Allier
Toujours en lisant Bernard Lonjon…
Torrent impétueux, il roule ses eaux tumultueuses depuis les monts de la Margeride après avoir pris sa source au Moure de la Gardille en Lozère à 1423 mètres. Il taille d’immenses gorges majestueuses dans le granit avant de prendre son temps et son aise dans de vastes dépressions sédimentaires tout en décrivant de bien curieux méandres. Entre Alleyras et Monistrol, les gorges s’élèvent parfois au-dessus de 500 mètres du niveau du val. Son nom était Elaver sous César puis Elaris au IXème siècle avant de porter son nom définitif Aléir (en occitan). Dans la région de Saugues, de nombreux cours d’eau sont ses affluents : l’Ance, la Seuge, le Panis, la Virlange, le Chapeauroux, la Desges. Il finit sa course dans la Loire à Nevers.
Mais est-ce bien sûr ?
Des géographes ont creusé le problème et leur conclusion est pour le moins surprenante. L’Allier ne serait pas un affluent de la Loire mais bel et bien un fleuve, c’est lui qui se jetterait dans l’Atlantique à Nantes et c’est la Loire qui rejoindrait l’Allier à Nevers.
Démonstration : Le fleuve est le cours d’eau qui se jette directement à la mer qui et qui joue le rôle de drain principal. Tous ses affluents se jettent dans l’Allier en formant un angle compris entre 60° et 90°. Lorsque les deux fleuves se rencontrent à Nevers, l’Allier continue sa route en ligne droite alors que la Loire fait un angle droit sur la gauche pour venir rejoindre l’Allier. De plus, argument implacable, la Loire coule toujours sur une altitude supérieure à celle de l’Allier pour venir descendre insensiblement jusque dans la région de Nevers afin de venir tomber dans l’Allier. « Ainsi ce dernier est bien le canal collecteur dans lequel tous les cours d’eau, y compris la Loire, viennent se jeter. L’Allier serait donc le dernier grand fleuve sauvage d’Europe (Dictionnaire amoureux de la Loire, Danièle Sallenave). »
La rivalité ne date pas d’aujourd’hui. Certains historiens assurent que la Loire « serait plutôt un fleuve impétueux » alors que l’Allier a très tôt l’allure « d’un grand fleuve large et tranquille, avec de grandes plages de sable ». Ils confirment également que dans leur remontée reproductrice, « les saumons n’hésitent pas un instant, ils bifurquent toujours à droite du Bec d’Allier, à 400 kilomètres de ses sources ».
Et voilà. Il ne reste plus qu’à revoir les manuels de géographie, d’histoire et les guides touristiques ! On visitera désormais les châteaux de l’Allier, la région s’appellera Les Pays de l’Allier, le département de la Haute-Loire sera rebaptisé Haut-Allier, les vins de Saumur, Bourgueil, Anjou, Chinon, Sancerre, Vouvray seront don des vins de l’Allier, les villes se nommeront La-Charité-sur-Allier, Saint-Benoît-sur-Allier.
Mais aucune chance que l’on change quoi que ce soit. La Seine, qui est en réalité un affluent de l’Yonne, demeure la Seine, c’est toujours elle qui officiellement coule sous Le pont Mirabeau d’Apollinaire, et sans doute pour la nuit des temps, tout comme Lumière reste l’inventeur du cinéma et Molière l’auteur du Misanthrope.
Cela n’empêche pas la pêche d’être fructueuse dans l’Allier : brochets, saumons, truites arc-en-ciel, goujons et vairons s’y aiment d’amour tendre avant de se laisser tenter par un vil appât pendu au bout de l’hameçon tueur.
Mai 2016