Ma dépression

A la fin de l’année 2007 et au début 2008, j’ai connu plusieurs mois d’une dépression horrible, consécutivement à  l’accident médicamenteux subit qui avait brutalement et gravement endommagé  mes fonctions neuro-visuelles. Ma vue s’était trouvée irrémédiablement détériorée. Je n’étais plus celle que j’avais été, je ne savais pas encore que je ne le serais plus jamais ! Mais à ce moment là, je me débattais aux prises avec cette amputation sensorielle et je me noyais. Que m’arrivait-il ? Toutes mes pensées tournaient en rond autour de cette mutilation : pourquoi moi ? Comment vivre (ou ne pas vivre) avec cette détresse psychique qui m’anéantissait ? être ou non une charge pour les miens ? Peser d’un poids inutile ? Je ne parvenais que très difficilement à dormir. Jour et nuit, le scénario de mon épouvantable passage à l’hôpital tournait en boucle dans ma tête. Je ne trouvais aucune issue et je voulais ne plus continuer à faire partie de ce monde qui m’avait rayée de sa scène… Mon anxiété profonde était poussée à son paroxysme et m’étouffait littéralement. J’étouffais ! Cet  étau qui comprimait ma cage thoracique m’étouffait psychiquement. J’avais été victime d’une grave avanie orchestrée par deux médecins du M2 qui avaient menacé et atteint mon intégrité sensorielle. Le sentiment d’impuissance et d’horreur qui me submergeait débordait toute   autre analyse raisonnée. Dès la survenue de ma cécité corticale, j’avais aussitôt notifié à mon mari et à une interne présente toute l’horreur de mon état. La réponse hospitalière fut ma mise sous camisole chimique à force de fortes doses de lexomil à et de stablon. Au lieu de scinder les comprimés, mon mari les voyait passer entiers plusieurs fois par jour ! Heureusement que sa perspicacité poussée par la mienne m’ont tirée de là  peu après ! Tout l’hôpital savait bien que le légume auquel on me réduisait ne se plaindrait plus. Dans mes éclairs de lucidité là-bas, j’éprouvais une intense peur contre ces médecins incapables dont j’étais le cobaye et surtout la victime. J’étais envahie par la dégradation sensorielle qu’avaient produites leurs médications outrancières sur moi. Après être rentrée chez moi et interrompu aussitôt tout médicament interférant sur ma capacité de raisonnement, j’échafaudai des hypothèses hasardeuses pour exécuter mon suicide et j’ai construit et déconstruit plusieurs scénarios. D’abord m’étrangler, puis sauter d’un pont au passage d’un train, mourir écrabouillée par un véhicule. Je savais pourtant que se pendre est la meilleure manière de s’exécuter mais je n’ai jamais trouvé le courage de le faire. Je disais à mon entourage que je voulais disparaître. De toute façon, je ne servais plus à rien, je n’avais plus aucune utilité sociale et je ne voulais à aucun prix devenir un fardeau pour ma famille. Je ne pouvais plus travailler alors que ma vie s’ancrait pour une grosse partie sur ma profession dans laquelle je m’investissais énormément. Je ne savais pas encore qu’il faudrait faire mon deuil de ma condition visuelle et professionnelle antérieure. Je devais sans doute encore espérer un miracle ! Et employer le terme dépression ne qualifie absolument pas la terrible souffrance mentale qui m’a submergée. Je suis convaincue que quiconque n’a jamais connu les affres de cet état ne peut pas l’appréhender. Moi-même étais autrefois plutôt condescendante envers ceux qui me parlaient de leur mal être. Je compatissais mais pensais qu’il suffisait de se bouger et d’être énergique pour se sortir de  ce mauvais pas. J’avais cette certitude ancrée en moi : il ne pourrait rien m’advenir de tel ! Mais je ne connaissais alors pas du tout le milieu de la maladie psychique et je manquais d’humilité et d’empathie. La vie s’est chargée de me rappeler à l’ordre ! Mon médecin – homme remarquable s’il en est, d’une compétence rare et d’un humanisme à revendre -  m’a dit plus tard qu’il s’agissait d’un trouble du stress post traumatique. Ce trouble anxieux sévère s’était manifesté à l’hôpital après que j’eûs constaté que je ne voyais plus, que mon cerveau devenu vaseux ne répondait plus à mes ordres. Ce fut un moment de ma vie que je ne souhaite à personne, extrêmement traumatisant. Mon intégrité physique et mentale avait été menacée. J’ai été débordée par ce cataclysme et je n’ai pas pu faire face à l’agression : j’allais crever ! L’état de sidération consécutif à l’horreur et au désespoir m’a envahie ! Mon médecin m’a rappelé que notre première conversation a commencé par ces mots : « C’est fini pour moi ! » Je me souviens que je pleurais beaucoup, que je ne riais jamais et que j’étais persuadée que plus jamais je ne pourrais rire. J’avais une perpétuelle impression de danger et de désastre imminent. Je montrais une extrême vigilance envers tout événement qui survenait dans notre foyer, je n’étais jamais en paix sauf lorsque le sommeil m’engloutissait. Je me dévalorisais et n’éprouvais aucun plaisir ni intérêt comme autrefois. Je ne faisais rien, passait mon temps couchée, négligeant de me peigner, de cuisiner… J’écoutais la radio par moments. Je n’avais envie de rien sauf d’en finir. Je refusais de prendre les médicaments que me prescrivait mon docteur qui était pourtant d’une étonnante gentillesse car, traumatisée par mon expérience hospitalière, je ne faisais plus confiance aux prescriptions médicales, ayant trop peur de ne plus rester lucide et que les remèdes ne m’achèvent. Il a fallu une aggravation de ma souffrance psychique et que je demande à monsieur M. de me promettre que rien de tel ne m’arriverait pour que je prenne les médicaments. Mon état psychique s’est amélioré lorsque, six mois ayant passé depuis ma sortie de l’hôpital, j’ai décidé de prendre ces antidépresseurs. On peut dire que monsieur Mi. m’avait apprivoisée. C’était et ça reste d’autant plus inespéré et remarquable que je suis plutôt insoignable depuis cet attentat médical : j’éprouve une méfiance extrême à l’encontre des médecins à l’instar du handicap qu’ils m’ont causé. J’ai pourtant de la gratitude, un grand respect et une profonde estime pour cet homme-là. Je ne pourrai pas lui rendre tout ce qu’il m’a apporté ! D’ailleurs, j’aurais aimé qu’il devienne aussi mon médecin traitant, mais il a malheureusement refusé en me disant qu’il ne connaissait bien que le domaine du psychisme. Il m’a réconciliée avec quelques médecins que je choisis désormais au compte-goutte mais qui ne lui arrivent néanmoins pas à la cheville. Aujourd’hui, j’ai perdu ma belle autonomie de jadis, je ne peux plus conduire par exemple ni lire n’importe quelle publication, ni suivre un ballon, je suis sujette à des changements de mon affect qui peuvent être suscités facilement et disparaître vite. Je suis devenue hypersensible et comme les éponges, j’absorbe tout. Parfois, je déprime encore en silence. J’ai cessé de fréquenter tout collègue de travail, envahie par la honte du handicap qui m’est tombé dessous de façon si soudaine. Je n’ai bénéficié d’aucune période d’essai pour m’habituer à cette cécité corticale.

2013

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