Promenade avec Mikette

Texte de Gilbert Boudoussier :

Comme je rentre dans la cour, la chienne me reçoit à sa manière. Je ne puis faire un pas sans qu’elle ne me manifeste son affection. Elle se jette sur moi, pattes en avant, elle me lèche la figure et me parle des yeux. Elle sait que mon arrivée est synonyme d’évasion, de promenade. Bientôt, je vais partir avec elle. Elle ne cesse de manifester sa joie autour d’elle car elle aime se promener en ma compagnie. Sa queue en panache, ses oreilles dressées, un sourire qui découvre ses dents blanches, tout affiche son enthousiasme ! Mais peut-on parler ainsi d’un animal ?
Ce matin, j’ai enfilé mes bottes car le sol est humide de rosée; une petite brume s’étale sur la vallée des gorges de l’Allier. Après avoir vérifié notre équipement, nous partons tous deux. Nous traversons la départementale pour prendre un chemin pierreux et herbeux qui nous emmène sur une petite butte qui domine le hameau d’Aussac. Après être passés au milieu d’une haie de frênes bordant le chemin, nous arrivons sur un promontoire. Nous respirons à pleins poumons cet air pur du matin naissant. La chienne déborde d’amabilité et d’activité : elle court, s’arrête brusquement, repart à nouveau, saute sur les genêts à travers tertres et me rejoint prestement; elle semble me dire : « Alors, tu viens ? Moi, je t’attends. Tu ne vois pas que je flaire sans cesse à la recherche d’un hypothétique lapin ou d’un rat ?  »
Quel bonheur pour Mikette de me suivre ou de me précéder, de m’attendre assise sur ses pattes arrière contre un pin. Elle ne me perd jamais de vue.
Nous arrivons maintenant sur une partie du sentier recouverte d’aiguilles de pin posées sur un tapis de mousse, ça sent l’humus qu’elle ne cesse de renifler.
Tout le charme de la promenade est là… Une petite grimpette et nous voilà perchés sur un relief plus haut. Sur ce site,  se trouve un rocher qui nous attend. Nous nous y asseyons pour contempler notre paysage mais Mikette piaffe déjà d’impatience pour aller plus loin. Cette chienne m’apprécie et me manifeste son affection. Et c’est réciproque ! C’est fou la complicité qu’il existe entre nous ! Parfois, elle me dépasse comme pour m’indiquer l’itinéraire ou elle me suit plus calmement. Ou bien elle s’arrête en levant une patte comme le ferait un chien d’arrêt pour saisir je ne sais quoi dans l’herbe. Nous descendons sur un autre versant qui nous amène dans le virage où coule une petite source à laquelle Mikette étanche sa soif. Moi, je la regarde simplement, elle si fière d’être en ma compagnie dans cette balade naissante !
Nous grimpons maintenant à travers bois; elle me dépasse et m’attend sur un autre talus. Lorsque je réapparais dans son champ de vision, elle se précipite sur moi et me fait la fête. Nous marchons sur un espace plat du bois de la côte grande; de là, le paysage est grandiose. J’admire cette géographie et je me surprends à voir que la chienne fait de même. Les deux sont à l’unisson. Belle image vivante d’un homme et de son compagnon, à demi cachés dans les genêts, en pleine nature. Douce quiétude du moment et de solitude. Nous goûtons notre bonheur d’être ensemble dans notre élément. Ma chienne, il ne m’en reste plus que quelques photos qui me rappellent sa présence et celle de mes parents.
Mikette manifeste de nouveau son impatience et nous repartons. Nous passons au milieu des buissons par un sentier étroit. Mikette me précède mais se retourne de temps en temps pour vérifier si j’avance. Nous savourons chacun à notre façon ces moments de liberté à travers la campagne au gré des saisons.
Happer en vitesse quelques myrtilles,  lécher quelques gouttelettes de rosée, gober quelques mouches, voilà un élément du portrait de Mikette en balade. Elle aime quand je la caresse, elle cherche ces manifestations de tendresse. Intérieurement, elle doit penser à des choses différentes de celles d’un homme mais l’essentiel est que nous soyons en symbiose. Pour moi, une promenade sans la compagnie d’un chien n’en est guère une. Ne serait-ce que pour rompre la solitude.  Avoir à ses côtés un compagnon.
Nous retrouvons un autre chemin. Toujours aussi agile, Mikette sautille sur ce sol frais du matin. Parfois, pour mieux  contempler la nature, je vais m’installer sur un rocher. Et tous les deux, nous regardons…
Combien de promenades ai-je faites avec elle ? En tout cas, elles n’étaient jamais vraiment  les mêmes.
Lorsque notre promenade est finie, qui a duré trois bonnes heures, au fur et à mesure que nos pas nous rapprochaient de la maison, je la devine moins contente.
J’ai beaucoup apprécié la présence de la gent canine dans mes promenades. La dernière, c’était Mikette, jolie chienne aux poils gris rayés de noir et blanc. Il y a eu aussi Mirza, Sandra,  Belle, Nizou, Finette,  Diane et Dolly, et mon premier chien, Mouton dans mes lointains souvenirs. Ce dernier était un croisé Saint Bernard aux longs poils blonds et roux. Ces jolis chiens et chiennes aux silhouettes ressemblantes mais au caractères différents, tous plus affectueux les uns que les autres ont tellement participé à mes balades, goutant la nature, écoutant les chants des oiseaux, les murmures des sources discrètes dans les sous bois, qu’ils en soient ici remerciés !
Avec la complicité de Mikette, je voguais sur ces senties champs  bordés de bruyère lozérienne. Nous partagions notre amitié pastorale au fil des paysages dont les saisons modifiaient et déclinaient les couleurs en pétales de bonheur. Ma Mikette, ma chienne,  je ne me fais pas à l’obscurité de  ton absence ! A l’automne de tes jours, je m’en veux de n’avoir pas su te comprendre. Car, pour moi, tu étais l’éternelle jeunesse.
Lors de notre dernière promenade, tu ne marchais plus assez vite qu’auparavant et tu t’obstinas à rester assise sur le bord de notre chemin; j’ai décidé en rentrant de te laisser dans la grange car tu étais exténuée. Lorsque je suis revenu, je te retrouvai morte derrière la porte. Tu l’avais sans doute grattée si fort avec tes griffes pour me dire adieu que le bois en a gardé la trace. Mais moi, j’étais déjà loin et je n’ai rien entendu.
Mikette, toi seule sait comment sont morts tes maitres, mes parents,  quand tu étais blottie au fond de l’étable après avoir entendu les carreaux se briser et les coups de fusil claquer. Tu avais compris le drame. Lorsqu’une foule qui t’était inconnue a ouvert la porte de ta cachette, tu es partie en t’enfuyant comme un éclair pour ne revenir que quelques jours après chez le voisin et tu n’as plus jamais voulu rester dans cette maison de la tragédie.Ton  instinct inné t’avait avertie.
Cette chienne qui était si triste dans la cour  lorsque je repartais le dimanche soir! Je ne t’ai pas oublié et tu mérites largement que je te  réverse quelques pages de mon livre. Car j’ai gardé les  souvenirs inoubliables de ces matins pleins de promesses quand nous allions découvrir la campagne. Je n’oublie pas non plus ton séjour chez moi. Tu ne me connaissais pas sous l’angle d’un citadin trop propre et parfumé dont la tenue vestimentaire ne te convenait pas. Mais tu m’attendais fidèlement en dépit de de ta grande peine d’avoir perdu mes parents, ta maison, ta niche au fond de l’étable et toutes tes habitudes de chienne rurale. Tu étais notre chienne affectueuse et docile. Tu étais une étonnante gardienne, très convaincante dans tes aboiements; tu ne laissais entrer personne autre que ta stricte famille. Tu semblais parfois si triste sur ton paillasson; tes yeux en disaient long.
Je suis ému lorsque je parle de toi, Mikette, tu as conquis mon cœur sensibles et mes yeux se voilent.
Aujourd’hui, Je me promène avec d’autres personnes mais rarement avec un autre chien. Il m’arrive de sortir avec Ozia, un cairn terrier mais rien n’est plus pareil.
Tu étais une adorable chienne bâtarde, très intelligente et, grâce à toi et à ta fidélité sans faille que tu m’accordais , j’ai beaucoup appris sur les animaux.
Les fleurs sauvages du printemps dans les prés me rappellent terriblement ce matin de bonheur où je t’ai prise en photo au milieu d’elles.

Mai 2015

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Une réponse à Promenade avec Mikette

  1. Jean-Marc dit :

    Merci Viviane de faire partager ces beaux écrits de Gilbert. L’émotion dégagée de ces textes (particulièrement celui ci) est palpable, j’ai eu du mal à le terminer sans m’essuyer un peu les yeux. J’aime beaucoup cette écriture qui permet d’exposer au lecteur une image d’une grande sensibilité que je qualifierai de 3D par ces détails ultras précis.Mais 3D est même faible, car en plus Gilbert nous fait parvenir en bonus l’odeur de ces espaces que nous apprécions tous.
    Bonne soirée .Jean-Marc

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