Chaumières encore…

Faisant du rangement, je retrouve des documents oubliés qui datent du temps où j’étais prof. J’écrivais des textes et j’en cherchais.

Complainte

La chaumière pleure sa dernière larme.
Sa tète s’est dégarnie de ses blonds cheveux
Et chauve, elle a perdu à jamais le charme
Que jadis, ingrats, lui portaient vos yeux.

Les brins de paille un à un se sont dispersés
Aileurs, bien loin, où  le vent les a poussés
Retournant à la terre  la féconder
Ne laissant que les murs et des larmes à verser.

Vous ne la verrez plus, au détour du chemin,
Coiffée des tiges d’or aujourd’hui délaissées.
Vous ne sentirez plus son parfum  de foin
Que vos pères jadis ont pourtant vénéré,

Las des campagnes que vous avez désertées
Pour la ville envoutante et ses plaisirs surfaits.
Vous n’aurez plus, pour vos vingt jours de congés
Que vos yeux pour pleurer la chaumière envolée.

Viviane, novembre 1994

Les autre saisons de la chaumière

Quand la burle* glace nos vieilles montagnes
Et que le givre en breloques l’accompagne,
Quand la neige le recouvre d’un blanc pagne,
Entends-le craquer le toit de la chaumière.

Quand la sève envahit l’écorce des chênes
Et que la burle emprunte un air amène,
Quand la femme de sa bure se dégaine
Entends-le sourire le toit de la chaumière.

Quand le blé est au tire, qu’il faut moissonner,
Et que la femme de son fléau l’a frappé
Quand les gerbes se dressent dessus les prés,
Entends-le chanter le toit de la chaumière.

Quand la burle revient de son froid nous saisir
Et que les frimas sont l’horizon à venir,
Quand la femme de sa bure recouvre son désir, Entends-le tenir le toit de la chaumière.

 

* burle : vent du nord.

Viviane, novembre 1994

Une maison du Mézenc

Ecoute-moi. C’est une grande maison basse
Qui s’enfonce à demi dans la lande
Avec un long toit penchant qui rejoint le sol
Et un seul arbre qui se répand sur le toit.
Alentour, aussi loin que peut porter la vue,
Tout est désert, tout n’est qu’une onde d’herbe rase,
Ou que douce épaisseur de bruyère feutrée
Et tant d’espace ne s’étend jusqu’à personne.
Il n’y a pas un signe de possession.
Par endroits, une pierre plantée, un genêt.
Dés septembre, il vient là-dessus de lents brouillards.
On est seul, comme au fond de son meilleur sommeil,
Et l’on voit tout à coup naître et fuir dans la brume
Un poulain libre qui galope sans nul bruit,
Et c’est la neige, après, qui commence à tomber.
Elle est tendre, au début, elle fond vers midi,
Laissant une rosée à la pointe des herbes.
Mais un beau jour d’octobre, elle ne s’en va plus…
La maison est alors aussi secrète et seule
Que si on se cachait à cent pieds sous le sol.
L’on n’entend plus que la fontaine intérieure
Couler infiniment dans l’auge de granit.
Alors la maison s’emplit de la chaleur de l’étable.
L’eau semble tiède aux mains comme la laine des brebis.
Il ne vient un peu de jour que par la haute lucarne
Qui est auprès de l’herbe et que la neige n’atteint pas.
Le jour qui en descend paraît un plaisir d’homme riche,
Et on le recueille avec beaucoup de soin dans ses yeux.
Mais le soir, une grosse lampe
Bourdonne au-dessus de la table
Jusqu’à l’heure de s’endormir.
Les lits sont enfoncés dans une muraille de bois,
Ils vont loin, comme des trous d’insecte au cœur d’un vieil arbre.
Le sommeil y est plus enivrant que partout ailleurs,
Plus libre de la terre, plus entré dans l’autre vie,
Le sommeil, Thérèse, le sommeil et aussi l’amour.

Jules Romains, Cromedeyre le vieil

Décembre 2018

 

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