété de l’établissement se développe grâce au frère Gabriel Marie, un mathématicien renommé qui en devient directeur de 1873 à 1882. Il réorganise les études en préparant plus particulièrement les élèves aux aux carrières du commerce, de l’agriculture et de l’administration.
En 1882, Jules Ferry fait voter la loi relative à l’obligation de laïcité de l’enseignement. Ainsi qu’il l’écrit à l’automne 1883 dans une circulaire adressée aux instituteurs : « L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école ». Toutefois, la loi ouvre la possibilité d’inscrire les enfants dans des établissements privés. La laïcisation des écoles communales tenues par des frères entraîne la création d’écoles « libres », cependant, le Pensionnat continue sa mission sans trop se soucier des directives ministérielles.
A partir de 1887, plusieurs chantiers sont ouverts sur le site des Capucins : la construction de la chapelle sous l’impulsion du frère Nicet-Ernest, de la grande salle, de la salle musique, de l’aménagement du préau.

On liquide !
Mais quelques années plus tard, de nouvelles dispositions législatives viennent perturber de manière plus significative la vie de l’établissement : la loi du 5 juillet 1904 interdit aux congrégations religieuses le droit d’enseigner. Conséquences : en France, quelques 2 500 écoles religieuses doivent fermer leurs portes.
Les « hussards noirs de la République » se substituent aux soutanes.
Le 4 juin 1910, le Pensionnat est officiellement fermé et en août 1911, un liquidateur procède à sa vente devant le tribunal civil de la Seine.
La période est trouble. Une assemblée générale de l’Amicale se déroule dans un climat où l’émotion est palpable : à l’issue du banquet de clôture, les frères annoncent qu’ils se séculariseront. Les quelques 500 élèves du Pensio pourront poursuivre leur scolarité.
« Si les professeurs n’ont pas les mêmes habits qu’autrefois, ils ont les mêmes sentiments chrétiens, autant de savoir pédagogique et un égal dévouement » déclare un délégué lors du 25ème anniversaire de l’Amicale.
Des frères qui ont choisi de se séculariser, préférant poursuivre leur mission éducative, alors que leur intérêt les aurait plutôt poussé à aller « manger des oignons en Égypte ou des bananes au Brésil ».
Pour ce qui est des locaux et du matériel, ils doivent être vendus, mais ils sont rachetés par des privés qui souhaitent conserver cet établissement scolaire « dans lequel on donnait l’instruction religieuse avec l’enseignement ».
Alors les frères, en habit laïc, continent d’animer le Pensionnat. Accusés d’être « encore religieux », ils sont poursuivis, mais finalement acquittés.
Mais la justice n’en reste pas là : le directeur et les professeurs sont poursuivis devant le tribunal du Puy pour infraction aux lois sur les congrégations. Toutefois, le tribunal ponot relaxe la quarantaine de prévenus. L’affaire ira en appel à Riom, mais là aussi, la présomption de délit est écartée. Soulagement.
Survient la première guerre mondiale : le Pensionnat abrite un hôpital militaire temporaire de 260 lits qui fonctionnera jusqu’en mars 1918. Mais les cours ne sont pas interrompus bien que le personnel soit fortement diminué en raison de la mobilisation.
Si l’ensemble des bâtiments est théoriquement dévolu à l’hôpital, un « arrangement » permet le fonctionnement, très perturbé, de six classes. On est obligé d’aménager des dortoirs dans  deux usines proches, Fontanille et Canard, et pour faire face à la pénurie d’enseignants – qui sont mobilisés -, des retraités et des anciens élèves apportent leur concours. Et quand l’hôpital est désaffecté… L’établissement doit encore accueillir un groupe d’enfants de Nancy qui resteront près de huit mois dans ses locaux.
La structure des bâtiments se transforme par la suite. Après des réparations et la construction d’un étage supplémentaire, des ateliers de mécanique d’ajustage, de menuiserie, une forge et un espace consacré à la dentelle sont aménagés.
Pendant la seconde guerre mondiale, les frères directeurs, Charles puis Adrien, cachent les Juifs, dont trois professeurs qui viennent des lycées publics, et plusieurs familles.
Après guerre, le Pensio compte environ 600 élèves. Mais la période trouble de la première décennie du XXème siècle a laissé des traces profondes : les locaux ont souffert et de nouveaux travaux s’imposent.
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La grande salle transformée en dortoir :
La grande salle transformée en dortoir.

Au réfectoire, il y a quelques décennies :
Le réfectoire, il y a quelques décennies.

Pendant de longues décennies, l’uniforme fut obligatoire :
Pendant de longues décennies, l'uniforme fut obligatoire.

L’Amicale, en sommeil pendant la guerre, se reconstitue dans les années 1920. L’enseignement s’enrichit, on ouvre un cours de latin, puis des classes professionnelles et commerciales sont créées. Des ateliers avec des toitures en sheds sont installés. Cette « école d’apprentissage » qui complète l’organisation du PNDF est inaugurée en décembre 1925.
Les années trente voient un établissement presque constamment en chantier : nouvelles constructions, transformation de classes, aménagement de la chapelle… et en parallèle, en 1932, Les Échos de Notre-Dame de France prennent le relai du Bulletin de l’Amicale , une revue trimestrielle qui crée un lien entre les élèves, les maîtres et les parents.
Arrive le second conflit mondial. Là encore, les bâtiments sont réquisitionnés : le Pensio se transforme en caserne et accueille le 2ème bataillon du 86ème RI… et il redevient un temps hôpital militaire.
Les élèves sont logés dans la grande salle ou éventuellement en ville. A partir de juin 1940, l’établissement est entièrement réquisitionné par la préfecture pour accueillir des réfugiés, des blessés et des sans-abris. Mais en septembre de la même année, l’hôpital militaire est supprimé et le PNDF retrouve une vie « normale ».
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Le coup de grâce
Les décennies suivantes conforment la place du Pensio dans le paysage éducatif de la Haute-Loire. L’établissement compte jusqu’à 1 400 élèves. Dans les années 1950, c’était le deuxième établissement privé du massif central, après le lycée Godefroy-de-Bouillon à Clermont-Ferrand. Et puis, au début des années 2000, des nuages viennent obscurcir le ciel du quartier des Capucins. Les effectifs présentant une baisse régulière, le Pensio ne peut plus faire face financièrement aux travaux nécessaires de remise aux normes. Par ailleurs, l’endettement s’est accru depuis une vingtaine d’années.
Une situation qui perdure jusqu’en 2010 : à la fin de cette année scolaire, le PNDF ferme définitivement ses portes. Il accueille alors quelque 800 élèves qui qui sont les derniers d’une immense cohorte qui a débuté quelque 150 ans plus tôt.

Quelques illustres « pensionnaires »
Le maréchal Fayolle (1852-1928) : Marie-Emile Fayolle fréquente l’établissement lorsqu’il se trouve rue Raphaël. C’est là que le futur maréchal de France apprend à lire et à écrire. Né au Puy en 1852 dans une famille de négociants – ses parents sont originaires du Monastier-sur-Gazeille et de Saint-Geneys-près-Saint-Paulien -, Marie-Emile Fayolle intègre, après son passage au Pensionnat, l’École polytechnique puis enseigne à l’École supérieure de guerre. A la retraite comme général de brigade lorsque le premier conflit mondial éclate, il est rappelé et gravit plusieurs échelons. Après la première guerre, il est nommé maréchal de France en 1921. Décédé en 1928, son corps repose aux Invalides.

Pierre de Nolhac (1859-1936)
Originaire d’Ambert dans le Puy-de-Dôme, Pierre de Nolhac effectue le début de ses études au PNDF. Il quitte ensuite la Haute-Loire pour poursuivre sa scolarité à Rodez, puis à Clermont-Ferrand avant de préparer une licence en lettres à la Sorbonne. S’intéressant à l’art, il devient membre de l’école française de Rome où il séjourne trois ans. Il sera conservateur du musée de Versailles où il donnera des cours d’histoire de l’art, puis terminera son activité au musée Jacquemart-André. En 1992, il est élu membre de l’académie française. Pierre de Nolhac a publié de très nombreux ouvrages consacrés à l’histoire, à l’art, en particulier sur la période de la Renaissance.

Jean Boiteux (1933-2010)
Jean Boiteux est le premier champion olympique de l’histoire de la natation française. Né à Marseille dans une famille de sportifs – son père était aussi champion de natation – Jean Boiteux montre le plus de dispositions pour la natation. Pendant la seconde guerre mondiale, il quitte la région de la Ciotat où vit sa famille pour la ville du Puy où il est interne durant deux ans au PNDF. Il poursuit ensuite sa scolarité à Toulouse Olympique Employés Club (TOEC) qui s’impose alors comme un des meilleurs clubs de natation de l’Hexagone. Jean Boiteux participe trois fois aux jeux olympiques et remporte la première médaille olympique de l’histoire de la natation française sur 400 m nage libre à Helsinki en 1952. Jean Boiteux est décédé accidentellement en 2010 en tombant d’une échelle dans un jardin de Bordeaux.

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Septembre 2016

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