Suite 3 : Témoignages de femmes à la campagne au 19ème siècle

Marinette Tziganok  de la plaine du Forez au début du 19ème siècle :

Maria (1885-1950)
Je la regarde venir sur le chemin qui longe l’étang. Elle pousse devant elle d’un geste las un chariot chargé de luzerne et de trèfle : la pitance pour ses lapins. Elle est vêtue d’une longue jupe noire froncée à la taille, d’un caraco noir également ; ses cheveux gris sont tirés à l’arrière dans un chignon très serré, le tout recouvert par un chapeau de paille noire. ELLE, c’est Maria, ma grand-mère, ma mémée, ma mémène… Elle est née dans l’autre siècle, en 1885, dans un petit village de la plaine du Forez.
Sa maman était très jeune et l’homme qui l’avait séduite, un gendarme, l’avait abandonnée alors qu’elle était enceinte et ma grand-mère était le fruit de cet amour. Merci, à mon arrière-grand-mère qui a gardé sa fille et épousé ensuite le garde champêtre du village. Je pense que c’était un brave homme car ma grand-mère avait gardé un bon souvenir de ce père.
Elle est allée à l’école, elle savait lire et écrire, mais comme tous les enfants pauvres de la campagne, elle a travaillé très tôt chez les autres et, alors qu’elle n’était elle-même qu’une enfant, elle devait s’occuper de ses sœurs et de son frère plus jeunes qu’elle.
Il y avait deux vaches à l’écurie, mais ça ne permettait pas à la famille d’en vivre, aussi sa mère allait chez les bourgeois de la commune aider au ménage, à la lessive et Maria s’occupait de la maison et de ses frères et sœurs. Elle emmenait les vaches au long des chemins, car il n’y avait qu’un petit pré attenant à la maison et cela ne suffisait pas à la nourriture des bêtes. Pendant que ses vaches broutaient sur les terres des communaux, Maria tricotait, elle en a fait des chaussettes, des bas, et des châles tout au long de son enfance et adolescence. Quand elle fut assez grande, on la plaça comme bonne chez un assureur de Montbrison et c’est grâce à ses patrons qu’elle rencontra Alphonse.
Alphonse, un doux géant blond, à la moustache conquérante. Il travaillait aux Eaux et Forêts, surveillait et entretenait les rivières sur le canton de Montbrison.
Après leur mariage, ils s’installèrent à Savigneux dans une maison au hameau de Bicêtre. De leur union naquit en1905, Alphonsine, ma mère, puis en 1909, un garçon, Claude.
Mais ce bonheur tranquille prit fin lorsque éclata la guerre en 1914. Alphonse partit sur le front et ce fut le cauchemar. Dans leur petite maison où Maria avait accueilli sa belle-mère devenue veuve, la vie devait continuer dans l’angoisse permanente. Les nouvelles du front n’étaient pas bonnes et ce conflit qui s’éternisait et les hommes tombaient tous les jours, des voisins, des amis, et la peur tenaillait les deux femmes. Vingt ans après, Maria en parlait encore avec des sanglots dans la voix. Chaque jour, elle quettait le facteur sur le chemin qui longe l’étang. Elle pousse devant elle d’un geste las un chariot chargé de luzerne et de trèfle : la pitance pour ses lapins. Elle est vêtue d’une longue jupe noire froncée à la taille, d’un caraco noir également ; ses cheveux gris sont tirés à l’arrière dans un chignon très serré, le tout recouvert par un chapeau de paille noire. ELLE, c’est Maria, ma grand-mère, ma mémée, ma mémène… Elle est née dans l’autre siècle, en 1885, dans un petit village de la plaine du Forez. Sa maman était très jeune et l’homme qui l’avait séduite, un gendarme, l’avait abandonnée alors qu’elle était enceinte et ma grand-mère était le fruit de cet amour. Merci, à mon arrière-grand-mère qui a gardé sa fille et épousé ensuite le garde champêtre du village. Je pense que c’était un brave homme car ma grand-mère avait gardé un bon souvenir de ce père. Elle est allée à l’école, elle savait lire et écrire, mais comme tous les enfants pauvres de la campagne, elle a travaillé très tôt chez les autres ; et alors qu’elle n’était elle-même qu’une enfant, elle devait s’occuper de ses sœurs et de son frère plus jeunes qu’elle. Il y avait deux vaches à l’écurie, mais ça ne permettait pas à la famille d’en vivre, aussi sa mère allait chez les bourgeois de la commune aider au ménage, à la lessive et Maria s’occupait de la maison et de ses frères et sœurs. Elle emmenait les vaches au long des chemins, car il n’y avait qu’un petit pré attenant à la maison et cela ne suffisait pas à la nourriture des bêtes. Pendant que ses vaches broutaient sur les terres des communaux, Maria tricotait, elle en a fait des chaussettes, des bas, et des châles tout au long de son enfance et adolescence. Quand elle fut assez grande, on la plaça comme bonne chez un assureur de Montbrison et c’est grâce à ses patrons qu’elle rencontra Alphonse. Alphonse, un doux géant blond, à la moustache conquérante. Il travaillait aux Eaux et Forêts, surveillait et entretenait les rivières sur le canton de Montbrison. Après leur mariage, ils s’installèrent à Savigneux dans une maison au hameau de Bicêtre. De leur union naquit en1905, Alphonsine, ma mère, puis en 1909, un garçon, Claude. Mais ce bonheur tranquille prit fin lorsque éclata la guerre en 1914. Alphonse partit sur le front et ce fut le cauchemar.
Dans leur petite maison où Maria avait accueilli sa belle-mère devenue veuve, la vie devait continuer dans l’angoisse permanente. Les nouvelles du front n’étaient pas bonnes et ce conflit qui s’éternisait et les hommes tombaient tous les jours, des voisins, des amis, et la peur tenaillait les deux femmes. Vingt ans après, Maria en parlait encore avec des sanglots dans la voix. Chaque jour, elle guettait le facteur, une lettre d’Alphonse, c’était un rayon de soleil, vite éteint car, au front, c’était un désastre et la mort frappait aveuglément.
Pendant cette période difficile, que pouvait faire Maria pour survivre et faire vivre ses enfants ? Elle fit ce qu’elle savait faire, c’est-à-dire laver le linge, coudre et tricoter. Par la force des choses, elle était devenue lavandière, des montagnes de linge sale qu’elle va chercher à la ville chez des clients fortunés avec sa charrette à quatre roues. Penchée sur son baquet, elle frotte, savonne, elle fait bouillir le linge blanc dans la chaudière, elle va rincer le tout à la rivière. Elle raccommode,  elle repasse.
Avec l’aide de l’aïeule, elle entretient le jardin, elle élève des lapins et des poules. Et les années passent, la guerre se termine et Alphonse, rescapé de la boucherie, (c’est ainsi qu’il qualifiait sa guerre) revient et c’est enfin un peu de bonheur.
La famille déménage, Alphonse a pris en gardiennage l’étang de Savigneux et ils vont habiter la maison en bordure de ce plan d’eau. Alphonse continue à assurer son poste aux Eaux et Forêts.
Maria a abandonné ses lessives sans fin, elle n’a gardé que deux clients, ses anciens « patrons » et Madame Simone qui était devenue  son amie et qui l’avait beaucoup aidée pendant la guerre. Il y a de grands prés autour de l’étang, le couple a acheté deux vaches qui amènent un petit plus aux ressources du ménage.
En 1923, Maria est à nouveau enceinte, cette grossesse tardive n’est pas désirée mais que faire avec peu de moyens ? Et en mars 1924, elle met au monde un petit garçon : Aimé. L’aînée, Alphonsine, a déjà dix-neuf ans et cette différence d’âge sera très perturbatrice au sein de la famille.
L’année suivante, Alphonsine se marie et met au monde son premier bébé en 1925. Le petit René et son oncle Aimé n’auront qu’une année et quelques mois de différence d’âge. Maria essaie de faire face à ce supplément de travail et de soucis. Sa belle-mère vit toujours avec eux et sera d’une grande utilité pour s’occuper du petit.
Maria travaille encore et encore, le ménage, les vaches les poules les canards, il faut s’occuper de tous ces animaux. Son mari a acheté un petit lopin de terre tout près de leur maison, il y construira la sienne avec l’aide d’un maçon et de quelques amis.
Il sait tout faire, Alphonse, il travaille le bois, le ciment, la terre ; avec de l’osier, il fabrique de magnifiques paniers et des corbeilles. Maria l’aide de son mieux, elle se tue au travail et grâce à leurs efforts conjugués et à beaucoup de privations, ils auront enfin leur maison à eux.
En 1932, la fille aînée, mal mariée (mari au chômage) et déjà mère de trois enfants, viendra habiter avec toute la famille dans la maison familiale. Ils ont vendu les deux vaches, transformé l’écurie, la fenière et agencé des pièces où le jeune couple et les enfants s’installent. C’est encore plus de travail et de perturbations pour Maria, mais de cette façon, elle peut aider plus efficacement sa fille à élever ses petits.
Je suis une des trois enfants. Je suis la fille et je voue à mes grands-parents une grande tendresse et une reconnaissance infinie. J’ai grandi près d’eux, et avec eux, et je sais tout ce que je leur dois.
Ma courageuse grand-mère qui n’a jamais pris le temps de s’occuper d’elle-même, qui s’est dévouée sans restriction pour ceux qu’elle aimait… A la suite d’une otite mal soignée ou pas soignée du tout, elle est devenue sourde et ce handicap sera très pénible pour elle. Mais Maria malgré tout restait la maîtresse du clan ; sans en avoir l’air, c’est elle qui influençait et dirigeait toute la famille. Son mari faisait confiance à son bon sens et ne prenait jamais de décisions importantes sans son assentiment.
Parmi les événements de la vie courante, il y en avait un qui marquait par son importance, c’était la pêche de l’étang, qui avait lieu chaque année à l’automne. L’eau était évacuée et les poissons, carpes, tanches réfugiés dans la partie la plus profonde, étaient capturés avec des filets, déposés dans des corbeilles puis versés dans des bassins où un pisciculteur revendeur en prenait possession.
C’était un grand moment et Maria y avait sa part de travail. Il fallait nourrir ses hommes qui travaillaient du matin au soir et Maria s’activait à la cuisine, gratinant des carpes farcies au four, mijotant un bon « barboton » au lard dans une énorme cocotte en fonte et réchauffant un délicieux civet de lapin toujours préparé la veille. C’était le repas classique. Grand-père touchait un pourcentage sur la vente du poisson et, quand c’était une bonne année, Maria en profitait pour acheter du linge et regarnir l’armoire ou faire des accommodements dans sa maison.
Elle avait fait installer une pompe qui remontait l’eau du puits et n’avait plus besoin de puiser l’eau avec le seau pour faire ses lessives et tout le reste.
Puis ce fut à nouveau la guerre en 1940, triste et terrible réminiscence pour Maria qui ne pouvait oublier les affres de la précédente. Ce fut autre chose et c’est surtout les difficultés pour nourrir les siens qui affecta la brave Maria.
La guerre finie, nous étions grands, nous les petits enfants ; Maria et Alphonse auraient pu enfin avoir une retraite heureuse et bien méritée, mais… Oui, je la vois avancer péniblement sur le chemin poussant le chariot, je vais à sa rencontre pour l’aider. Je sais maintenant qu’elle est très malade ; le médecin a parlé de cancer, elle a soixante-trois ans et moi j’ai vingt ans. Depuis un certain temps, elle n’allait pas bien, mais elle ne disait rien ; aller chez le docteur, ça coûte cher et, comme elle disait, ça passera bien, mais ça n’a pas passé et ça a empiré. Et maintenant, elle est inopérable, nous sommes en 1948 et pendant deux ans elle luttera courageusement. Je l’ai soignée ma Mémée, j’étais très souvent près d’elle, je lui faisais des piqûres de calmant. Elle est morte le 2 décembre 1950, elle avait soixante-cinq ans. Et trois mois après, son Alphonse qui était bâti pour devenir centenaire, s’en est allé à son tour rejoindre sa Maria dans la tombe…. Cinquante ans après, j’ai encore mal à mon souvenir.

Anonyme (lieu et époque non précisés) :
Ma grand-mère maternelle dirigeait de main de maître une ferme assez cossue (dix ou quinze vaches, une paire de bœufs, un cheval, un troupeau de moutons). Elle en assurait la prospérité grâce à son énergie et à son ambition. C’était une femme autoritaire dont les ordres ne souffraient aucune discussion : tout le monde devait obéir, même le grand-père qui n’avait pas son mot à dire et qui pourtant « était gentil comme tout ».
Sûre d’elle et croyant bien faire, elle fit le malheur de ses trois enfants : deux filles, Marie et Claudia, un fils, Pierre. Elle s’arrogea le soin de les marier en fonction de ses ambitions et de ses intérêts, mais les caprices du cœur en décidèrent autrement. Pour éviter le scandale et le déshonneur, elle dut accepter, contre son gré, le mariage de Claudia (ma mère) avec son amoureux : celle-ci venait de mettre au monde ma sœur aînée. Claudia quitta le domicile familial pour aller vivre dans la famille de son mari où se trouvaient le grand-père et les trois filles célibataires qui la considérèrent comme une intruse. Les trois sœurs se liguèrent contre elle et lui firent subir les pires vexations. C’étaient elles qui géraient la ferme depuis le décès de leur mère, elles empochaient les revenus, ne laissant à ma mère qu’une infime portion congrue.
Très orgueilleuses, désirant paraître, elles avaient « la folie des grandeurs » et vivaient au-dessus de leurs moyens. Le samedi, elles allaient vendre beurre et fromages sur le marché et revenaient chargées de provisions de luxe (des liqueurs, des gourmandises de toutes sortes), de vêtements à la dernière mode (l’hiver, elles portaient des manteaux en « peau de bique »). Ma mère était le chien de la maison. Humiliée quotidiennement, privée de toutes ressources, elle tomba malade. Son mari, qui pourtant l’aimait beaucoup, n’osait pas prendre parti, tant il était dominé par ses trois sœurs.
Mes grands-parents, au courant de la situation, rapatrièrent leur fille au domicile familial. Mon père, toujours très amoureux de sa femme, venait lui rendre visite toutes les trois semaines. J’ai été conçue lors d’une de ces rencontres (le jour de la fête patronale de la Saint-Barthélemy, m’a-t-on dit). Pour sortir de cette situation, mon père projeta de quitter sa ferme et d’aller travailler en ville. La grand-mère y opposa un veto définitif : un gendre, ouvrier d’usine ! c’est le déshonneur ! En réalité, elle souhaitait garder avec elle sa fille Claudia, très vaillante et très docile.
Mon père perdit tout espoir de dénouer la situation, il resta sous la dépendance de ses sœurs, se mit à boire et mourut d’une crise de delirium tremens à l’âge de quarante-deux ans. Les funérailles célébrées en grandes pompes absorbèrent les derniers deniers. Pour payer les dettes, il fallut vendre la propriété. La part d’héritage de mon père, que je reçus à ma majorité, me permit d’acheter… « une blouse » !
A son tour, Maria refusa le mariage arrangé par sa mère et épousa un paysan peu fortuné. Humiliée et vexée, la grand-mère refusa d’assister au mariage.
La présence de ma mère et de ses quatre enfants, que ma grand-mère s’obstinait à garder auprès d’elle, compromit la destinée de son fils Pierre. Aucune des jeunes filles qu’il trouvait à son goût ne voulait venir cohabiter avec nous. Il en fréquenta une très longtemps, il l’aimait beaucoup. Lassée, cette dernière épousa quelqu’un d’autre. Ce fut pour Pierre une énorme déception, son caractère s’aigrit, il se mit à boire, devint méchant, surtout à notre égard. Pour se venger, il donna ses biens à des cousins éloignés. A sa mort, qui fut prématurée, nous fûmes privés de la moitié des biens qui composaient le patrimoine familial.
Je dus, à mon tour, subir les contraintes de l’autoritarisme de la grand-mère. Dès le plus jeune âge, elle nous obligeait à travailler, à nous plier à ses ordres sans discuter. J’ai beaucoup souffert de la séparation de mon père et de ma mère. Ma situation ne correspondait pas aux normes de l’époque. A l’école, chez les sœurs, j’étais marginalisée, victime d’humiliations et de vexations.
Vers l’âge de dix ans, je fus envoyée comme domestique chez ma tante Marie. Le ménage n’avait pas d’enfants, je devais donc aider aux travaux de la ferme. Mon oncle était un homme dur et radin au possible. Il me faisait faire des travaux pénibles pour mon âge : traîner de lourds seaux d’eau pour abreuver les bêtes, vanner le grain… que sais-je encore ! Dès que je revenais de l’école, il me mettait au travail, sans une minute à perdre : interdiction de lire les livres que la maîtresse nous prêtait. La nourriture était réduite, la soupe au lard en constituait l’essentiel ; jamais une gâterie quelconque. En grandissant, je supportais de moins en moins cette tyrannie. Un beau jour, je décidais d’y mettre fin : en l’absence de l’oncle, je fis mon balluchon et partis chez ma mère.
Ma grand-mère envoya ma jeune sœur pour me remplacer : c’était une bouche de moins à nourrir. J’avais quinze ans. Je décidai de ne plus me laisser manipuler : la suite est une autre histoire.

ÉLÉMENTS DE SYNTHÈSE
La lecture de ces textes, si variés soient-ils, permet, néanmoins, de dégager quelques points communs entre eux ; et, de là, quelques idées générales sur les conditions de vie des femmes rurales à la fin du dix-neuvième, sur ces femmes méconnues que furent nos grands- mères.

1. LE POIDS DE LA FAMILLE
1) Importance de la cellule familiale :
Les parents, la mère surtout, décident de l’avenir des enfants. Le choix se fait toujours dans l’intérêt général de la collectivité familiale : par exemple, les filles sont condamnées au célibat pour éviter l’émiettement de la propriété.
Cf Madame Piroche.
Le mariage est parfois empêché par le père pour des raisons de santé :
Cf. Madame Piroche : tares familiales.
Le rôle des parents peut parfois être très néfaste : cas de la mère trop autoritaire
Cf. Document anonyme.
La difficulté est grande pour les filles, souvent accueillies en intruses dans les belles-familles.
Cf. Madame Piroche : Antoinette devenue servante ; Marie creuse les fossés.
Pour les filles, il n’y a que trois éventualités :
- Elles épousent un « fillâtre »
- Elles restent célibataires.
- Elles se marient et entrent dans une autre maison, où elles seront plus ou moins bien acceptées.

2) L’entraide familiale
Les enfants sont souvent élevés par un oncle, une tante, une marraine, des grands-parents quand, pour raison de mort ou de maladie, les parents ne peuvent plus s’en charger.
Cf. Lucette Granger : Mon enfance à Firminy.
Cf. Madame Piroche : Zélie, célibataire, prend avec elle sa nièce Rosalie, âgée de quinze ans.
De même, les vieux parents sont souvent recueillis.
Cf. Jeannette Boniface : La grand-mère de Saint-Bonnet-le-Château.
L’importance de l’entraide familiale est soulignée « a contrario » par la détresse de ceux qui sont dépourvus de famille ou abandonnés et qui deviennent plus ou moins des vagabonds errant dans les campagnes. Conscientes de l’injustice du sort, à leur égard, les familles paysannes se montrent souvent généreuses et accueillantes, les nourrissant et leur fournissant de petits travaux.
Cf. Lucette Granger : Pépé, adjoint au maire de Firminy.
Cf. Madame Piroche : Annette.
Même générosité à l’égard des enfants de l’Assistance Publique, placés, le plus souvent chez les paysans.
Cf. Jeannette Boniface : Les grands-parents de Saint-Bonnet-le-Château.
Cf. Gisèle Boutchakdjan : La bâtarde.

2. LES DIFFICULTÉS DE LA VIE QUOTIDIENNE
1) L’eau, une denrée précieuse :
Il faut toujours aller la chercher au dehors et parfois assez loin.
Cf. Lucienne Cronel : La lessive
Cf. Madame Piroche : La lessive.
L’hygiène, en conséquence, tient une faible place : de nombreux exemples dont :
Cf. Madame Piroche : Deux petits jumeaux… sales comme des gorets ; Ca sent le mimi.

2) Plus ou moins en relation avec cette absence d’hygiène : tout un cortège de maladies
Cf. Josette Martin : La tuberculose
Cf. Gisèle Boutchakdjan : Le croup.
Cf. Marcelle Bréasson : Le paludisme, cas particulier de la plaine du Forez.

3) La fatigue que représentent les déplacements à la campagne, sans moyens de locomotion
Cf. Madame Lafin : Le pèlerinage de la Sainte-Trinité.
Cf. Josette Martin : La promenade de la grand-mère, le dimanche :
peu de déplacements. De l’importance des distances à franchir à pied, naît une impression d’enfermement dans un périmètre de vie relativement étroit, où tout le monde se connaît.
Cf. Madame Piroche : Pour aller à la messe à Morand il devait bien y avoir plus d’une heure de chemin – et ça monte ! – mais avec de bons sabots, ce n’était pas une affaire.
Cela explique l’inquiétude que soulèvent les cheminots inconnus de la région, dont la communauté villageoise se méfie.
Cf. Françoise Lafin : Le juif errant.
Cf. Lucienne Cronel : Le Pater.
Mais aussi la joie du passage saisonnier des vendeurs ambulants qui brise la monotonie de la vie à la campagne.
Cf. Françoise Lafin : Le juif errant.

4) La frugalité de la nourriture, la modestie de la mise :
Le pain est essentiel.  C’est le plus souvent le pain de seigle noir, fait à la maison. Il a un peu un caractère « sacré ».
Cf. Lucienne Cronel : Ce pain qu’on entamait avec beaucoup de respect…
Le pain blanc est très rare :
Cf. Madame Piroche : …elle avait vu un homme revenir du village avec une miche de pain blanc sous le bras.
Fréquence de la soupe, des pommes de terre avec ou sans lard.
Cf. Cf. Marcelle Bréasson : Le lard rance était pour eux…
Cf. Lucette Granger : Mon enfance à Firminy.
Cf. Jeannette Boniface : Frugalité des repas : Grands-parents de Saint-Bonnet-le-Château.
Le pâté aux poires à la belle saison et autres gâteries.
Cf. Lucienne Cronel : Les femmes de milieu rural au dix-neuvième siècle.
Cf. Madame Piroche : guenilles,
millard et mingouret…
Ce qui a de la valeur : beurre, œufs  , est vendu, le plus souvent au marché.
Cf. Jeannette Boniface : Les grands-parents de Saint- Bonnet.
Le luxe dans l’alimentation se trouve chez ceux qui ont été placés : la viande, le café…
Cf. Madame Piroche : Mariette, la Tante…

5) Modestie des vêtements :
Cf. Gisèle Novert : Les bottines vernies ».
Cf. Lucette Granger : Le joli tablier.
Cf. Madame Piroche : Les vêtements de la grand-mère.

6) Modestie du mobilier :
Cf. Madame Piroche : Le sommier, une nouveauté ; Le ménage était vite fait…

7) Les débuts lents du progrès :
Importance du chemin de fer dans les régions rurales.
Cf. Josette Martin : Le train de Saint-Bonnet.
Les premiers pas du machinisme agricole.
Cf. Madame Piroche : La locomotive avant 1914.
L’arrivée de l’électricité.
Cf Madame Piroche : Clézio et le lampiron.
La pompe à eau.
Cf. Gisèle Boutchakdjian : L’eau courante dans l’écurie du cheval…
La bicyclette.
Cf. Extrait de presse : article du « Progrès ».
La voiture.
Cf. Madame Piroche : Annette veut être montée dans une automobile avant de mourir.


3
. L’INSTRUCTION, LA RELIGION
1) L’instruction :
Le niveau d’instruction est très sommaire, le plus souvent les enfants ne vont à l’école que jusqu’à quinze ans, parfois quatorze.
Cf. Marinette ziganok : Maria
Cf. Gisèle Novert : Meunier du Vizézy.
Cf. Marcelle Bréasson : Louise, placée très tôt dans une grosse ferme de la plaine, comme domestique agricole.
Cf. Josette Martin : Grand-mère ne savait pas écrire.
Les femmes sont donc souvent illettrées, mais un proche se charge parfois de leur apprendre à lire : le mari ou le frère par exemple.
Il y a cependant des exceptions :
Cf. Madeleine Fréry : Grand-mère savait lire et s’intéressait à la littérature de son temps.
On peut noter parfois une certaine méfiance à l’égard des livres.

2) La religion :
La religion est essentiellement une affaire de femmes.
Cf. Françoise Lafin : La dentellière.
Cf. Lucienne Cronel : Ma grand-mère était croyante et pratiquante…
Elles sont le plus souvent très pieuses et la Bible et le livre de messe sont leurs principales lectures.
Cf. Josette Martin : Elle était très pieuse, je dirais même naïve dans sa piété.
En revanche, les hommes sont souvent anticléricaux, et affichent leur scepticisme. Cependant, ils ne s’opposent pas aux sentiments religieux de leurs épouses, et observent une tolérance de bon aloi.
Cf. Josette Martin : Mon grand-père était un laïc et un républicain…
Cf. Lucette Granger : Mon enfance à Fiminy.
Cf. Madeleine Fréry : Les idées socialistes, presque anticléricales de mon grand-père, lui firent choisir pour sa deuxième fille le prénom de Séverine.
Cf. Françoise Lafin : Un jeudi matin d’hiver : dentelle au carreau et récits bibliques.
Importance des pèlerinages, occasions d’expression de la foi populaire et d’excursions festives. Ce sont aussi des événements, dans une vie monotone où l’on apprécie les rencontres et l’exotisme de l’expédition.
Cf. Madame Lafin : Le pèlerinage de la Sainte-Trinité.

3) Survivance des superstitions :
Cf. Madame Piroche : La physique ; Le pou du curé.

4. LES FEMMES DANS LA VIE RURALE
La société rurale du dix-neuvième siècle n’est pas très coercitive à l’égard des femmes : de fortes individualités peuvent s’exprimer.
Cf. Madame Piroche : La Trape.
Cf. Madeleine Fréry : Mamette à New-York.
Cf. Document anonyme : Mère très autoritaire qui tyrannise sa famille.
Les femmes paraissent souvent les piliers de la famille ; famille qu’elles portent à bout de bras dans l’adversité, ne repoussant pas les plus rudes travaux, les lessives, par exemple. Cf. Lucette Granger : Mémé laveuse six à sept heures par jour.
Cf. Gisèle Novert : Mémé épouse d’un artisan tailleur.
Cf. Marinette Tziganok : Maria.
Cf. Marcelle Bréasson : Mémé tient un café restaurant.
Cf. Jeannette Boniface : Construction d’une maison et location pour une école.
Cf. Madame Piroche : Génie ; Annette.
Dès leur plus jeune âge, les filles prennent conscience de l’importance de leur futur rôle : Cf. Françoise Lafin : L’apprentissage de la dentelle.

En guise de conclusion, il nous semble pourvoir dire que la société rurale du dix-neuvième siècle, en France, paraît très équilibrée : les hommes travaillent beaucoup, mais les femmes aussi ; bien plus l’entraide, le travail d’équipe permet de surmonter les difficultés.
Une certaine sérénité, un bonheur, malgré la rudesse de la vie émanent de ces textes : on n’y relève ni guerre des sexes, ni guerre de religion, ni association du sexe et de la religion, avec des visées répressives. En somme, un art de vivre qui justifie le dicton de nos voisins germaniques : « Heureux comme Dieu en France ! »


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3 réponses à Suite 3 : Témoignages de femmes à la campagne au 19ème siècle

  1. olivier dit :

    Ces témoignages de femmes au 19/20 ème siècle sont des textes uniques, car ces femmes étaient les piliers de leur famille. De plus ces articles permettent de se replacer à l’ époque avec ses principes, ses façons de pensées, ses coutumes, sa culture et sa religion. En effet il apparaît que les foyers étaient organisés avec des rôles pour la femme, l’homme, les enfants et les grands parents. Les évènements ultérieurs tels que la première et la deuxième guerre mondiale avec ces atrocités, l’electrification des maisons, l’exode rurale, les 30 glorieuses avec par exemple des télévisions dans les foyers ou une automobile pour les plus aisés, l’immigration dans les villes, le droit à l’avortement, la sécurité sociale, les congés payés, les allocations chômages et familiales, le mouvement des années 68, la libération et l’indépendance des femmes, la délocalisation industrielle et l’avènement des médias sociaux etc ont eu un impact sur les femmes et les hommes. Par contre il apparaît d’emblée que les mariages de l’époque étaient sérieux et durables car les êtres étaient unis et soudés dans des conditions de vie rude surtout à la campagne. De nos jours les meurs sont différentes avec des relations en concubinage et un taux de divorce d’environ 50% pour les couples mariés dans des conditions de vie avec plus de confort. Ces changements ont eu des effets sur le fonctionnement des familles et sur la pyramide des âges. Pour cette raison ces témoignages de femmes du 19/20ème siècle sont très précieux car ils permettent de faire des comparaisons avec notre société actuelle.

  2. Olivier dit :

    Les témoignages sont super.

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