Alleyras : portrait de Madeleine Rodde

D’après un article et des photos d’Hedwige Boffy et une illustration de Jacques Auger,Volcan n°95, avril-mai 2018.
J’éprouve un très grand plaisir de mettre cet article dans Les textes de mon moulin, d’autant que les Rodde me sont particulièrement précieux.
Mado est une « figure » d’Alleyras dont j’apprécie le caractère et la chaleur humaine.

 

« Madeleine Rodde est née en 1944 et a passé son enfance à Alleyras. Son père, envoyé à douze ans chez les jésuites au Mans, n’eut alors qu’un désir : rentrer au pays. Ce qu’il fit à la fin de ses études. Il devint secrétaire de mairie ; ingénieux, il rendait service à tous les habitants, qui se gardaient bien dès lors de se moquer de ses qualités de paysan.
Sa mère, originaire de Saint-Privat-d’Allier, avait un caractère très peu conformiste et menait sa vie dans se soucier du qu’en-dira-t-on.
Madeleine est l’aînée de leurs trois enfants. Après ses études au collège de Cayres, elle entame sa carrière d’infirmière à Paris qu’elle poursuivra en Belgique et dans le nord de la France, revenant dans la vallée bordant l’Allier pour les vacances.
Désormais à la retraite, elle s’est installée dans le corps de ferme familial restauré, dont elle a pris soin de conserver « l’aire ouverte du Velay » (l’auvent visible sur la photo).

D’une grande amabilité, elle nous raconte ses souvenirs écoliers et estivaux à Alleyras, où transparait son caractère indépendant et enjoué.
Il y avait à l’époque deux écoles à Alleyras de même qu’à Pont d’Alleyras ainsi qu’une autre à Anglard. A Alleyras, l’école de la République accueillait traditionnellement les garçons, les habitants scolarisant en grande majorité les filles à l’école des sœurs de la Congrégation de Saint-Joseph qui accueillait également quelques pensionnaires, lesquelles rentraient une fois par mois, un char à bœuf venu les quérir et les ramener. Sœur Marie (la supérieure), sœur Torrent (l’institutrice) et sœur Marguerite (la cuisinière) étaient d’une bonne volonté remarquable, rendant service dans le village et procurant les soins infirmiers, mais âgées d’une soixantaine d’années déjà, étaient un peu dépassées dans la salle de classe où régnait un joyeux laisser-faire dès lors que l’on savait lire ou que l’on ne préparait pas encore le certificat d’études.

C’était un peu la récréation permanente ! Ainsi Mado avait fini sa journée de travail à 9h, après avoir fait quelques lignes d’écriture à la plume Sergent-Major, comme bon lui semblait, un calcul choisi parmi ceux maîtrisés dans le manuel, puis elle occupait ses heures avec ses camarades entre rangement des livres et cahiers dans le bureau, ce qui les amusait un bon moment, fabrication de pantins et crises de fou rires.  La leçon de choses du lundi et l’Histoire Sainte du vendredi, dont les épisodes étaient bus avidement par la classe, étaient les seuls repères fixes de cet enseignement avec la demi heure consacrée en fin de journée aux ouvrages de couture ou de broderie. Cependant, les résultats au certificat n’étant pas émérites, la mère  de Madeleine décida de placer ses filles à l’école publique. Cela n’alla pas sans remous, et fit même scandale, le père étant président del’APPEL !
D’autres parents suivirent et l’école des sœurs ferma l’année suivante. Madeleine et sa sœur, ravies du changement car les jours de congés étaient plus nombreux dans le public, rattrapèrent aisément leur retard et purent, grâce à la prudence maternelle et à l’institutrice Mlle Maranne, jamais en reste d’inventivité (c’était ainsi la réalisation de marionnettes et de la montgolfière qui s’envolait les jeudis) pour suivre une scolarité plus solide.

L’instruction dépendait également pour le grand catéchisme de M. le curé, l’abbé Gazanion, personnage haut en couleurs avec lequel les enfants faisaient  des activités extraordinaires ; il leur racontait maintes légendes et histoires, au gré d’excursions, ainsi des cloches enterrées d’Alleyras ou de l’abattoir du rocher de l’Aigle où l’on retrouve des silex : les peuplades préhistoriques de l’Allier y auraient traqué le gibier pour qu’il se jette du rocher dans la curie où il était alors dépecé.
Si l’anticonformisme du curé dérangeait quelque peu les religieuses, les enfants lui vouaient une affection sans bornes. Hors de la chasse aux étrennes du nouvel an, les paniers étaient soigneusement vidés avant l’apogée que représentait la visite dans la caverne d’Ali Baba de l’abbé Gazanion, leur cher Bertin, qui les remplissait allégrement de mandarines, papillotes, puis d’une bûche en chocolat avec, au-dessus, l’Enfant Jésus tout rose longuement dévoré des yeux avant de l’être par les papilles, et enfin d’une brochure sur la vie d’un saint.
On lisait ces brochures avec voracité, ainsi que celle de son frère ou de sa sœur et on s’essayait à l’imitation de ces modèles dans une piété naïve.

Les mois d’été, Madeleine s’occupait de « mener » les vaches, ce qui donnait lieu dans chaque pâturage à la création de merveilleuses cabanes, avec ses amies vacancières :
les murets servaient de cloisons, des planches formaient des étagères que l’on prenait soin de meubler en ramenant des bouteilles, des tessons de porcelaine finissaient de créer la cuisine, de la mousse configurait le lit tandis qu’était imaginé le reste de la demeure. Selon l’endroit où elle « menait », les cabanes étaient plus ou moins fastes, parfois il s’agissait d’un arbre, parfois d’un « clapas » qu’elle recouvrait de branchages. Il arriva qu’une fois, entreprenant de faire un feu dans l’un d’eux, en dépit de l’ouverture ménagée pour la cheminée, l’aventure tourna au désarroi devant l’incendie du toit. D’ordinaire, le feu maîtrisé servait à rôtir des sauterelles; le repas, bien meilleur que l’en-cas prévu par les parents, était encore fait d’écrevisses pêchées à la main.
Un coin de la propriété familiale était prêté à un groupe de scouts : la curiosité surpassant la timidité, Mado observait le campement et n’en revenait pas de l’ingéniosité mise en œuvre pour créer ce village estival.
Elle tentait avec ses amies de reproduire ce qu’elles avaient contemplé mais hélas, sans les mêmes résultats. Les scouts partis, elle pensa alors pouvoir en profiter et admirer ça de plus près, mais quelle déconvenue de voir que cette création splendide avait été entièrement démontée pour faire place nette. La méticulosité des scouts causa une cruelle déception. Il y avait heureusement dans les roches un « paradis » où il n’était besoin de rien construire, la nature s’étant occupée de tout : deux rochers en forme de siège faisaient salon, derrière, la chambre était prête, le jardin fait de greffes de noisetiers, de pruniers et d’un tapis de fraises complétait la propriété, procurant ombre et rêveries.
Sa charge d’aînée lui parut tout de même quelque peu arbitraire, lorsqu’elle vit sa sœur dépasser l’âge où elle-même gardait, aussi institua-t-elle, un jour, des tours. Ce jour-là, elle partit donc aux framboises : quelle ne fut pas sa surprise d’y croiser alors sa sœur !
- « Mais… les vaches ? »
- « Ah, elles sont parties au Plot ».
- « Mais le Plot… », répondit Mado dont le cœur commençait à battre, « les lentilles« .
L’institution des tours ne fit pas long feu après la réprimande maternelle, mais il y eut d’autres consolations. Ce fut une amie vacancière, Marie-Laure, l’invitant en vacances à Paris et en Normandie, un incroyable périple, la merveilleuse surprise que lui avait réservée Mme Duchesne, la femme du gendarme, l’appelant un jour qu’elle « menait » au Breuil : « Mado, viens voir ! » Quittant sa cabane, Mado rentre alors dans la gendarmerie et aperçoit le nounours géant confectionné à son intention. Serrant son trophée, incrédule, elle en oublie un instant Mme Duchesne mais lui conservera une indéfectible reconnaissance.

L’été à Alleyras pouvait donner lieu à des aventures d’un autre ordre, les escarbilles charbonneuses du train à vapeur de la voie de chemin de fer incendiant alentour. On allait alors au feu, adultes et enfants, chargeant des seaux de terre, dans une atmosphère effervescente imprégnant les mémoires.
Vint ensuite le temps d’entrer en pension au collège de Cayres.
Contrairement à son frère et à sa sœur, Mado ne put avoir de bourse, car elle était entrée à l’école des sœurs avec un an de retard (la scolarisation était moins réglée qu’aujourd’hui). Comme elle le souligne, « les enfants de la République, dans les campagnes, je trouve qu’on était un peu laissés pour compte. »
Elle partit donc travailler à Paris, gardant les jumeaux d’une cousine, suivant ses cours de 5ème par correspondance. L’année suivante, le collège cayrois l’a reprise et elle finit 3ème au BEPC. C’est encore collégienne qu’elle perdit son père et dut prendre sa vie en main, retournant travailler à Paris et préparant des concours.
C’était une grande joie de l’entendre partager ses souvenirs d’enfance et son regard sur les événements. »

Avril 2018

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Une réponse à Alleyras : portrait de Madeleine Rodde

  1. patrick dit :

    J’ai fait sa connaissance le mois dernier, c’est une personne très sympathique.

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