Dans le numéro 1 de 2010 d’Histoire sociale Haute-Loire, René Dupuy écrit un, article sur la Révolution française vue par un curé de campagne qui officiait à Saint-Privat et Saint-Didier-d’Allier. Le travail de ce curé, historien amateur, est révélateur des mentalités d’une partie de la population, donc de nos ancêtres, et de la conception qui animait le rédacteur du texte.
Cet ouvrage d’histoire locale écrit en 1926, s’appelle Monographie de la paroisse de Saint-Privat-d’Allier et notes historiques sur Saint-Didier-d’Allier et Le Vernet ; il est édité en 1928. Son auteur, l’abbé Adolphe Jammes est membre de la Société académique du Puy-en-Velay. Né en 1865, originaire de cette commune, au hameau de Varenne, il est alors curé de la paroisse voisine du Vernet ; il a également été curé de Saint-Didier-d’Allier (de 1905 à 1908). Il est décédé au Puy en 1931.
Son ouvrage s’inscrit dans la lignée des monographies écrites à cette époque par des érudits locaux, souvent religieux, soucieux de faire connaître le fruit de leurs recherches sur leur petite patrie de cœur, leur commune, leur paroisse. En homme cultivé qu’il est, appartenant à une vieille famille de notables du village, il a pu avoir accès à de nombreux documents familiaux, à des archives de l’église, de la mairie, aux archives départementales… Bon connaisseur des institutions de la France médiévale et de l’Ancien Régime, désireux de faire œuvre didactique, il s’est attaché à replacer les événements locaux dans le contexte général de l’histoire de France. Quant à sa méthode, il s’en explique dans sa préface : « Pour tout ce que nous avons écrit, nous sommes allés aux sources, tout ce que nous évoquons est étayé sur des pièces authentiques » ; sa recherche repose en effet sur une importante documentation. Néanmoins, il ne s’interdit pas de donner son opinion personnelle, particulièrement sur les événements passés qui l’ont choqué.
La première et la seconde partie contrastent. La première, après une description de la paroisse, traite essentiellement de son histoire dans les périodes anciennes, particulièrement le Moyen-âge et l’Ancien Régime. La deuxième partie aborde l’histoire de la paroisse « pendant la Révolution jusqu’à nos jours ». Le positionnement de l’auteur change car l’abbé Jammes s’implique personnellement beaucoup, n’hésitant pas à donner son opinion personnelle parfois de façon véhémente. Citons un exemple : « 1789 passe auprès beaucoup de gens honnêtes pour l’aurore de la liberté, pour une époque sans tâche de rénovation sociale. C’est un mensonge historique qui a exercé une influence funeste sur les destinées de la France. » Manifestement, cette époque qui fut difficile pour l’Église de France et son clergé, a marqué l’abbé Jammes. La profonde blessure infligée par les événements tragiques de la Révolution française est toujours présente et elle est ravivée plus d’un siècle après par d’autres événements comme la loi de Séparation de l’Église et de L’État de 1905 et les inventaires des biens de l’Église qui en sont issus.
Cette étude fera une large place aux propos de l’abbé Jammes pour tenter de cerner sa vision de la Révolution française : quelles en sont les causes ? Comment sont perçus les différents acteurs ? Comment l’Église catholique et son clergé se sont-ils comportés ? En quoi les événements plus récents, notamment les inventaires de 1906 sont-ils le prolongement de la politique antireligieuse et anticléricale de l’État ?
Sa vision de la Révolution française est globalement très négative même s’il reconnaît que certaines réformes aient pu être positives : « Tout se transforme donc dans ce pays à partir de cette date de 1789. Plusieurs de ces réformes qui ont eu lieu sont bonnes ; elles étaient même désirables ; mais malheureusement l’esprit du mal souffle partout, et alors ce sont quelques années de trouble, quelques années horribles, où succombent dans la tourmente bien des vies innocentes. »
Quelles sont pour lui les causes de la Révolution ?
Sa présentation sur les évènements qui se sont produits dans les paroisses de Saint-Privat-d’Allier et Saint-Didier-d’Allier est précédée d’un court résumé sur les causes principales de la Révolution de 1789. Il réfute d’abord la croyance selon laquelle elle trouverait sa cause profonde dans les injustices de la société féodale : « Il est indispensable de rétablir la vérité. Aucun temps n’est moins connu que celui qui précède 1789 ; le peu que l’on croit savoir n’est que préjugé. Les coutumes païennes et barbares lentement et difficilement réformées, les institutions de Moyen-âge tombées en désuétude ainsi que maint absurde calomnie de l’ignorance et de la malice, sont confondues dans la notion que nous nous sommes faites de l’Ancien Régime… Ce qui restait en 1789 des droits féodaux est difficile à résumer. La plupart avant d’être abolis, étaient tombés en désuétude, et de ces droits odieux qu’on attribue à cet Ancien Régime, il y en a dont on ne trouve aucune trace, si loin qu’on remonte. En réalité, sauf les redevances, ils avaient presque complètement disparu.» Par exemple, « le servage n’existait plus depuis le XIIème siècle. » L’auteur administre une volée de bois vert à Ernest Lavisse et par ricochet à l’école publique lorsqu’il affirme « dans un livre d’histoire élémentaire qu’on met entre les mains des enfants de l’école laïque avant 1789, les paysans n’étaient que des esclaves qui travaillaient la terre à la sueur de leur front ; puis le maître (le seigneur) revenait et récoltait les fruits ». Et d’ajouter « ce mensonge historique ne se conçoit pas de la part d’un académicien ».
Parmi les « absurdes calomnies », l’auteur évoque deux exemples de droits féodaux : le droit de cuissage que par pudeur il ne nomme pas, qui est « une plaisanterie de fort mauvais goût et qui a réussi par l’absurde » et le « droit de grenouillage » qui aurait obligé « les paysans à passer les nuits de printemps à battre les étangs pour empêcher les grenouilles de coasser et de troubler le sommeil du seigneur ». Et d’ajouter avec bon sens : « C’eut été difficile aux seigneurs de Saint-Privat, Rochegude et Mercœur car on ne voit pas bien où pouvaient être leurs étangs ».
L’abbé Jammes n’ignore pas les causes structurelles de la Révolution comme les « embarras financiers » de la monarchie, ni la conjoncture défavorable qui l’a précipitée : les mauvaises récoltes de 1788 et le « cruel hiver » qui succéda et qui «augmenta encore la misère publique ». Mais pour lui, la cause principale de la Révolution est « la décadence morale » de certaines élites au XVIIIème siècle, qui a corrompu une partie de la société. « La noblesse s’était éloignée des camps et de la province, elle avait perdu son légitime ascendant, elle était devenue libertine et libre penseuse, de même il y avait aussi des abus à réprimer chez certains membres du clergé, mais le corps entier ne devait pas répondre de quelques membres dignes de blâmes. » Le véritable responsable de cet avilissement des mœurs était « la philosophie et la franc-maçonnerie du XVIIIème, qui avaient travaillé les esprits d’une partie de la nation en qui on avait effacé l’idée d’un Dieu vengeur du vice et rémunérateur de la vertu. Elles avaient arraché de son cœur et de sa conscience le devoir de l’obéissance et de la soumission ; elles avaient inspiré la haine contre les riches, ce que nous voyons actuellement. En un mot, elles avaient démoralisé une partie du peuple en ne lui laissant pour toute règle que l’instinct de l’intérêt particulier. » Dans cette atmosphère, « l’irréligion et la passion », les difficultés conjoncturelles furent « exploitées par la malveillance et par suppôts de l’anarchie, en sorte que le mécontentement et l’agitation étaient partout. »
Les événements nationaux et locaux des débuts de la Révolution 1789-1790 sont évoqués sans passion de la part de l’auteur qui considère que « toutes les réformes de l’Assemblée au point de vue civil, judiciaire et financier avaient du bon, elles réprimaient bien des abus. »
La déclaration des Droits de l’homme et du citoyen n’est pas mentionnée. Par contre, les réformes religieuses sont « des actes de l’Assemblée contre l’Église, (quand) la Constituante eut l’idée funeste de vouloir, sans le consentement du pape, réorganiser la constitution ecclésiastique en France ».
Rappelons-en les principales dispositions : les biens du clergé sont confisqués et déclarés biens nationaux en attendant leur vente, les vœux monastiques sont interdits et les congrégations religieuses dissoutes, car la Constitution civile du clergé, l’Église de France est organisée selon les mêmes modalités que les autres services administratifs et judiciaires : les diocèses sont ramenés de 130 à 83 pour coïncider avec les départements, curés et évêques sont élus et salariés de L’État, ils sont soumis au serment de fidélité à la Constitution.
L’abbé Jammes dénonce durement « la spoliation de l’Église et l’empiètement sur toute la ligne sur une partie essentielle de la puissance ecclésiastique ». La Constitution civile du clergé est qualifiée d’ « acte impie… remplie d’innovations sacrilèges… elle révolta la conscience» du roi Louis XVI, qui « finit cependant par l’accepter par faiblesse ». La nationalisation des biens de l’Église s’accompagne d’un inventaire du mobilier des églises. « En édifiant sa nouvelle église, l’Assemblée nationale ne se lassait pas de dépouiller l’ancienne. Déjà tous les biens ecclésiastiques, les biens meubles des maisons et chapelles religieuses étaient à sa disposition ; l’argenterie et le mobilier des églises et des sacristies tentèrent encore son insatiable cupidité. » Cet épisode de la Révolution réveille chez l’auteur une blessure plus récente et toujours à vif : les inventaires décidés en 1906 suite à la loi de Séparation de l’Église et de l’État et la résistance acharnée qu’ils ont suscités : « ce qui s’était fait en 1791, avec la résistance en moins. » Plus loin, l’abbé évoque la résistance des habitants de Saint-Privat-d’Allier et de Saint-Didier-d’Allier aux inventaires de 1906 : « Nous valons mieux que nos pères puisque tous, nous nous sommes levés comme un seul homme en 1906 pour garder la porte de notre église ».
Ses flèches les plus acérées, il les réserve aux religieux assermentés, « les intrus ». Voici ce qu’il écrit du curé Besson, ordonné par Delcher, l’évêque intrus (constitutionnel) de la Haute-Loire et nommé curé de la paroisse de Saint-Didier-d’Allier. « Sa réception ne dut pas être brillante. En tout cas, son ministère fut nul. Cet homme, dit-on n’était pas méchant, mais il avait l’âme basse et le cœur corrompu.
Il aimait les orgies et profanait sa demeure, la sainte maison du pieux prêtre Marcé*, par les réunions les plus scandaleuses et les excès les plus ignobles. Il ne connaissait plus ni abstinences ni jeûnes, pas même le jeûne eucharistique. D’abord proclamé par les républicains, il devint pour eux un objet de répulsion et ils l’insultèrent à maintes reprises. Les femmes le poursuivaient de leurs sarcasmes, lui lançaient des immondices par les fenêtres lorsqu’il se hasardait das les rues et le traquaient de toutes les manières. » Aucune source n’étant donné, il y a lieu à penser que le portrait à charge de l’intrus est l’envers de la « légende dorée » du « pieux prêtre Marcé », martyre de la Révolution et dont l’abbé Jammes a écrit l’hagiographie dans cet ouvrage.
Une question de l’abbé Jammes reste sous-jacente : la population a-t-elle adhéré aux idées révolutionnaires et a-t-elle participé à ses excès ? Nous avons vu, à propos du sort réservé au curé intrus de Saint-Privat, qu’en matière religieuse, la fidélité aux pratiques anciennes et aux religieux qui ont refusé de se rallier à la politique antireligieuse, semble dominante. Voici ce qu’il écrit : « car s’il y eut dans notre pays des hommes tarés (sic) et des hommes de désordre, des révolutionnaires enfin, nous constatons que la population voyait d’un mauvais œil ce qui se passait et gémissait en silence ».
Au manque de résistance des paroissiens aux inventaires de 1792, je curé Jammes ne trouve qu’une explication : « Il faut que la population soit vraiment terrorisée par la minorité qui gouverne pour qu’elle se laisse faire. » Pour preuve du manque d’adhésion de la population à la Révolution, surtout à la phase de la Terreur, il note son peu d’empressement à participer aux fêtes révolutionnaires : « On affluait aux assemblées chrétiennes, tandis que les fêtes décadaires n’inspiraient que le mépris et l’horreur. »
Par-delà l’histoire de la Révolution, de ses excès ridicules ou sanguinaires, l’auteur cherche à atteindre et à discréditer le système politique de son temps : la République. Il montre que les pratiques religieuses contemporaines sont en continuation de celles initiées par la Révolution. On l’a vu pour la loi de Séparation de l’Église et de l’État (1905) et les Inventaires perçus comme la poursuite de la politique de spoliation de l’Église.
Sa prose prend des accents guerriers lorsqu’il évoque ces événements auxquels il a participé en tant que curé de la paroisse de Saint-Didier-d’Allier et il n’épargne pas les catholiques ralliés à la République : « Il est utile de perpétuer dans les familles le souvenir de ces jours de glorieuse résistance de nos compatriotes aux cambrioleurs d’églises… Les adversaires masqués de l’Église et les catholiques aussi, de ceux qui saisissent toutes les occasions de se singulariser et de pactiser avec l’ennemi pour bien établir qu’ils se sont libérés de tous les préjugés et qu’ils ont toutes les indépendances jusqu’à celle d’être sot et lâche, les adversaires de l’Église, dis-je, et ces tristes catholiques, se perdirent en lamentations et en sophismes… En 1906, ce ne sont pas précisément les chandeliers et autres objets ordinaires du culte que l’on visait. Ce sont les titres de propriétés, les titres de rentes de fondations pieuses que l’on cherchait. »
Il en va de même dans le domaine de la politique financière de l’État : « L’histoire de la Convention et du Directoire, n’est-ce pas l’histoire de nos jours ? On voit dans quel cercle vicieux on tournait : les assignats, en se multipliant, faisaient baisser tous les prix, en montant, acculaient à de nouvelles multiplications des assignats. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui… Un fois lancé dans l’inflation, on ne sait davantage s’arrêter. Il est commode de faire marcher la planche des assignats et des billets de banque. »
Sa condamnation du régime républicain porte aussi sur un des axes majeurs de la politique conduite sous la IIIème république, notamment par les lois Jules Ferry : la généralisation de l’instruction primaire pour tous, l’instauration d’une école laïque et gratuite. La condamnation, sous la Révolution, de Jean-Louis Michel, instituteur à Saint-Privat-d’Allier, « un des plus ardents révolutionnaires du pays… impie et scandaleux dans sa conduite, il cherchait à inculquer aux enfants ses idées d’irréligion et d’immoralité » renvoie aux blâmes qu’il inflige aux maîtres d’école laïque de son temps, non sans une dose de mauvaise foi. Dans la partie où il traite des écoles, il note que l’école des frères créée en 1841, « a fait un bien immense au pays ; c’est grâce à elle que l’esprit religieux s’est maintenu à un niveau assez élevé. Nous ne jetterons pas la pierre aux maîtres d’école (école laïque), ils ont toujours respecté la neutralité dans leur enseignement ; mais n’est-il pas à craindre que, la concurrence cessant, ces messieurs, un jour ou l’autre, ne tiennent une autre conduite ? Admis même qu’ils restent toujours corrects dans leur enseignement, nous serons loin d’être osés en avançant que la neutralité scolaire est un leurre. Elle n’est jamais observée complètement… La neutralité scolaire est un enseignement pratique d’athéisme, par omission totale de tout ce qui peut rappeler ou suggérer l’idée de Dieu, il est un perpétuel mensonge… Ainsi se justifie, pour qui raisonne sans fanatisme, la liberté de l’enseignement privé. » En fustigeant les excès révolutionnaires, c’est en fait à la politique de la IIIème république qu’il s’attaque, surtout à sa politique visant à instaurer un État laïc, accessoirement à sa politique financière.
Ce curé de campagne féru d’histoire, maniant la plume avec aisance, exprime sa haine des bouleversements apportés par la Révolution française. Il traduit son refus de l’époque dans laquelle il vit et sa nostalgie des temps anciens où la religion catholique fournissait le cadre de la compréhension du monde. L’Église toute puissante occupait alors une place éminente au sein de la société et de l’État. En plein XXème siècle, cet homme instruit, mais au seuil de sa vieillesse, qui ne manque pas de finesse, a une lecture théologique du monde ; par exemple, voici ce qu’il note à propos de la défaite de Napoléon 1er : « Il s’était attaqué au représentant de J.C. sur terre (allusion au conflit avec le pape), Dieu le rejette. » Il refuse la perte de la puissance de l’Église et il n’accepte pas la sécularisation de la société de l’État qui en est résulté. Son positionnement est, au sens propre du terme, réactionnaire.
Au terme de cette étude se pose la question de l’influence de cette conception de l’histoire sur l’ensemble de la population. L’interprétation des événements historiques et la perception de la société qui s’expriment dans cette monographie sont-elles propres à leur auteur ou sont-elles représentatives d’une idéologie largement répandue dans le clergé et chez les catholiques dans les années 1920 ? Quelle influence un curé de campagne comme l’abbé Jammes qui est en charge du magistère des consciences de ses paroissiens a-t-il réellement ? Cette monographie s’inscrit-elle dans une campagne de l’Église visant à enseigner aux fidèles les « bonnes » leçons de l’histoire de France ?
La lecture que nous pouvons faire aujourd’hui d‘ouvrages tels que celui-ci, plus de quatre-vingt ans après son écriture, nous expose au risque d’anachronisme, tant le cadre idéologique de notre époque est différent. A l’époque où l’abbé Jammes écrit sa monographie, nous pouvons évoquer l’état d’esprit d’une partie du clergé. Après des années très difficiles pour l’Eglise de France lorsqu’elle a dû faire face à la politique anticléricale du bloc des gauches (1902-1906) qui a conduit à la saisie d’une grande partie de ses biens et à l’interdiction d’enseigner pour les congrégations, l’heure est à la reconquête des positions perdues. Dans le diocèse du Puy-en-Velay, sous la houlette de l’évêque de forte personnalité, Thomas-François Boutry, evêque de 1907 à 1925, l’Église réussit à rétablir les bases matérielles de la vie du clergé, à reconquérir, et même au-delà, sa place dans l’enseignement et à réveiller l’esprit congréganiste. Après le traumatisme de la guerre de 1914-1918, une partie du clergé et des fidèles aspirent à l’apaisement mais une partie reste violemment hostile à la République et ceux qui l’incarnent : les partis politiques, l’école publique et ses instituteurs… Ils appartiennent à ce que l’historien René Reymond a qualifié de « droite légitimiste », pour qui la modernité est facteur de désordre social. Ces nostalgiques de l’Ancien Régime s’abreuvent aux écrits de Charles Mauras qui exprime dans son journal l’Action française, son hostilité à la révolution de 1789, à la démocratie et sa haine de la « Gueuse » (la République). Au plan local, cette idéologie est diffusée par un journal comme L’avenir de la Haute-Loire qui a édité et imprimé l’ouvrage de l’abbé Jammes, dans lequel écrivent deux journalistes à fortes personnalités, royalistes maurassiens, Joseph Malzieu et Victor-Baptiste Chardonnal.
Plusieurs études ont montré la vigueur et la permanence des liens entre politique et religion en Haute-Loire où les clivages politiques se sont déterminés en grande partie à l’époque révolutionnaire. La mobilisation contre-révolutionnaire, réactivée au XXème siècle par la loi de Séparation de l’Église et de l’État et les Inventaires (1905-1906) a creusé un fossé entre d’un côté, les nostalgies de l’ordre ancien dans lequel l’Église catholique et son clergé occupaient une place éminente et de l’autre, les républicains, attachés aux principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, tenants d’une société laïque. La monographie de l’abbé Jammes est une pièce supplémentaire à verser au dossier de la lutte, si virulente en Haute-Loire, entre « catholiques » et « laïcs », « blancs » contre « rouges » opposant deux systèmes de pensée, deux conceptions du monde, deux cultures.
*Marcé : L’abbé Jacques Marcé est curé de la paroisse de Saint-Privat quand éclate la Révolution. Son histoire dramatique et édifiante est relayée dans cette monographie hagiographique, qui dresse le portrait magnifié d’un martyre victime du fanatisme révolutionnaire. Favorable aux premières réformes de 1789-1790, le curé Marcé préside l’assemblée et organise l’élection de la première municipalité le 8 février 1790 ; il est élu « d’une voix presque unanime » maire de la commune. Très vite ses fonctions municipales et religieuses apparaissent incompatibles et la politique antireligieuse de l’Assemblée le conduit à donner sa démission le 14 septembre 1790. Ayant refusé de prêter serment, il dut quitter ses fonctions et alla se réfugier à Langogne d’où il était originaire, au moment de la Terreur. Il revient à la tête de sa paroisse de Saint-Privat-d’Allier en 1795, mais l’assassinat de Jean-Louis Michel, instituteur favorable à la Révolution, va entraîner l’arrestation du curé Marcé. Emprisonné au Puy, il est condamné à la déportation ; il meurt en mer, au cours du voyage pour la Nouvelle-Calédonie. Le récit de son calvaire et de sa mort est rapporté dans une lettre qu’aurait écrite un de ses compagnons d’infortune à son retour de la déportation.
Aout 2016