
Alors j’ai découvert de l’intérieur un monde ouaté, un univers où les gens me regardent, gênés, muets ou parfois avec pitié.
« Elle ne verra plus comme avant » ont-ils jeté comme un couperet à mon mari et mes enfants sidérés. Débrouille toi, y’a rien à ajouter !
J’ai d’abord nié que j’étais handicapée, puis j’ai vite réalisé que ma vie d’avant s’était barrée et que la tribu des éclopés serait la mienne désormais.
Mais je dis avec fermeté : un handicapé est avant tout un être humain. Il faut le respecter.

Les voitures vont le klaxonner : il a osé rouler sur une file de la chaussée ! Simplement parce qu’il n’avait pas d’autre éventualité. Alors, chauffeur, au volant de ta bagnole pressée, arrête de le stresser ! Pense à sa bravoure pour surmonter les difficultés !
Et je vous dis pas les escaliers ! Mais vous pouvez bien imaginer… Le périple du combattant bien éprouvé.
Par chance, il avait un bon métier, celui de colonel des pompiers, ce qui lui permet de payer tous les frais occasionnés par son état de handicapé. Le pauvre, pour être remboursé, qu’aille se faire brosser !
Alors, colonel, chapeau bas, vous ne pouvez qu’être admiré ! Je suis fière de compter dans vos amitiés.
Et mon amie Hélène que j’ai connue au lycée et que je vois toujours régulièrement, qui traîne la patte depuis que, dans son enfance, le virus de la poliomyélite lui a atrophié les muscles d’une de ses jambes ? Elle peine à sa déplacer tout en claudiquant. Pourquoi les voitures de personnes valides se garent-elles sur les places de stationnement réservées aux personnes à mobilité réduite ? N’est-elle pas assez affligée pour qu’on ne manifeste aucune civilité avec les handicapés ?
Moi, la handicapée visuelle, qui ne vois plus qu’un monde rapetissé, minoré, coupé, qui porte comme un burqa sur mon regard voilé, pourquoi m’éviter et faire en sorte de m’esquiver? Il y a des attitudes qu’on n’oublie jamais.
Le handicapé n’est pas contagieux, dois-je le rappeler et je sais que son invalidité l’a rendu plus solide.
Mais nous restons très fragilisés au fond de nous : la plus simple émotion nous donne envie de pleurer. Un médecin m’a qualifié cette réactivité de labilité émotionnelle, survenue après la lésion cérébrale causée par mon AVC.
Alors, plus de dix ans après, je veux encore en parler : une séquelle majeure de cet accident peut s’avérer une atteinte visuelle allant de la cécité corticale aux différentes atteintes neuro-vis uelles touchant la partie occipitale du cerveau. Le champ visuel est amputé, des cellules nerveuses ayant trépassé. Les noms savants de ces atteintes portent des noms particuliers : alexie, proposagnosie, hémianopsie, négligence, ataxie, la liste se poursuit.bJ’ai envie de gerber rien que d’en parler.
Je me suis documentée, encore davantage depuis que j’ai rencontré l’antenne altiligérienne DMLA* qui ne compte pas que gens touchés par cette dégénérescence qui leur ampute aussi le champ visuel. Nous sommes sœurs et frères d’infortune dans la capacité de voir. Je trouve dans nos rencontres une grande richesse, je m’instruis, je suis présente ici et maintenant. FORMIDABLE ASSOCIATION !
J’ai appris qu’il est possible de rencontrer une personne déficiente visuelle avec une canne en train de lire. Qu’on peut aussi rencontrer une personne sans canne qui s’approche de très près d’un panneau pour le lire.
Dans les deux cas, le handicap est bien présent mais pas toujours bien perceptible. D’autres situations banales de la vie courante peuvent être sources de confusion et de perplexité pour les personnes voyantes.
J’ai donc appris qu’il ne faut pas Juger du handicap sur la seule apparence de la personne : un handicap peut être visible mais bien « compensé » par la personne, ou invisible mais bien réel et trompeur.
Merci tu as écrit un beau texte plein de vérité. Je te répondrai un peu plus longuement dès que je le sentirais amitié Alain