« Il faut tomber le bois à épines à la lune nouvelle et le bois à feuilles à la lune vieille, sans quoi il sèche mal et reste humide ». Ce dicton était l’un des « petits secrets » de nos artisans sabotiers vellaves, sans lequel ils n’auraient pu exercer avec succès leur beau métier. En effet, le choix de l’époque à laquelle on devait couper la matière première était très important : une erreur de lune, et hop ! le bois se fendillait !
Les sabots, ou « esclops » en patois, étaient taillés sur mesure, dans le bouleau, bois le plus usité parce que léger et solide, dans le pin, qui tenait chaud l’hiver, dans le noyer, qui offrait la meilleure qualité, ou encore dans le verne, dans le peuplier, et enfin dans le fayard, bois moins chaud et moins léger, plus généralement employé pour la confection des galoches. Précisons que le bois devait être choisi sans nœud ni autres défectuosités et qu’il devait être « travaillé vert ».
L’outillage du sabotier était des plus simples. Il se composait notamment de deux « plots » de bois ou établis, d’un « paroir », lame d’environ soixante centimètres de long sur six centimètres de large permettant le façonnage extérieur du sabot, d’une « aissette »*, de « taravelles »
Les bons sabotiers fabriquaient quatre à cinq paires « d’esclops » par jour. On raconte, dans une famille d’Arzilhac, commune de Beaux, que lors d’un pari, un sabotier de Saint-Julien-du-Pinet réussit l’exploit d’en tailler sept paires dans la journée !
Il existait plusieurs sortes de sabots; nous en distinguerons deux : les « esclops des dimanches » et les « esclops de la semaine ».
Les premiers, dont les prix variaient entre 40 et 50 sous vers 1910, étaient vernis, décorés de petites fleurs sculptées, et comportaient des brides* en cuir, placées sur le coup-de-pied et clouées sur les côtés.
Les seconds, qui valaient environ 20 sous, étaient en bois blanc, sans aucune ornementation.
Certaines personnes, par mesure d’économie, fournissaient leur bois au sabotier; d’autres achetaient des « esclops » ordinaires, les vernissaient au moyen d’une patte de lapin si elles n’avaient pas de pinceau, et les faisaient briller en les frottant avec… un pique-feu !*
Pour les « faire durer plus longtemps », nos ancêtres les cloutaient, ce qui ne plaisait guère aux jeunes enfants qui, l’hiver, prenaient un malin plaisir à glisser sur la neige ou sur le verglas ! Avec les clous, bien sûr, plus question de déraper !
Dès qu’ils étaient en âge de marcher, les enfants étaient « équipés » de sabots. Ah ! Si vous les aviez vu comme les « petitous » étaient fiers d’aller au catéchisme chez la « Béate », avec leurs « esclops des dimanches »…
Rares étaient ceux qui avaient les pieds-plats, car le brave sabotier n’oubliait jamais de sculpter la courbe intérieure qui préservait la plante d’une éventuelle malformation.
L’hiver, pour avoir plus chaud, on garnissait les « esclops » de paille d’orge ou de seigle, paille que l’on changeait chaque jour. Et si après cela les pieds n’étaient pas réchauffés, il ne restait plus à leurs propriétaires, qu’une solution : danser la bourrée ! Et tant pis si ;’on en cassait pour 20 sous !
* aissette : hache employée par les sabotiers, les charpentiers et les tonneliers, à fer recourbé, dont le tranchant est perpendiculaire au manche. De nomme « herminette » en français, de « taravelles » et de « gouges » servant à creuser l’intérieur, de « racloirs » et de « couteaux » pour effectuer la finition et les décorations.
Courroies, « corillas » en patois, sous lesquelles étaient cousus des bourrelets qui évitaient de blesser le cou-de-pied !
* Ceux qui n’avaient pas les moyens de s’acheter du vernis employaient, pour teinter leurs « esclops », une matière purement gratuite : le noir se trouvant sur le… cul de la « padelle » ou grande poêle !
Octobre 2016