Regards littéraires sur la société du XIXème siècle en Haute-Loire

De George Sand à Jules Vallès les regards des écrivains du XIXème siècle posent des angles d’orientation différents sur notre département selon qu’ils sont natifs altiligériens  comme Jules Vallès ou non comme les écrivains-voyageurs venus pour le travail ou le tourisme que furent Prosper Mérimée, George Sand, Robert-Louis Stevenson.

I. Les observations des écrivains-voyageurs :
La société paysanne vue par eux :
Le passage de George Sand dans une auberge aussi sale que sa propriétaire est utilisé deux fois dans Le marquis de Villemer. Dans le second passage, elle généralise l’observation de la géante « tardigrade » à tous les paysans de la région, au moins ceux de la montagne. L’héroïne du roman parle d’une misère « navrante »en décrivant le dénuement des deux vieux d’Espaly. Les seuls paysans individualisés sont deux nourrices. Aisés, Justine Lannion vend de la mercerie , son époux protestant et  libre-penseur cumule les métiers de maréchal-ferrant et vétérinaire.
Mérimée, Strevenson et George Sand dressent le portrait d’une société paysanne fière mais pauvre et fort rude à l’instar de ses paysages et de son histoire marquée par les guerres de religion.
Même lorsque la paysannerie est relativement aisée, les paysans vivent dans un grand dénuement. « Le paysan, je parle de celui qui possède ce qu’il cultive, car la misère met l’autre hors de cause, ne jouit de rien et semble n’avoir besoin de rien. Sa maison est d’une malpropreté inouïe… »  « Elle sent elle-même la forteresse ou le campement plus que l’habitation normale » (Georges Sand). L’intérieur des maisons n’est pas plus engageant : pièce unique petite et sombre aux murs troués, un sol de roche brute ou de terre, deux lits en caisse où dorment six personnes. Les animaux sont mieux logés que les hommes. Voilà la description que le marquis de Villemer donne d’une de ces maisons. L’accès  à l’aisance ne se marque pas par une amélioration des conditions d’existence en raison de la faim de terre des paysans.
L’habillement est également très pauvre. « Dans la montagne, c’est une exhibition de guenilles unicolores sur de longues jambes nues et fangeuses, sans préjudice des bijoux d’or et même de diamants au cou et aux oreilles, contraste de luxe et de misère qui m’a rappelé les mendiantes de Tivoli »,  écrit le marquis de Villemer.  Ces femmes que Sand montre, telle l’aubergiste, vêtues de guenilles, sales mais couvertes de bijoux, ne mettent de beaux habits que le dimanche ou lors des fêtes comme la matrone décrite par Stevenson dans Voyage avec un âne dans les Cévennes. La rudesse de l’aspect correspond à celle des mœurs : jurons proférés par la matrone, images obscènes de certaines auberges, enfants « pochardés » par des proches, facilité à sortir le couteau. L’isolement entraîne la méfiance : un voyageur sur le chemin est suspect,  lorsqu’arrive la nuit, on le laisse dehors car on a peur des voleurs.
« Le chemin devient toujours plus rude, à Lantriac nous passons un quart d’heure à attendre que le cocher ne vienne à bout de réveiller les aubergistes. Il faut renoncer, on lui répond que c’est trop matin pour ouvrir les écuries ou on ne lui répond pas du tout. On nous prend pour des voleurs. Il est deux heures du matin », note George Sand.En revanche, dès qu’on est entré dans la maison, l’accueil devient cordial , note Stevenson.

Une aristocratie déclinante :
Ce déclin domine dès le début de Jean de la Roche de Sand, symbolisé par le délabrement des châteaux où ils vivent ou séjournent quelques mois. Les écuries de Séval, château des Villemer, sont fort délabrées. Deux étages sur quatre du manoir de La Roche sont quasi abandonnés : au rez-de-chaussée « tout est fané et usé ». Le mobilier est resté celui des origines de style Louis XIII. George Sand a visité le château de La Rochelambert dont elle donne une description très détaillée et qui  est un petit château Renaissance. L’intérieur du manoir apparait délabré, sale et figé dans un état inchangé depuis Louis XIII sinon dans la voie de la vétusté – « crédences très anciennes et fort usées », « c’est réparé sur des vestiges encore apparents »… alors que c’était déjà un manoir de « gentilhomme pauvre » à cette époque.
L’aristocratie peine à maintenir un train de vie défini par le rang (luxe pour la marquise de Villemer et son fils, simple nécessité de recevoir ses voisins dignement pour madame de la Roche). Le fils de la marquise de Villemer ruine sa mère. Les revenus de la terre ne permettent pas de le train de vie aristocratique. Les nobles s’endettent à Paris et vivent pauvrement en province. Travailler, c’est en effet déchoir.
Un autre symptôme de ce déclin est l’obsession des mères à marier richement leur fils.
Pour George Sand, la noblesse est condamnée par son oisiveté, son arrogance, ses préjugés et son passéisme. La vieille marquise de Villemer symbolise cette ancienne aristocratie condamnée par son étroitesse d’esprit. Son esprit de caste éclate dans ses discours à sa demoiselle de compagnie : « Méfiez-vous de ces préjugés nouveaux et des prétentions de messieurs les parvenus ! Ils auront beau dire et beau faire, un homme de rien ne sera jamais vraiment noble de cœur; une tâche originelle de prévoyance et de parcimonie étouffera toujours son élan ».
Sand appelle de tous ses vœux une nouvelle aristocratie , celle du talent, de la culture et du mérite.
Elle fait une analyse de la condition dominée des femmes et en particulier des dentelières.

Les dentelières et la condition féminine :
Blog de auvergnebassinauzonbrassac : Auvergne a travers les temps, Auvergne d'autrefois: Rosières Haute-Loire en cartes postales anciennes
George Sand note l’omniprésence du travail de la dentelle. Elle décrit un couvige : « Les paysannes là comme partout sont assises dehors par groupe et font de la dentelle en babillant. A Polignac, elles disaient des prières et des litanies tout en travaillant ». Elle a remarqué la dispersion dans les campagnes et que c’est un complément de ressource pour les familles paysannes. Elle a mis en évidence la précocité de l’apprentissage : « l’art de la dentelle est enseigné par la mère à sa fille. Aussitôt que l’enfant commence à babiller, on lui met une grosse pelote de corne sur les genoux et des paquets de bobine entre les doigts ».
Pour Sand, les dentelières subissent une double domination : celle du couvent et celle du marchand.  « Comme toutes les paysannes du Velay savent faire cet ouvrage, elles subissent toutes la loi du bon marché et l’on est effrayé de l’exiguïté sordide du salaire », écrit la marquise de Villemer.
En théorie, la dentelière est libre de vendre à qui elle veut car elle paie généralement son fil avant la fabrication. Mais en pratique, elle dépend du carton fourni par le marchand.
Le clergé domine aussi les femmes : « Elles sont exclues des plaisirs, les prêtres leur défendent la danse et même la promenade avec l’autre sexe » écrit le marquis de Villemer à son frère.

II Le point de vue interne du « natif » Jules Vallès :
Un regard intéressant à plusieurs titres :
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Vallès est au croisement de plusieurs groupes sociaux : la paysannerie et la petite bourgeoisie enseignante, le monde des compagnons et celui du petit clergé. Le roman se divise en trois espaces :
- La ville où vivent ses parents, l’oncle compagnon, la grand-tante béate; celui de la rue, du collège et de la surveillance de la mère. Les deux places dans la ville ont un rôle particulier (lieu de marchés animés pour l’enfant dont Le Plot).
- Les jardins potagers que l’enfant trouve laids et n’aime pas.
- L’espace de liberté qu’est la campagne (vers Faveyrolles et Vourzac où vivent les oncles, tantes et cousines restés paysans et la montagne) et  où il passe ses vacances chez l’oncle curé à Chaudeyrolles.
Vallès livre un triple point de vue interne. La vision de L’Enfant exalte les paysans et l’aristocratie ouvrière des compagnons, symboles de la liberté. Un deuxième point de vue est celui du souvenir qui s’exprime dans Le Bachelier et dans ses articles. Enfin, Le Cri du peuple fait entendre la voix du polémiste. La petite ville est dépeinte comme étouffée, dominée sans pitié par une Église qui se repaît de la misère.

Le mythe paysan de Jules Vallès :
Il évoque l’oncle bouvier dans L’Enfant : « Le mari de tata Mariou, lui, est bien un bouvier ! Un beau laboureur blond, cinq pieds sept pouces, pas de barbe, mais des poils qui luisent sur son cou, un cou rond, gras, doré; il a la peau couleur de paille, avec des yeux comme des bleuets et des lèvres comme des coquelicots; il a toujours la chemise entrouverte, un gilet jaune et son chapeau à chenille tricolore ne le quitte jamais.  »
Vallès magnifie le travail des paysans et les fêtes. Il ne retient que l’ambiance festive pour les enfants, des lessives et n’évoque pas le travail des femmes. La fête votive, le reinage est marquée par l’abondance des mets solides (riz au sucre, pain) et par une apparence d’égalité mais la description laisse voir la hiérarchie réelle de la société paysanne ainsi que l’existence de pauvres hères.

Un monde ouvrier restreint aux compagnons et magnifié :
La description de l’oncle Joseph et de ses amis ressemble à une image d’Épinal du compagnonnage : le chef d’œuvre, la canne avec ses rubans, le faux col et les pendants d’oreille, le tour de France… Le monde des artisans qui n’est pas celui de la majorité des ouvriers est exalté : « Ils me donnaient l’envie d’être ouvrier et de vivre cette bonne vie où l’on n’avait peur ni de sa mère ni des riches, où l’on n’avait qu’à se lever de grand matin pour chanter et taper tout le jour ».

Le monde de l’Église : une promotion sociale limitée, une vision stéréotypée :
Trois personnages de L’Enfant font partie du clergé ou gravitent sur ses marges. Le père était destiné à devenir prêtre. La grand-tante est béate. « Maman, qu’est-ce que ça veut dire une béate ?
Ma mère recherche une définition et n’en trouve pas; elle parle de consécration à la Vierge, de vœux d’innocence.
L’innocence. Ma grand-tante Agnès représente l’innocence ?
C’est fait comme cela l’innocence ? »
La difficulté de la mère de Jacques à répondre souligne le flou du statut des femmes de cette institution particulière à l’évêché du Puy. Jacques fait apparaître leur vie modeste : un logement sombre où quatre femmes cohabitent, une nourriture frugale, raves et parfois un œuf. Le seul aspect du travail évoqué est celui de la dentelle. Rien n’est dit de leur rôle enseignant ou social mais il faut dire qu’il s’agit ici  de vieilles femmes. Si la grand-tante béate et ses amies sont décrites d’une façon précise, plutôt moqueuse mais assez distanciée, Vallès suggère à travers la cousine Marianne, la tristesse de la vie conventuelle. L’Église semble donc pour les femmes un refuge contre la dureté de la vie et surtout du célibat. Pour les hommes, l’entrée dans le clergé ouvre une promotion sociale. « Mon père est fils d’un paysan qui a eu de l’orgueil et a voulu que son fils étudiât pour être prêtre.On a mis ce fils chez un oncle curé pour apprendre le latin, puis on l’a envoyé au séminaire », note Vallès.
Cette promotion reste limitée. Le grand-oncle curé exerce dans une paroisse reculée, Chaudeyrolles. Il possède une bibliothèque mais il mène une vie de paysan auto-subsistant. Il possède un cheval pour faire ses tournées, une vache et un vivier.
Le regard de Vallès porte sur les prêtres dans leur diversité. Il oppose son grand-oncle, image du « bon curé de campagne » à ses collègues, stéréotypes du curé glouton et sale et du traître de comédie : « Mon oncle attend les curés du voisinage pour la conférence. Ils viennent. Je les entends à table qui disent du mal du vicaire de Saint-Parlier, le curé de Solignac; ils ne paraissent pas plus penser au bon Dieu qu’à l’an quarante. Un gros, qui a l’air ivrogne, fait sauter les boutons de sa robe crasseuse tâchée de vin et dérange son rabat jaune de café. Un maigre, à tête de serpent, ne boit que de l’eau; mais il jette de côté et d’autre des regards qui me font peur. »

Un monde enseignant rejeté :
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Vallès décrit un monde de l’enseignement fortement hiérarchisé. Les pions sont particulièrement maltraités, pauvres et méprisés. Dans Le Bachelier, il dit la souffrance de son père : « C’est là-dedans que mon père était maître d’école à vingt-deux ans, marié, déjà père de Jacques Vingras. C’est là qu’il fut humilié pendant des années; c’est là que je l’ai vu essuyer en cachette des larmes de honte quand le proviseur lui parlait comme à un chien. » Les enseignants sont dédaignés, surveillés et soumis au poids des notables et des riches. Dans une scène terrible, le père est montré rossant son fils pour éviter de punir son voisin farceur, un gosse de riche.
Le dédain dans lequel sont tenus les professeurs s’exprime avec cruauté lorsque Vallès montre un directeur qui préfère se séparer d’un professeur en conflit avec un domestique plutôt que du domestique et lui donne en plus un mauvais rapport.
La pauvreté rend en fait ces professeurs très vulnérables.
« - Mon père, qui n’est pas domestique, ménage avec des frissonnements qui me font mal, un pantalon de casimir noir, qui a avalé déjà six écheveaux de fil, tué vingt aiguilles, mais qui reste grêlé, fragile et mou. A peine il peut se baisser, à peine pourra-t-il saluer demain.
S’il ne salue pas, celui-ci… celui-là… Il y a à donner des coups de chapeau à tout le monde, au proviseur, au censeur, s’il ne salue pas en faisant des grâces, dont le derrière du pantalon ne veut pas, mais alors, on l’appelle chez le proviseur ! Et il faudra s’expliquer ! Pas comme un domestique, non ! – comme un professeur. Il faudra qu’il demande pardon. On en parle, on en rit, les élèves se moquent, les collègues aussi. »
Vallès décrit un groupe social caractérisé par une gêne qui devient précarité lors des accidents se la vie. Ainsi, la mère dont le mari est mort trop jeune pour qu’elle ait une pension ne dispose que d’une maigre allocation et c’est son fils qui lui permet de vivre décemment en lui abandonnant la rente que ses parents lui avaient faite lorsqu’il avait hérité d’une voisine.
Ce monde vit chichement mais rêve de se distinguer de la paysannerie dont il provient : « Ma mère veut que son Jacques soit un Monsieur. Lui a-t-elle fait des redingotes avec olives, acheté un tuyau de poêle, mis des sous-pieds, pour qu’il retombe dans le fumier, retourne à l’écurie mettre des sabots ! » On affame et maltraite les parentes de la campagne qui servent de bonne ou ou domestique quand il peut y en avoir :
 » La pauvre fille ne peut plus y tenir. On la nourrit bien, cependant. Ma mère lui donne tout ce dont nous n’avons pas voulu. Ce n’est pas moi qui lui épargnerai le manger à une bonne !
Et elle met sur un rebord d’assiette les nerfs, la peau, le suif cuit. C’est bon pour le tempérament, ces choses-là. Et les boulettes froides, voilà qui fortifie ! »
On est particulièrement cruel avec les enfants sur lesquels les parents se vengent des difficultés et des humiliations de leur condition.

III. La société vellave sous les regards croisés des écrivains-voyageurs et de l’écrivain autochtone :
Une région pauvre et enclavée :
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George Sand observe : « des lattes qui se croisent aux solives pendent des saucisses, des vieux souliers, des pains de graisse de porc, d’énorme morceaux de lard rance… » Cette vision est corroborée par Jules Vallès. Le jour du reinage est marqué par une exceptionnelle abondance mais que consomme-on ? « Le plus pauvre a son litre de vin et sa terrine de riz sucré »… On a du lard et du pain blanc, du pain blanc ! » s’extasie le petit Jacques ! Vallès note le caractère exceptionnel du pain blanc dans des campagnes. L’ordinaire, c’est la soupe, telle celle avec du  riz et des pommes de terre servie par le paysan aisé.
Cette société a ses miséreux comme Jean le maigre ou le pauvre vieux ménage d’Espaly et ses exclus, fils de criminels ou anciens criminels au ban de la société.
Les écrivains-voyageurs mentionnent la difficulté à voyager liée au relief et à l’absence de chemins bien tracés et à la difficulté de se guider convenablement, au caractère approximatif des guides. Sand évoque les monuments mal placés, voire même imaginaires ! La description du voyage du petit Jules Vallès de Saint-Etienne à Chaudeyrolles corrobore les remarques de nos voyageurs. L’absence de vrais chemins et les difficultés à se faire guider sont une caractéristique des zones de montagne.  Stevenson attribue ce problème à la rudesse et au mauvais vouloir des paysans. George Sand la relie à l’ignorance géographique des montagnards : la paysanne décrite dans Le marquis de Villemer appelle toutes les rivières « de l’eau », son mari ne connaît pas le nom du Mézenc pourtant tout proche.

Région enclavée, la Haute-Loire est aussi une région marquée par la ruralité :
Sand note le samedi 11 juin l’importance des foires aux bestiaux au Puy et le rôle de lieu d’échanges de la ville.
Elle domine chez Vallès où la ville est pénétrée par le monde paysan. Les places (Le Plot, Le Martouret), lieux de marchés et d’échanges sont des lieux centraux de la ville. La petite bourgeoisie qui se développe émerge du monde rural auquel elle est fortement liée. L’industrialisation n’a pas touché la région. Les ouvriers décrits par Vallès sont des compagnons. Les dentelières sont dans un domaine traditionnel de travail à domicile ou sous la forme quasi-médiévale. La ruralité diverge : elle apparaît plutôt opulente chez Vallès, assez misérable et arriérée pour les écrivains-voyageurs qui déplorent la saleté des auberges. Mérimée écrit en juillet 1837 : « Le pays que je vois est magnifique mais c’est la seule satisfaction que j’en aie. La saleté des auberges, les puces, les punaises et les ennuyeux que je suis tenu de voir, compensent amplement les jouissances pittoresques. » Il condamne la persistance d’habitudes condamnées par la soif d’hygiène d’alors : « Si le plus admirable paysage du monde vous tente, si vous n’avez pas peur des cheveux dans la soupe, surtout si vous avez pitié d’un malheureux qui a le spleen; venez herboriser avec moi. » Sand oppose ces paysans à ceux du Puy-de-Dôme qu’elle connaît et qui acceptent une certaine modernisation.
Nos écrivains décrivent tous des mœurs fort rudes. Ils l’expliquent par la dureté des mœurs.

La prégnance de la religion :
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Elle est mise en relief sur la vie quotidienne chez Sand et Vallès qui montrent une société dominée par une religion omniprésente. « On mange entre deux prières. C’est l’once Jean qui dit le Bénédicité . Tout le monde se tient debout, tête nue, et se rassoit en disant « Amen ! » Amen ! est le mot que j’ai entendu le plus souvent quand j’étais petit. Amen ! et le bruit des cuillers de bois commence; un bruit mou, tout bête. » La prégnance de la religion se traduit don d’abord par l’observance des rites : on se signe à tout bout de champs, on dit le bénédicité avant les repas, on observe le jeûne des quatre temps. » Elle est matérialisée dans le paysage par les croix de mission et caractérisée par la force d’un culte marial dont nos auteurs dénoncent ou se moquent du caractère superstitieux : « Je dépêchai mon goûter et résistai au désir de l’aubergiste qui m’incitait vivement à visiter Notre-Dame de Pradelles » qui accomplissait beaucoup miracles, bien qu’elle fût en bois. »

Cette prégnance se caractérise aussi par la présence de nombreux prêtres, religieux et religieuses qui entretiennent une surveillance sur la population et en particulier des femmes dont les mœurs sont étroitement contrôlés. La faiblesse du nombre de protestants en Haute-Loire n’empêche pas a vindicte de l’Église de continuer à les poursuivre.
Toutefois, cette prégnance s’affaiblit quand on s’éloigne du Puy.

Des éléments d’évolution :
Sand et Vallès notent l’émergence d’un groupe de paysans aisés. Pour ce qui est de leur enrichissement. A l’origine, la possession de vaches et la vente des produits laitiers par les femmes, un travail acharné et des revenus d’appoint : dentelle, office de facteur rural.
L’évolution est moins nette quant à l’alphabétisation. Les paysans parlent en langue d’oc entre eux (patois), ils semblent être nombreux à bien parler le français même si c’est avec un gros accent. Si la famille de Vallès à Farreyroles est selon lui illettrée , Stevenson et Sand  font état de femmes qui savent lire et c’est le cas de toutes les filles des Estables. La femme de l’aubergiste du Bouchet-Saint-Nicolas décrite par Stevenson sait lire et fait preuve d’une grande capacité de compréhension concernant le contenu du futur livre du voyageur. On peut voir là le résultat de l’enseignement des béates.

Conclusion :
Une société très rurale est dépeinte, y compris dans les villes. La petite bourgeoisie issue du monde paysan vivote dans l’enseignement et les notables sont issus des professions libérales (notaire, médecin) ou du monde culturel. Fabriquants et marchands sont ignorés de cette peinture de la société vellave. Mais quelques images d’évolution apparaissent sous la plume de ces écrivains : les routes puis le chemin de fer commencent à ouvrir ce monde enclavé, la société paysanne se diversifie lentement et une vie politique ardente anime des petites villes comme Le Monastier.

Juillet 2016

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