L’histoire obscure de la psychiatrie

Fin 1790, c’est l’abolition des lettres de cachet. Elles permettaient à l’administration royale d’incarcérer quiconque était suspecté de démence. Une auscultation préalable est dès lors exigée. Ce sont les premiers débuts de la médicalisation de la folie.
Avant la révolution française de 1789, on ne distinguait pas les forçats des malades mentaux. Ces derniers se retrouvaient pour nombre d’entre-eux en chaîne, abandonnés au plus total dénuement.
Médecin aliéniste, Pinel (1735-1826) travaillait au sein des hôpitaux généraux de Paris : à Bicêtre se trouvaient les hommes, à la Salpêtrière les femmes. On le voit ci-dessous, rendant visite aux femmes aliénées de La Salpétrière.

Pinel a soutenu l’idée qu’il importait de pouvoir distinguer ces hommes et ces femmes « aliénés en l’esprit ». Une petite révolution au sein de la révolution, peut-on estimer, quand on sait la misère et la détresse humaine dont regorgeaient à cette époque ces espaces de réclusion.
Etienne Esquirol, aliéniste, sera celui qui posera les fondements du fonctionnement asilaire, en 1805. Il rédige une thèse sur « Les Passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation mentale« . C’est en septembre 1818 qu’il se rend chez le ministre de l’intérieur pour remettre son mémoire : »Des établissements d’aliénés en France, et des moyens d’améliorer le sort de des infortunés« .
La psychiatrie, au 19ème et au 20ème siècle, va s’avérer être tout aussi malsaine que ne l’est encore la prison. Elle restera longtemps et principalement une pratique médicale de nature coercitive au sein de l’appareil judiciaire et au sein de l’espace hospitalier. Elle le demeure encore partiellement de nos jours.
Un monde qui fleura bon la bourgeoisie la plus conservatrice, ce qui permettait de se débarrasser des « anormaux », ou des proches pour des questions qui furent propres à une logique sociale et morale, où les mœurs furent plus que contrastés.
C’est ainsi que la psychiatrie faisait un peu lieu et place de poubelle de nos maux. Alors que faire de celui dont personne ne sait plus quoi faire ou ne veut plus entendre parler ?
Le patient pouvait se trouver confié à des expérimentateurs parfois sadiques, surtout très longtemps incompétents ou impuissants face aux troubles. La thérapeutique était soit impropre, soit le plus souvent dans une vision hygiéniste très étriquée plutôt que de pouvoir apporter véritablement des soins médicaux appropriés à chaque patient.
Gaétan Gatien de Clérembault, psychiatre ayant exercé dans la première partie du vingtième siècle, eut un regard novateur sur la folie. Il défendit une « psychiatrie républicaine ». Il se consacra à l’analyse d’une pathologie singulière, qui fut en partie la sienne, et qui poussait certaines femmes à avoir un contact particulier avec les étoffes dans le cadre de leurs rapports sexuels et orgasmiques. Notamment en ayant des émotions intenses par le touché de certaines soieries.
On lui connut aussi une grande passion pour la photographie. Il sera le maître d’un certain Jacques Lacan, un personnage un peu étrange mais attachant.
Il faudra attendre après la seconde guerre mondiale pour que l’institution change. La pensée freudienne, plus tardivement le mouvement anti-psychiatrique  bousculeront ce monde clos et obscur.
La psychiatrie était devenue un ordre dans un ordre. Elle avait un rôle plutôt néfaste ou impropre au sein de la société française, en premier lieu pour les patients.
A la fin des années soixante, on est encore à une époque où l’on ne distingue pas la dépression névrotique des autres maladies de nature psychotique. Ces dernières, sous l’effet de la découverte des psychotropes, bénéficieront d’un champ d’expérimentation social assez inquiétant.
Heureusement, une nouvelle génération va vouloir dé-sacraliser le monde psychiatrique. II s’en suivront des progrès majeurs, en particulier concernant la diminution des internements.  Ils firent même pour bonne part le succès de la pharmacologie moderne (dont l’inventeur des psychotropes est le professeur Henri Laborit.
Depuis, la psychiatrie a su s’ouvrir à d’autres doctrines et en tirer bénéfice en devenant une pratique médicale plus honorable. Son rapport tutoral face au patient persiste dans une certaine rigidité. Il semble comme indispensable à cette spécialité de classifier les individus. Mais c’est aussi le politique qui décide du fonctionnement de cette vieille institution publique, qui lui ordonne de répondre à des missions qui n’ont rien d’angéliques ou de simples. Le domaine sensible de la psychiatrie concerne principalement toutes les questions en rapport avec la psychose. C’est une maladie où l’individu perd le  lien avec le réel. Il ne fait plus qu’un en général avec sa maladie, et cela peut intervenir à n’importe quel moment de l’existence.
On peut être psychiatre et psychanalyste, et c’est en partie pour cette raison que l’on peut se perdre aisément dans le domaine « psy ». Il importe de distinguer le médecin, sa discipline, et l’exercice de la psychanalyse. On peut être aussi neurologue et psychiatre, pédopsychiatre, etc…
Les soins se déroulent dans espace qualifié de clinique et se distingue en deux points : soit délivrer une ordonnance et un traitement, soit proposer un travail psycho-thérapeutique ou analytique. Pour cela, le médecin psychiatre doit faire une analyse personnelle, ce qui n’est pas toujours le cas. Surtout quand certains résument leur pratique à une cause organique.
Quoi qu’on le veuille, la folie demeure encore un sujet tabou. Une question qui justement pose pour paradoxe de rarement faire état d’un débat public.
La pratique psychiatrique au regard de ce que pourrait être un espace médicalisé de qualité pour le psychisme et le corps, est aujourd’hui à nouveau en crise. Faut il la réformer ? Probablement , et lui donner des moyens supplémentaires. C’est la parente pauvre au du système hospitalier. Plus que de s’engager à refonder une pratique quelque peu vieillotte d’hygiènisme mental, faute d’en faire un service public digne de notre république.
La psychiatrie est un domaine limité et ne sera jamais qu’une spécialité médicale, et pas « une pensée » comme l’envisageait Freud pour la psychanalyse.

Janvier 2017

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De l’asile à l’hôpital : les établissements psychiatriques français

 

Les  structures d’accueil et de soins aux personnes atteintes de troubles mentaux ont une longue histoire.
Sous l’Ancien Régime existaient déjà de nombreuses institutions, laïques et religieuses, destinées en tout ou partie aux aliénés d’esprit (telles les Petites-Maisons à Paris ou les Charités des Frères de Saint-Jean de Dieu). Plusieurs de ces établissements ne survivront pas à la tourmente révolutionnaire.
Au XVIIIème siècle, l’Hôtel-Dieu de Paris est l’un des rares hôpitaux publics du Royaume réservant des salles spéciales au traitement des fous, une pour les hommes, deux pour les femmes. Les deux autres établissements «les plus proches de la Capitale, où l’on s’occupe encore du traitement des maniaques» (Jacques Tenon, 1788) sont alors l’Hôtel-Dieu de Lyon et l’Hôpital Général de Rouen.
La Provence dispose aussi de trois hôpitaux consacrés aux fous: l’hôpital d’Avignon, ouvert en 1681, l’hôpital de la Trinité d’Aix, ouvert en 1691, et la Maison de Saint-Lazare à Marseille, ouverte en 1699.
En 1818, Esquirol ne dénombre pas plus de huit « Etablissemens spéciaux », répartis de façon très inégale sur le territoire national: l’Hospice des aliénés de Marseille et la Maison Royale de Santé d’Avignon, l’Hospice des aliénés de Bordeaux, l’hospice de Saint-Méen (Rennes), la Maison de Maréville près de Nancy, la Maison de Santé d’Armentières, la Maison de force de Lille et la Maison Royale de Charenton.

 

 

 

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