Lettres de Jean-Marie B.


Jean-Marie B. était mon collègue d’Aurillac, comme moi professeur de français mais dans cette  ville. Nous nous réunissions à Massiac avant mon affectation en Polynésie française et retrouvions deux autres collègues, Josiane M. et Jo C. Nous nous apprécions particulièrement et avions notre enseignement en haute considération ainsi que notre inspecteur Luc L. Aujourd’hui, Luc et Jean-Marie ont été emportés par un cancer, je n’ai plus de nouvelles de Jo et il me reste mon amie Josiane. Jean-Marie m’écrivait à Raiatea et je mets ici deux lettres de lui que j’ai précieusement conservées.

Aurillac, le 4 janvier 1998

Chère Viviane,

Il est de ces moments dans l’année qui rappellent à l’ordre et à la bienséance et, j’ajoute, qui font mesurer l’insondable noirceur  notre (ma) paresse. Aussi fixerais-je trois buts à cette petite lettre, trois afin que le plan soit équilibré : les excuses, la noblesse de ta mission, quelques nouvelles de moi. 1) Les excuses : elles seront évidemment plates, confuses parce que tourmentées par les assauts du remords, et en partie inutiles, je le sais, car mon silence m’accable. Toutefois, j’ose espérer en ton pardon.
2) Votre noble mission, madame, dans ce pays de cannibales, dit-on, où l’élan de votre mysticisme vous porte. Il n’est point de plus belle destinée que celle du sacrifice, de l’action si élevée qui entraîne les âmes encore impies vers le Salut. J’en parlais encore récemment à Monseigneur de Gautier* notre si redoutable évêque, inconsolable de votre départ et qui bénissait votre nom comme Abraham le fit pour Yahvé. La providence a bien su  choisir. Mais ne tendez point trop au martyr, vous qui vous dépensâtes pendant l’effrayant cyclone… dont nous avons eu vent jusqu’ici.
3) Moi ou ce qu’il en reste : mes aptitudes à la connerie s’épanouissent de jour en jour et le pire est que je n’en vois pas  pas les limites. C’est sur cette très évidente et valable raison que l’on m’a confié cette année une stagiaire I.U.F.M. afin que je la déforme. A part cela, je compte les jours qui me séparent de mon exclusion définitive de l’Éducation Nationale. Le bouquet final de cette insupportable logorrhée est sérieux et sincère. A toi, à vous, il apporte mes vœux bien sincères et de fidèle témoignage de mon amitié.

Jean-Marie

* Monsieur Gautier était un autre inspecteur de l’Éducation Nationale qui sévissait à l’époque.

Aurillac, le 4 mars 1999

Mais comment, Madame, pourrais-je avoir l’impudente insolence de solliciter votre pardon ? Vous n’y verriez qu’outrecuidance insupportable et je ne m’y risque point. Je ne souhaite, au fond, que votre regard sévère et les foudres de votre courroux.  Las ! Madame,  ayez la bonté de m’accabler, commandez-moi d’impossibles pénitences et trouvez en ma douleur le bonheur que vous méritez. Il n’est point de limites à mon ignominie – oserais-je vous dire, Madame, toutes les perversités mensongères qui ont hanté ma pauvre âme torturée afin de vous conduire à m’absoudre : que le galion qui portait votre pli s’était échoué chez les Sauvageons et qu’il n’en restait plus trace, ni de l’équipage; que le courrier monté chargé de votre missive avait été nâvré dans quelque guet-apens; que sais-je encore ?  Et  puis, j’ai attendu, confiné dans mon hivernal engourdissement, que le temps de Carême arrive, qui est celui de la repentance et de la réparation pour prétendre à vous donner  quelques nouvelles. Tout est si triste, Madame, en ce Royaume. Même les sentiments sont devenus gris. Même les amitiés s’encombrent de nuages. Ainsi, faut-il vous conter par le menu, l’échouage si malheureux d’un quarteron d’honnêtes personnes qu’unissaient les doux liens de la confiance et de la tendresse ? Vous en fûtes, plaise à Dieu que vous vous en souveniez, une des égéries bienveillantes du temps où le quatuor était quintette. Et puis, Monseigneur de Gautier-Briançon vint se pavaner dans le diocèse, tranchant dans le vif, distinguant  celui-ci ou celle-là, le haussant en laissant les autres en la rade. Monseigneur de Machiavel n’eut point fait pis ! Ainsi donc, Madame de Morel du Cézallier, qui reste mon amie, devint chanoinesse, ce qui causa le tourment des bougons et l’écartèlement de notre petit synode à tout jamais rompu. Assurément, parfois, nous nous retrouvons en compères, en quelque auberge de montagne. Certes, nous entreprenons, pauvre tas de vieillards, des actions de charité : ainsi fréquentons-nous, ces temps, quelques frères lais ou convers chargés d’une misérable population d’enfants et que nous  soutenons, comme nous l’ont indiqué François d’Assise   et Vincent de Paul. Mais le cœur y est-il encore ? Dans deux années, que je crains languissantes, le Seigneur dans toute sa puissance m’accorera peut-être un repos qui, à défaut d’être éternel, sera le bienvenu.
Ainsi donc, Madame, vous regagnerez peut-être les rivages du Ponant quand je me retirerai, courbé sous le poids des travaux et les charges du pêché, dans ma chère forêt du Bourbonnais ? Et un matin viendra, comme l’a dit un vilain de mes entours campagnards :  » où tu te réveilleras et verras que tu es mort ! » Ainsi vont les esprits simples…
Mais pour l’heure, chaque jour m’est une peine nouvelle, qui me conduit aux murs de Cortat. Et je n’y vois souvent que bassesse, sournoiserie et duplicité. Monseigneur d’Allègre* a introduit dans ce corps (… enseignant) d’immondes et pestilentielles humeurs. Restez, Madame, au milieu de vos innocentes tribus : là doit être, je crois, le vrai monde voulu par le Créateur.
Je vous baise les mains, Madame, œil humide et genou fléchi, et pardonnez l’égarement d’un vieillard.
Puisse le prochain vaisseau m’apporter de vos bonnes nouvelles.
P.S. : Sur le plan psychique, en fait, je ne vais pas plus mal, même si cette lettre pourrait faire penser que ! …

* Claude Allègre était ministre de l’Éducation Nationale en 1999, nommé par Lionel Jospin

 

 

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