Dans le numéro 91 de la revue Volcan d’août-septembre 2017, la page patrimoine est consacrée à Alleyras avec un article signé Sylvain Bret et des photos prêtées par Marie-Louise Arnaud et les sources de Jean-Baptiste Vigouroux (ouvrage : « Alleyras-Vabres et alentours »), conversation extraite du blog Alleyras-capitale.info.
Alleyras et Vabres, situés presque en face, sont séparés par l’Allier, rivière fantasque aux eaux froides l’hiver et aux crues dévastatrices. Ces deux villages étaient pourtant liés par des activités communes, comme par exemple, la fabrication des tuiles et de la poterie ; aussi, pendant longtemps, une liaison par barque avait existé. Un petit rocher, « lou ronquet », situé dans le lit de la rivière, servait d’indicateur de crue ; s’il était immergé, le passage devenait dangereux, voire impossible. Si l’on, y ajoute l’éventuelle indisponibilité du batelier, on comprend que le passage était assez aléatoire.
En 1870, après la construction du nouveau pont métallique de Pont d’Alleyras, la liaison devint sure mais au prix d’un long détour. Comme l’on disait à cette époque où l’ »on ne se déplaçait qu’à pied : « cela portait peine ».
Un moyen de passage permanent devint nécessaire
En 1929, l’évêché décida de fermer le presbytère de Vabres et l’abbé Balmesse fut le dernier curé de la petite paroisse. Après un dernier baptême (Jean Martin), il s’en alla rejoindre ses nouvelles ouailles à Saint-Arcons-d’Allier ; Vabres fut ré&uni à la paroisse d’Alleyras et une liaison directe parut tout de suite indispensable.
L’abbé Merle, curé d’Alleyras, prit immédiatement et efficacement l’affaire en main. En 1930, il fit construire, avec ses deniers, une petite passerelle en planches fixées sur des rails de chemin de fer. Localement, l’ouvrage était ainsi surnommé : la passerelle du curé.
Hélas, une crue d’octobre de la même année emporta le fragile édifice. Il envisagea alors une construction plus sérieuse et hors de portée de la capricieuse rivière.
Le projet
Finançant lui-même l’opération, une souscription a néanmoins été ouverte dans l’ex-
Photo prise sur la passerelle qui daterait de 1934 (inauguration) : Jean-Baptiste Vigouroux (différent du contributeur à l’article, une femme non identifiée portant un enfant, Eugène Vigouroux, Louise Vigouroux (née Vincent) et Marie-Louise Arnaud (née Vigouroux).
paroisse de Vabres, afin de récolter un peu d’argent, bien sûr, mais aussi l’engagement des habitants à assurer, avec leurs attelages le transport des matériaux nécessaires au chantier et, très important à l’époque, la fourniture de bouteilles de vin afin de désaltérer les ouvriers de l’entreprise Berbigier, chargée de la bonne exécution des travaux.
Il est à noter que c’est la famille Clément qui, du Mazet de Vabres, qui fournit la plus importante participation.
Le concepteur de l’ouvrage s’était visiblement inspiré des ponts de lianes de jungles africaines telles que le montraient les illustrations des livres de géographie de l’époque.
La réalisation
La construction démarra en 1936. Un solide massif de maçonnerie fut construit sur chaque rive, ces ancrages servaient de départ en hauteur pour les passagers et à l’amarrage des câbles d’acier achetés d’occasion aux mines de la Grand-Combe.
Deux câbles inférieurs sur lesquels étaient fixées perpendiculairement, des planches (tous les 470 ou 50 cm), servaient au cheminement tandis due deux câbles supérieurs servaient de main courante. Au total, 600 m de câbles neufs ont été utilisés.
La longueur entre massifs était de 925 m et la hauteur au-dessus de l’étiage d’environ 4 m, ceci au plus bas de la flèche.
L’inauguration
La fête fut organisée la même année pour inaugurer la passerelle. La messe eut lieu le matin sur « la rive de Piras » (propriété de Vigouroux), suivie de la bénédiction de l’ouvrage puis repas champêtre. On se sépara l’après-midi après les Vêpres. Les anciens se souviennent encore avec émotion de cette belle journée.
Le passage sur cette passerelle était quand même un peu périlleux. A cause de la flèche, au centre, les jours de grand vent, les oscillations étaient impressionnantes, pourtant aucun accident grave ne fut signalé.
Afin d’éviter une recherche en responsabilité, une pancarte, fixée à chaque extrémité, prévenait le candidat au passage : « Passerelle privée, défense de passer ».
Portraits de quelques utilisateurs
« Quand, à plusieurs garnements, nous nous rencontrions, pour la traversée, arrivés au milieu, juste au-dessus de la rivière, en nous balançant, nous jouions les « Maneken-Pis » dont nous ignorions pourtant totalement l’existence. Après nous être convenablement préparés, au signal de l’un d’entre nous, nous nous efforcions d’uriner le plus loin possible. Ce brillant exercice (de notre point de vue), hélas par nature éphémère, nous remplissait de ravissement… », raconte Jean-Baptiste Vigouroux.
Il y eut des passagers insolites telle une chèvre, il est vrai, fermement guidée et maintenue par son propriétaire. Un ou deux chiens traversaient également seuls et sans complexe, mais la plupart de leurs congénères préféraient affronter le courant malgré l’eau froide : à leur avis, c’était moins dangereux.
Certaines personnes, sujettes au vertige, après s’être engagées, restaient bloquées par la peur ; il fallait alors aller les secourir en les soutenant. Quelques ivrognes eurent aussi des difficultés provoquant inévitablement des rires sarcastiques…
Lorsque l’école publique de Vabres ferma, certains élèves se rendirent par cette passerelle à l’école d’Alleyras. A1fin d’obtenir un chemin continu plus sécurisant, on cloua des planches parallèles aux câbles sur celles qui existaient perpendiculairement.
Fin du pittoresque ouvrage
Un funeste jour de 1973, une crue de l’Allier, plus importante que les précédentes, arracha et emporta les câbles inférieurs supportant le cheminement, ainsi qu’un des câbles supérieurs, mettant ainsi fin à 39 ans de bons et loyaux services.
Gérard Varlot (du couvent d’Alleyras) rapporte (dans une conversation transcrite sur le blog de Marc Gouttebroze) : « l’eau est montée tellement haut que la passerelle s’est mise en travers, en arrondi. Derrière, tout ce qui flottait s’y est arrêté. Cela faisait une force colossale, et les beaux câbles qu’il y avait, ces câbles-là, on n’aurait pas cru qu’ils
La passerelle sur cette photo d’une version différente de la première, faisait environ 100 mètres de long et 4 mètres de haut en bas de la flèche.
pouvaient lâcher, et bien pourtant, ils ont tous lâché. Ils ont cédé du côté d’Alleyras et sont allés se coller dans le champ, le long de l’Allier. J’étais sorti observer la crue ce matin-là. C’était impressionnant de voir la passerelle dans cet état ».
Il ne reste aujourd’hui, outre les regrets, que deux imposants massifs toujours reliés par un câble solitaire devenu invisible, car caché par la végétation, tandis que celui côté Vabres garde, scellé, sur son flanc aval, un témoin du nivellement général de la France : Altitude 693 mètres…
Août 2017
que de souvenirs avec cette passerelle
elle fait partie de notre enfance, tout comme les grottes où nous allions souvent, ou bien « la barque » ou les « pechadours »… nous avions toujours mille endroits où nous promener !