Quand la pierre des fièvres fut brisée en trois morceaux

Le Puy-en-Velay - Pierre des Fièvres, dans la cathédrale (© J.E)
Au commencement était la pierre. De cette pierre naquit l’histoire du Puy, les siècles du christianisme avec l’avènement de la cathédrale.  Quelle malédiction s’est donc abattue sur cette dalle surgie du fond des siècles pour la retrouver un beau jour en trois morceaux ? L’émotion fut vive, en ce jeudi 8 juin 1995, quand la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre.
Les grands travaux de préservation de la cathédrale touchaient à leur fin, la pierre sacrée devait être une nouvelle fois déplacée. D’une part, pour permettre de retrouver la disposition primitive de l’escalier qui pénétrait directement dans la cathédrale. D’autre part, pour être réinstallée dans le chœur même où elle fut à l’origine.
Ce matin-là, après de longs mois de chantier, les ouvriers de l’entreprise de restauration Vialet avaient fort à faire pour transférer la dalle séculaire. Jean Grimaud, ancien journaliste à l’Éveil de la Haute-Loire, s’en souvient encore : « On l’avait donc transportée, depuis quelques semaines, au cloître, elle devait être déplacée une seconde fois jusque dans le chœur ».

« Allô… on a cassé la pierre des fièvres »
Lorsqu’un informateur l’appela, son sang ne fit qu’un tour : « C’était sur le coup de midi, je reçois à la rédaction un coup de téléphone anonyme : « On a cassé la pierre des fièvres », me dit-on au bout du fil. Je n’en croyais pas mes oreilles. J’ai vite accouru : la pierre était effectivement en trois morceaux. J’avais un scoop pour le journal du soir ».
Intrigué par son aspect, le journaliste écouta son audace et voulut la transporter : « Aussi curieux que cela puisse paraître, elle ne m’a pas paru lourde. J’imaginais un bloc massif. Absolument pas, j’ai réussi à rassembler un des trois fragments sur une brouette afin de bien identifier les dégâts pour la photo ».
« Nous l’avions posée sur un plateau en bois pour la transporter, en sous-estimant sans doute son poids et sa faible épaisseur. Au premier fléchissement, elle céda sous son point faible », relate ou ouvrier témoin des faits souhaitant garder l’anonymat. C’est certainement une coïncidence mais l’entreprise connut un mauvais sort quelques années plus tard.
Voilà la légende qui en prit un sacré coup. Un mémorial représentant tant de siècles humains réduit à un vulgaire tas de pierres !
« Après la brisure, on s’aperçut effectivement qu’il s’agissait d’une pierre en phonolite, très feuilletée, dont le dessus très patiné ne permettait pas de rendre compte de la texture, bien visible sur la cassure », ajoutait le journaliste encore médusé. La pierre fut minutieusement « réparée », avec tous les soins qui s’imposaient. De légères traces de brisures sont encore visibles de nos jours.
Pendant longtemps, les Amis du sanctuaire du Puy n’eurent de cesse de parler de sacrilège. La légende est formelle : c’est sur ce monument, à la fois païen et sacré, que la Vierge apparut au IVe siècle. Les malades ont pris alors l’habitude de s’étendre sur la dalle dans l’espoir d’une guérison. Certains autrefois y dormaient même toute une nuit. Les sacristains de la cathédrale racontent les scènes de cette coutume dont certains sont encore témoins aujourd’hui.

« N’est-ce pas un miracle que nous l’ayons encore ? »
« N’est-ce pas un miracle que nous l’ayons encore ? » s’interrogeait le chanoine Fayard dans La Vierge et le dolmen. Car l’histoire de la pierre est jalonnée de péripéties et de déplacements.
Aujourd’hui, la pierre est proche du chœur de l’actuelle cathédrale. Tel ne fut pas toujours le cas. Le grand spécialiste Auguste Faux raconte les changements successifs de l’emplacement au cours l’histoire jusqu’à ce jour où elle se fractura : « Au VIIIe siècle environ, le bloc, jugé encombrant dans l’intérieur du sanctuaire et près de l’autel, fut démonté et la table supérieure, seule conservée, fut déposée au ras du sol ». C’est alors que la coutume est née de s’y étendre. « Du sanctuaire, celle-ci fut plus tard, transportée dans le bas-côté méridional, près de l’endroit où est la statue de sainte Jeanne d’Arc ». Des auteurs tels Georges et Pierre Paul (Notre-Dame du Puy) évoquent les troubles causés par les agenouillements continuels des pèlerins.
Elle fut longtemps mise à l’écart, après la Révolution et posée en haut des grands escaliers, dans leur prolongement, côté entrée principale.
La pierre sacrée n’en était pas à sa première déconvenue. Peu après la cassure, les oiseaux de mauvais augure ne tardèrent pas à replonger dans son passé légendaire. Ne fut-elle pas déjà brisée en quatre au Moyen Age par la foudre vengeresse à la suite d’un acte d’adultère qui aurait souillé la dalle ?

Septembre 2016

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