Gilbert B. : Tableaux noirs et craies blanches

C’était un temps où l’école m’était triste et austère sans doute parce que j’étais un cancre assis ou plutôt réfugié tout près de la fenêtre. Cette salle de classe était garnie de pupitres affublés de dossiers de bois  rigides, ce qui la rendait encore plus inconfortable.
Les encriers de porcelaine blanche se découpaient sur les tons sombres des tables.  Ces petits récipients si blancs tâchaient nos feuilles d’encre violette dès qu’on y trempait la plume. Que de pâtés sur les tables et sur les feuilles parcourues de lignes des cahiers Héraclès ! Et ces tableaux branlants désespérément noirs dont les craies crissaient sur la surface lisse et farinaient jusqu’au Taraflex jaune clair posé sur le plancher !  L’odeur forte de cette encre et celle de la craie nous baignaient sans cesse dans notre école.
Il s’en dégageait une loi : un certain savoir à apprendre, une ambiance sévère à endurer. Le maître vêtu d’une blouse grise  surveillait attentivement sa classe et marchait le long des allées, ce qui le rendait encore plus intransigeant.

Je me souviens d’un matin d’hiver après être descendu  de ma colline distante d’un kilomètre environ : nous étions assis autour du poêle à charbon, les pieds près de la source de chaleur… Quel réconfort aussi que de se réchauffer après avoir couru dans la cour gelée, blottis à côté de ce poêle.
Mais que de fois ai-je pleuré dans cette école à côté du tableau ou seul au piquet dans un coin ? Mes mauvaises notes et ma  ma vilaine écriture s’ajoutaient à mon désarroi et à ma détresse morale.
J’ai débuté en classe en étant gaucher, ce qui était inacceptable à l’école. J’écrivais et j’apprenais comme mes autres petits camarades mais, rapidement, on m’a attaché la main gauche au dossier de ma chaise et je recevais de grands coups de règle de bois sur les doigts. C’était un calvaire. J’en bégayais de peur et de contrariété. Je me sentais la victime de toute la classe. Ma nature d’enfant gaucher allait de mal en pis.
Comme la cour de l’école était trop petite pour s’adonner à certains jeux et suivant l’humeur de notre institutrice, nous allions en récréation sur l’avenue de la gare, recouverte de sable de la carrière toute proche. Nous nous amusions comme des fous dans des courses poursuites. Nous jouions aux billes, à la marelle avec les filles; les garçons préféraient le foot et les jeux de ballon. J’avais horreur du ballon, ce qui n’a pas changé d’ailleurs. Parfois, notre match amical s’interrompait car la ballon avait atterri dans le jardin du chef de gare. Le temps d’aller le chercher dans les choux ou les salades, le jeu repartait. Les journées de pluie, nous allions sous le préau. Je me souviens qu’un jour, je portais un béret rouge qu’on m’a dérobé pour le faire s’envoler comme une soucoupe volante sur le toit de ce préau.
Notre institutrice nous autorisait à regarder le nouvel autorail panoramique. Les trains troublaient le silence de la classe. Nous étions inconfortablement assis sur nos tables, la tête dans nos cahiers, la main tremblante car incertaine d’avoir trouvé la réponse juste, dans la crainte du coup sec de la règle qui pouvait suivre… On aurait pu lire sur nos  visages combien nous nous concentrions et peinions à  trouver la solution aux problèmes. Constat oblige : malgré cette férule et les punitions, j’écris toujours aussi mal et je fais des fautes. Mon institutrice et mon instituteur  s’arrachaient les cheveux  du bilan qu’ils tiraient : il reconnaissaient la richesse de mon vocabulaire et la qualité de mes rédactions que je continue ici et qui ont toujours été pertinentes.
Mais mon stylo devient lourd. Je vais le poser à côté de ma feuille. Demain, il guidera ma main droite comme convenu au départ.

Couleurs laïques

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2 réponses à Gilbert B. : Tableaux noirs et craies blanches

  1. Rodde Madeleine dit :

    Alors là! Combien de talents d’enfants de la République ont été « gaspillés »,quelles belles expressions des sentiments,quelles belles descriptions! Il y avait certainement
    bien plus dans la tête de ce soit disant « cancre ».C’est la révélation aujourd’hui de la vérité.
    Nous , lecteur ou lectrice en profitons.Merci pour ces jolis textes c’est une vrai résurrection de l’auteur,par là même de notre enfance!
    Mado Rodde.

  2. viviane dit :

    C’est le chapitre du livre de Gilbert que je préfère. Sans doute parce que j’ai fréquenté les deux écoles de Pont d’Alleyras à la même époque et que j’ai côtoyé Gilbert. J’ai de nombreux souvenirs communs avec lui qui m’émeuvent particulièrement
    mais il a de très bons souvenirs. C’est vrai qu’il était fâché avec l’orthographe et la syntaxe de la langue française. En revanche, il écrivait de très bonnes rédactions, originales et intéressantes.
    J’ai été traumatisée avec d’autres des mauvais traitements qu’il a subis de la part de notre institutrice et de notre instituteur, madame Capelany et notre instituteur, monsieur Tavernier. Et quand je dis mauvais traitement, je suis en dessous de la réalité. Aujourd’hui, ils iraient en prison pour moins que çà !
    C’est d’autant plus remarquable que Gilbert ait pu malgré tout ce passé écrire un livre. Alors, chapeau Gilbert, tu as toute mon estime et mon admiration.

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