Une veillée entre voisins

Vers les neuf heures du soir, nous nous rendîmes chez la tante Marie surnommée La Loustette pour y faire la veillée.
« Saca vous (entrez), venez vous mettre au chaud qu’il fait froid dehors » dit-elle en patois.
Après avoir secoué nos vêtements enneigés sur le seuil de la porte  et tapoté nos chaussures pour enlever les blocs de neige qui y adhéraient, nous entrâmes.
-  « Aquo faï de bien de trouba la chalour » (ça fait du bien de trouver la chaleur ! » déclara la Victorine.
Nous nous assîmes autour de la table recouverte d’une toile cirée. Les femmes posèrent leurs pieds sur leur chauffe-pieds qu’elles avaient pris le soin d’emmener avec elles et qui libéraient la chaleur de leurs braises. Sur le mur, plusieurs calendriers des P.T.T. superposés pendaient, accrochés  sur un clou, du plus ancien au dernier de l’année. On y voyait des petits chats sur la première page.
Dans la pièce, un fourneau à bois répandait sa douce chaleur. Une odeur d’oranges embaumait la pièce.
« Que fasiez Victorine ? (Que faites-vous Victorine ?) demanda une femme.
- « Un tricot per lou petiot de Simonne » (Un tricot pour le petit de Simonne.) répondit ma grand-mère, finissant juste d’enrouler une pelote à partir d’un écheveau de laine du pays achetée à Saugues que je lui tendais, bras écartés, en face d’elle.
La tante Marie et la tante Louise tenaient sur leurs genoux leurs carreaux et faisaient de la dentelle. J’étais émerveillée par la dextérité de leurs vieux doigts noueux qui faisaient valser les fuseaux sur la toile cirée de leurs métiers. Elles ne le regardaient pas toujours. Une fine dentelle s’allongeait autour le rouleau de toile hérissé d’aiguilles à tête multicolores fixant le fil de coton ou de lin.
- « Votre point d’esprit est bien réussi, Marie » apprécia ma mémé.
- « Oh, pour ce qu’on nous les paye, on se crève bien pour pas grand chose ! rétorqua Marie.
Sur le fourneau, une marmite de vin rouge sucré chauffait, qui infusait des écorces de peau d’orange. Dix heures sonnèrent au coucou de l’horloge quand Marie s’adressa aux convives :
« Allez, approchez-vous de la table, vous boirez bien un peu de vin chaud, ça nous tiendra réveillés, il n’est pas bien tard, on veillera un peu plus. »
Et la veillée repartit de plus belle, agrémentée d’histoires que ces voisins se racontaient, de leurs commentaires, de nouvelles du pays.
A onze heures, les invités plièrent bagages, se revêtirent chaudement, remercièrent leur hôtesse et retrouvèrent les flocons de neige qui blanchissaient les rues de Pont d’Alleyras.

Décembre 2018

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