Les potiers de terre de Vabres et d’Alleyras

Chaque année en juillet, depuis 1996, l’association « les Amis de la tour de Vabres » organise dans ce village une fête des potiers : exposition de poteries et de céramiques, démonstration de tour de potier, démonstration de cuisson…

Le programme varie chaque année et perpétue la mémoire d’un artisanat jadis prospère. L’association a assuré la conservation et la protection des derniers vestiges d’un four de potier à Pont d’Alleyras et envisage la création sur site d’un musée de la poterie pour commémorer cette activité emblématique du patrimoine local et recevoir en dépôt la collection des poteries de Vabres conservée au musée Crozatier du Puy-en-Velay.
Si la table bourgeoise à Saugues, Granrieu, Le Bouchet, Pradelles, Langogne ou dans les châteaux environnants se garnissait d’une vaisselle d’argent et d’une de terre produite notamment dans le haut val d’Allier, les villages de Vabres, Alleyras, Pont d’Alleyras, le mas de Gourlong comptèrent jusqu’à trente fours de potiers et produisirent jusqu’à 160 000 pièces par an; un tel volume de production dépassait largement les besoins locaux et alimentait un courant d’exportation.
Il est difficile d’évaluer le nombre exact de ces artisans qualifiés de « potiers de terre » ou de « fabricants de taraille »; en effet, un four pouvait sans doute être partagé entre plusieurs potiers et si pour certains c’était leur activité principale, pour d’autres c’était seulement une activité d’appoint pratiquée pendant la morte-saison, la plupart des potiers étaient aussi de petits propriétaires exploitants. Enfin un certain nombre de tâches étaient exécutées par les femmes.
C’est évidemment la réunion sur place de tous les ingrédients nécessaires à la poterie qui a permis l’essor de cette activité : une argile de bonne qualité facilement accessible, de l’eau, un combustible abondant : le bois, une main d’œuvre nombreuse et un réel savoir-faire. Les origines sont incertaines : pour certains, elles remonteraient à la période gallo-romaine et ils en veulent pour preuve la découverte de tuiles romaines, pour d’autres, elles ne serait apparue qu’à la fin du Moyen-Age. Il est seulement avéré que cette activité a connu un réel développement à la fin de l’Ancien Régime et au XIXème siècle.
Concurrencée par l’industrie mécanique de la faïence, elle a disparu dans le premier tiers du XXème. Parmi les derniers potiers, on cite Pierre Dufix, potier au Pont de Vabres jusqu’en 1935; c’était le dernier représentant d’une longue dynastie de potiers et l’un de ses descendants, Régis Vigouroux, a recueilli son témoignage et publié une étude dans l’Almanach de Brioude.
La poterie est une activité complexe qui suppose la maîtrise de nombreuses étapes : préparation de la matière première, modelage et tournage, coloration et vernissage, cuisson et vente.

Au début, il  y a la terre…
La matière première utilisée par les potiers provient du mélange, dans des proportions précises, de deux argiles : une glaise grise, dense et compacte, que l’on trouve plutôt dans la région de Vabres et une argile rouge, friable et légère, qui se situe essentiellement près d’Alleyras.
Les principaux gisements semblent affleurer des deux côtés de l’Allier à une cinquantaine de mètres au-dessus de la rivière.
Ce mélange permettait d’obtenir des poteries robustes, particulièrement résistantes au feu, ce qui assura leur réputation et leur succès.
L’extraction était manuelle : on creusait de larges puits de 2 à 3 mètres de diamètre, étayés par un boisage sommaire et c’est à la pioche et à la pelle que l’on ramenait l’argile à la surface; elle était ensuite acheminée par un tombereau jusqu’au village. Ulysse Rouchon relate : « Avant de quitter le pays pour aller exploiter un lot colonial en Afrique du nord, un certain Pascal eut l’idée de remplacer le système des puits par une galerie assez longue pour motiver la construction d’un wagonnet roulant sur rails de bois. Il était le fournisseur des potiers d’Alleyras et surtout de ceux du Pont-de-Vabres et du mas de Gourlong qui ne trouvaient pas la matière sur place« .
La matière première obtenue, il fallait la préparer : cela commençait par le foulage en sabots des deux sortes d’argiles progressivement mêlées; suivait le broyage qui s’effectuait manuellement à l’aide de barres et de pelles en bois que l’on battait en cadence sur la motte de terre; à la fin du XIXème siècle, cette opération était parfois effectuée à l’aide d’un cylindre de broyage actionné par une manivelle.
Tout au long de ces opérations, il fallait ajouter de l’eau pour maintenir la fluidité de la pâte; enfin, un pétrissage manuel achevait de lui donner une parfaite homogénéité.

Modelage et tournage
Lorsqu’il considérait que la terre ainsi préparée avait obtenu la consistance voulue, le potier la découpait en blocs, de taille proportionnelle à l’objet projeté, à l’aide d’une faucille ou d’un fil métallique. Le modelage se faisait au tour, « la roda ».
Selon le témoignage du dernier potier, Pierre Vigouroux, il s’agissait d’un tour archaïque mis au point à la fin du Moyen-Age, le tour à bâton. Celui-ci se composait de deux parties reliées par un axe : un support, la girelle, destinée à recevoir le bloc de terre, et une roue actionnée à l’aide d’un bâton et fonctionnant comme un volant d’inertie. Le potier avait à sa portée un baquet d’eau pour tremper ses mains et maintenir la fluidité de la poterie.
Le séchage était une étape essentielle qui s’effectuait en deux temps : le premier séchage immédiatement après le tournage et le second, avant le vernissage; les poteries ne supportant ni le gel ni la canicule, on préférait travailler au printemps ou en automne. Les poteries étaient mises à sécher, à l’ombre et à l’abri, le plus souvent dans l’atelier du potier.
Lorsque les poteries étaient suffisamment sèches pour être manipulées, les ouvrières – le plus souvent les femmes des potiers – fixaient les anses obtenues par modelage ou par moulage.
Rien de plus émouvant que ces écuelles dans les anses desquelles on devine la forme et la pression des doigts qui les ont modelées !

Coloration et vernissage
Les coloris étaient fabriqués sur place à partir de minerais finement broyés et filtrés pour obtenir un lait coloré; la gamme des couleurs était assez limitée : le blanc et surtout le rouge dominaient. Les décors étaient rares et la plupart des pièces étaient unies ou avec quelques dégradés de couleurs; cependant, selon Pierre Vigouroux, les femmes aimaient « fleurir » certaines pièces notamment les assiettes, les plats, les pots à eau… La couleur était nécessaire pour donner tout son éclat au vernis.
Le vernis, « la mina », était une poudre obtenue à partir du mélange de deux minerais : une sorte de quartz rouge que l’on trouvait sur place et un sulfure de plomb « l’alquifoux » importé de Marseille. D’abord broyés, concassés et mélangés à la main, les deux minerais sont ensuite moulus entre deux lourdes pierres; on montre encore dans la région la pierre taillée pour recevoir la meule d’un moulin qui assurait le broyage.
C’est alors qu’intervenait un deuxième séchage au soleil avant l’application du vernis qui devait se faire rapidement; c’était généralement les femmes qui, en groupes, effectuaient cette tâche.

La cuisson
Il semble y avoir eu plusieurs fours et de tailles différentes; certains étaient à l’intérieur de l’atelier du potier, d’autres à l’extérieur. Celui que décrit le potier Pierre Vigouroux est particulièrement monumental : « un cube de maçonnerie de cinq mètres de côté perforé en son milieu d’un puits. Celui que décrit Régis, cylindrique de cinq mètres de profondeur et deux de diamètre, bâti en pierres réfractaires jointes au mortier et tapissées de terre glaise. Au milieu du puits s’élevait une petite tour, l’ase, reliée à la paroi de l’âme du four par de longues pierres rayonnantes… L’espace entre ces sortes de travées était comblé mais incomplètement pour livrer passage à la flamme qui devait cuire la poterie.
Sur le sol du foyer s’ouvrait la bouche par où s’introduisait le combustible« .
Pour « enfourner » les poteries, il fallait deux hommes : l’un à l’intérieur du four, les disposaient avec équilibre et symétrie sur la sole, et les calait avec des tessons. Les poteries étaient placées à l’envers, les plus importantes en bas du four. Le combustible préparé à l’avance était constitué d’un ensemble de bûches et de branches choisies pour leur tenue au feu. La disposition des bûches à l’intérieur du foyer était organisée pour assurer une bonne répartition de la chaleur et donc une cuisson homogène.
La cuisson proprement dite, il fallait trois hommes : l’un en haut au niveau de la sole, surveillait la cuisson et donnait ses directives aux deux chauffeurs qui, en bas, entretenaient le feu jour et nuit et le modelaient pour obtenir la température désirée.
Une fournée comportait environ  dix à douze « charges »; la charge était un assortiment de poteries qui servait d’unité de compte pour la vente en gros. On distinguait la charge de pots et la charge de vaisselle; une charge comptait environ 40 à 60 pièces.
La fin de la cuisson était fêtée par un repas offert à tous ceux qui y avaient contribué.

La production et la vente
C’était une poterie du quotidien; les produits étaient nombreux, variés mais sans fioritures et essentiellement utilitaires; des pots de différentes capacités pour l’eau, la crème, le beurre; des écuelles , des assiettes, des plats, des chaufferettes, des enfumoirs à abeilles… On fabriquait également des tuiles, plutôt à Alleyras semble-t-il. Le Docteur Olivier, grand collectionneur d’art populaire local, possédait une série de poteries de Vabres/Alleyras dont le dessin réalisé dans les années 30 par Roger Boudry, a été publié par Régis Vigouroux. Une partie de la production était vendue localement par des colporteurs et sur les marchés proches  à Saugues et au Bouchet (parfois surnommé « Le Bouchet des écuelles »; mais l’essentiel était acheté par des revendeurs qui venaient de Saint-Chély d’Apcher, du Malzieu, d’Aumont, de Severettes, de Langogne. Le transport se faisait à dos d’hommes mais surtout à dos de mulets vers le Gévaudan et le Vivarais; c’est seulement après 1830 que l’amélioration des chemins desservant Vabres permit l’usage de carrioles pour ce transport.
Laissons à Ulysse Rouchon le soin de conclure, avec le lyrisme chaleureux qui le caractérisait :
« Nous ne verrons plus la terraille d’Alleyras et de Vabres exposée sur nos champs de foire. Nous n’apercevrons plus le joyeux terraillaire éprouvant sa marchandise en la faisant tinter avec un gros sou. Avec un demi-quintal de poteries dans une hotte sur le dos ou en voiture, il parcourait la montagne où il avait ses pratiques (clients) empressées à lui offrir le gîte qu’il reconnaissait en sortant de son caisson une friture pêchée dans l’Allier. Mais où est ce temps de simple et cordiale amitié ? »

Ce document est tiré du bimestriel 341 Erount de Saugues, mars-avril 2016 que m’a photocopié Georges Servant.

Février 2017

 

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Une réponse à Les potiers de terre de Vabres et d’Alleyras

  1. Marie-José Didion dit :

    Intéressant ton article Viviane.

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