La gare de Pont d’Alleyras


Au jardin de mon père de Fred Musset en hommage à mon oncle André :
https://www.youtube.com/watch?v=xiQa8QHWJyc

Mon village est traversé par la voie ferroviaire qui relie Saint-Germain des Fossés à Nîmes inaugurée en 1866. Un train touristique propose actuellement un des plus beaux parcours ferroviaires de France,  là où aucune route ne passe. Entre Langeac (Haute-Loire) et Langogne (Lozère), entre volcans et granit, sur la mythique ligne des Cévennes, cet itinéraire audacieux traverse des gorges sauvages et inaccessibles. Leur relief accidenté a nécessité l’édification de nombreux ouvrages d’art : sur soixante sept kilomètres, pas moins de cinquante et un tunnels et seize viaducs ont été construits au 19ème siècle.  Il était question de le classer cet ouvrage historique dans le patrimoine de l’U.N.E.S.C.O.
Lorsque je revenais de Polynésie au moment des vacances scolaires d’été, je prenais à la fin de mon long voyage ce fameux cévenol. De la fenêtre du train, je m’enivrais du spectacle magnifique et sauvage des gorges de l’Allier et je savourais ma chance d’avoir mes racines dans cette région.
Je descendais à la gare de mon village. Celle-ci prend une belle place dans mes souvenirs de jeunesse : dans les années 50-60, les pêcheurs et leurs familles s’y arrêtaient pour venir taquiner le saumon,  la truite et l’écrevisse, ma grand-mère y expédiait des champignons vers Marseille, mon père y descendait en venant des houillères des Cévennes où il travaillait. L’été, les jeunes allaient rituellement y voir passer le train de neuf heures du soir ; là naissaient et se perpétuaient les amourettes adolescentes le temps d’un été. Je me souviens qu’il m’était interdit de sortir de la maison dès que tombait le soir. J’en éprouvais une cuisante injustice qui perdure encore aujourd’hui. J’imaginais les copains de notre bande se divertir en mon absence, moi qui, privée de la liberté de les rejoindre, cultivait mon ressentiment contre cette censure que je qualifie toujours d’injuste. Depuis cette privation d’aller et venir, la liberté m’est une notion capitale que je me suis alors promise et gare à celle ou celui qui entraverait cette détermination. Menant à la gare, une large allée était réservée aux villageois amateurs de pétanque  du dimanche. Ce terrain plat et long permettait à mon oncle André de se mesurer aux autres boulistes  avec son équipe,  souvent composée de Raymond Cacaud, le maire, de son oncle  Eugène Cacaud qui venait lui couper les cheveux avec sa tondeuse à main et lui apporter avec sa brouette une caisse de vin blanc. Le dimanche matin, à l’heure où les dévotes finissaient leurs patenôtres, ces équipiers prenaient l’apéritif au café-épicerie Casino à côté du passage à niveau : une suze-citron pour mon oncle André, du pastis pour les autres. Mon oncle commandait pour moi un guignolet-kirch et me donnait des sous pour que j’aille m’acheter un paquet de cacahuètes et le journal de Mickey. Des farceurs avaient installé une pancarte métallique qui s’ouvrait comme un rideau au théâtre : ceux dont la partie se soldait par un zéro devaient « embrasser Fanny », c’est-à-dire s’agenouiller devant cette pancarte peinte d’une paire de fesses et l’embrasser. Le dimanche était véritablement un jour de récréation pour tous. Mon oncle n’avait qu’un œil fonctionnel, l’autre ayant perdu la faculté de voir suite à l’examen d’un ophtalmologiste qui lui avait sectionné par inadvertance le nerf optique. Malgré ce handicap, il tirait à la perfection. Je me souviens d’un dimanche de gloire ; son équipe avait gagné le concours contre des boulistes de la ville voisine. Tout le monde faisait cercle et regardait la partie mémorable. Le terrain a été depuis lors  réduit à des dimensions plus modestes et aménagé ;  toutefois, il persiste des aficionados de la pétanque qui se retrouvent toujours près de la gare. Entre 1960 et 1970,  cette gare S.N.C.F. et son passage à niveau ont été fermés, rentabilité oblige. Je ne verrai plus la jolie Danièle Farigoule dont la mère fermait et ouvrait la barrière blanche et rouge du passage à niveau avant et après chaque passage du train. Je me souviens qu’elle m’avait vainement appris à rouler sur des patins à roulettes.  Puis elle a quitté Pont d’Alleyras pour Chanteuges  où ses parents bénéficiaient d’une affectation. En 1964, son père, ayant acheté une 4 L et le mien récent possesseur du permis de conduire et d’une 2 C.V. beige  immatriculée 491 CQ 43 se relayaient pour conduire ou ramener en fin de semaine leurs filles lycéennes au Puy et évidemment pensionnaires. Bien avant, lorsque j’allais à l’école primaire du haut – il y avait alors deux écoles, celle du haut que fréquentaient les enfants de six à huit ans et celle du bas pour leurs aînés -,  un copain, Gilbert Boudoussier était subjugué par l’animation des trains et surtout par les panoramiques ; il en a a écopé bien des punitions de notre maîtresse Georgette Capelany qui ne supportait pas sa distraction.
A l’école du bas, j’ai un peu connu Jean-Louis Trouiller dont les parents logeaient à côté du château d’eau destiné à emplir et alimenter les locomotives à vapeur.
La femme du chef de gare, madame Smanio, une belle brune aux cheveux longs, habitait avec son mari au premier étage de la gare. Notre instituteur de l’école du bas, Georges Tavernier, attiré par cette femme affriolante, nous amenait sur le terrain dévolu aux boules pur y faire du sport. Nous y exécutions le fameux lendit de l’U.S.E.P. sous l’œil vigilant de notre maître qui ne tolérait aucune erreur et qui se rinçait l’œil en même temps des appâts de la femme du chef de gare. Nous y effectuions aussi des épreuves d’athlétisme : courses de vitesse, lancer de poids, sauts en hauteur et en longueur. Comme notre entraînement était assez intensif, nous avons hérité dans notre école d’une championne de France du soixante mètres, Marie-France Vincent.
Sur l’avenue de la gare se déroulaient dans mon enfance les fêtes du village. Au bout, une baraque en planches abritait la buvette et le bal. Elle a été remplacée depuis par une construction en dur financée par les chasseurs et la municipalité : on y procède au dépeçage et au partage du gibier. Le gibier des fêtes de mon enfance était tout autre et consistait à séduire l’élu de son cœur au cours du bal.  Cette fête se déroulait le premier dimanche d’août. La matinée commençait par des jeux organisés pour les enfants. Près du passage à niveau, la bascule portait les enfants qui s’affrontaient lors du concours de grimaces. Plus loin, il s’agissait de plonger la tête dans un bac d’eau pour récupérer avec les dents une pièce de monnaie posée sur le fond.  Tout proche, un mat de cocagne proposait aux grimpeurs après escalade une panoplie de lots. Le concours de biches réservait aux audacieux la chance  de casser, perche en main et yeux bandés, une poterie suspendue à un fil tendu sur ladite avenue ; les veinards recevaient une pièce ou une sucrerie, les malchanceux essuyaient une douche sur le crâne composée d’eau ou de farine ou des deux successivement sous l’œil rieur des badauds. Il y avait aussi une poêle noire de suie sur laquelle était posée une pièce engluée dans du beurre qu’il fallait saisir avec les dents.
Le terrain de l’avenue servait encore de piste pour la course en sac ; les concurrents devaient parcourir le plus vite possible une certaine distance, les jambes prisonnières dans un sac de jute. Bien plus longue démarrait du même endroit la course à la valise ; les candidats munis de ce bagage qui subissait une modification à chaque étape du parcours devaient troquer leur tenue contre le nouveau contenu de la valise puis revenir en tête sur le lieu du départ pour gagner ; leur valise pouvait aussi bien renfermer un accessoire simple comme un chapeau ou des charentaises qu’un vêtement plus complexe comme un pantalon à bretelles ou un porte jarretelles. René Savy l’électricien et Tonin Garrel de Gourlong, décédés aujourd’hui, excellaient en tant qu’organisateurs. Les enfants dépensaient ces sous gagnés sur les attractions installées par les forains : manège, balançoires en forme de barques, tirs à la carabine, pêche aux canards, barbe à papa….
La nuit tombée, le feu d’artifices tiré du bord de l’Allier réunissait la population qui se rendait ensuite au bal. Au bout du parquet-salon surmonté d’ampoules colorées et de guirlandes, une estrade cachée de papier crépon supportait l’orchestre. Tonin Garrel invitait chacune à danser, apprenant ce savoir-faire aux débutantes  si besoin était. Il portait toujours son costume marron à fines rayures et invitait sans exception toutes les filles du coin. Les confettis jonchaient le parquet et je me rappelle de Marinette Plot si jolie dans sa robe pied de poule aux impressions noires et blanches en train de valser aux bras de son  Loulou et si souriante.
La maison du château d’eau abritera plus tard « la cavale » qui proposait des randonnées équestres aux touristes en compagnie de Gérard Gardès La gare sera louée à Pierrette Savy, une copine d’enfance qui y tiendra une épicerie.
L’avenue de la gare était aussi un lieu de rivalité entre les deux restaurants voisins  : chez Cacaud et au Saryella. Aujourd’hui, le premier est un restaurant gastronomique chic et renommé alors que le second bien plus modeste propose de petits plats simples et pas chers. Marinette, la belle danseuse du bal, tenait ce Saryella, travaillant beaucoup pendant que Loulou, son mari, s’accoudait au bar. La rumeur dit que Loulou appuyait tant ses coudes sur le zinc, que ceux-ci en étaient devenus calleux.  Je revois Marinette occasionnellement, divorcée  d’avec son Loulou puis veuve, toujours aussi jolie et pétulante qu’autrefois.
Les vaches de ma grand-mère, qu’un joug attelait pour tirer un char, empruntaient l’avenue de la gare afin d’aller chercher le foin d’un pré pentu situé juste en face de la maison du château d’eau. Celle-ci propriété de la  municipalité est aujourd’hui louée à un couple  qui supporte mal  que quelqu’un passe dans son pré carré. Ces époux règnent donc en solitaires dans cet isolement volontaire au bout de l’avenue de la gare. Au début de celle-ci se trouvait encore la poste aujourd’hui fermée. Elle a été louée à Pierrot, un ancien vendeur de fruits et de légumes qui proposait ses crudités  pleines de vitamines aux villageoises; Il a connu bien des vicissitudes et je me souviens que son vieux chien était venu se coucher dans le ruisseau pour mourir. Un enfant d’ici, Laurent Savy que j’ai plaisir à rencontrer ponctuellement y habitait  il y a peu de temps. La poste a été transférée à la mairie d’Alleyras mais il n’y a plus ni postier ni postière,  seulement la secrétaire de mairie pour accueillir le public de cette poste, les P.T.T. ayant concouru à  la désertification rurale  des  petites communes. Au dessus de chez Pierrot, l’ancienne école du haut est louée à une jolie jeune femme  tandis que le rez-de-chaussée sert de salle de présentation aux réalisations des associations de la commune.

2011

Cette entrée a été publiée dans Pont d'Alleyras et ses environs. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à La gare de Pont d’Alleyras

  1. savy dit :

    Trés jolie ,merci Viviane .

  2. COUPRIE dit :

    Merci Viviane pour cet exposé qui rappelle notre enfance et les bons moments passés entre nous. A bientôt chère cousine.

    • viviane dit :

      Ce que tu m’écris me fait vraiment plaisir. Je suis restée plusieurs jours au Pont. Je viens de rentrer ce 31 juillet à Espaly mais vais retourner là-bas en août. Soigne ta jambe et à bientôt, Michel. Affectueusement à toi et à Patricia.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>